samedi 24 février 2018

reprise : ?

Un petit post pour indiquer mollement une fragile intention de me remettre à ce blog sympathique...


Peut-être...
Au programme, en autres, le surréalisme belge...

mardi 3 janvier 2017

L’iconoclasme à Byzance // Marie-France Auzépy

Je reviens ici après un très long temps de silence.
Toujours la même idée : glâner des documents qui pourront servir à réflexion sur les thèmes qui m'intéressent.
Je reviens notamment à la question de l'image, de la représentation et de son interdiction avec la très belle, très dense et très instructive conférence de Marie-France Auzépy sur l'iconoclasme à Byzance. 
https://vimeo.com/70466797 

J'essaierai d'en faire dans les semaines qui viennent une prise de note...

J'ajoute une autre vidéo de la même Marie-France Auzépy que je n'ai pas encore écoutée, mais à coup sûr intéressante.

 

mardi 23 septembre 2014

Burkina Faso : musique :

Après l'écoute de la très belle émission de France Culture sur Ouagadougou, une petite errance sur internet me permet de découvrir deux chanteurs et deux groupes des années 70-80 du Burkina Faso :

Pierre Sandwidi et l'orcheste Harmonie Voltaïque, sur lesquels il est assez difficile de trouver vraiment quelque chose :
quelques morceaux sur youtube




Sur un blog consacré aux musiques africaines,
un article sur l'orchestre Harmonie Voltaïque

http://lesdisquesafricains.blogspot.jp/2012/10/sempore-maurice-et-lorchestre-harmonie.html

et un autre article sur Pierre Sandwidi :
 http://ghostcapital.org/sandwidi-pierre-le-troubadour-de-la-savane-production-kouri-pk-002-nigeria-1984/


Autre chanteur que je découvre, Jean-Bernard Samboue.
Tout d'abord un article biographique sur Le Faso, à l'occasion des 15 ans de sa mort, en 1998.

On trouve plusieurs vidéos sur youtube (que je n'arrive pas à charger ici).

On trouvera sur Radio Africa une discographie de la musique burkiné

 http://www.radioafrica.com.au/Discographies/Burkinabe.html

jeudi 28 février 2013

Humour : atelier fabula : l'humour est-il rhétorique ? Prise de notes (2)

La suite de la prise de notes :



ATELIER DE THÉORIE LITTÉRAIRE : HUMOUR EST-IL RHÉTORIQUE ?

Bernard Gendrel, Patrick Moran



b. Litote et hyperbole

Genette voit dans litote et hyperbole les deux figures privilégiées de l’humour.

La litote
Définition de Fontanier : « au lieu d'affirmer positivement une chose, nie absolument la chose contraire, ou la diminue plus ou moins, dans la vue même de donner plus d'énergie et de poids à l'affirmation positive qu'elle déguise. »

Proposition vite avancée, vite retirée de définir la litote comme un faux euphémisme (c’est-à-dire recours à la forme euphémistique (diminution) mais pour frapper davantage)

De nouveau, exemple tiré de Bierce pour mener l’analyse :

« Early one June morning in 1872 I murdered my father - an act which made a deep impression on me at the time »

Recours à une formule euphémistique pour qualifier un acte actroce

Ici l’usage d’une formule euphémistique comme qualification de l’acte ne sert pas à rétablir une vérité cachée mais « révéler l'humour absurde de l'ensemble ».

[Discussion :
1. Y a-t-il ici litote ?
              J’aurais tendance à en douter : dire d’un acte qu’il a fait « une profonde impression » n’est pas une litote.
              La litote est une figure de substitution : un trope. C’est-à-dire qu’il y a autrechose à la place. Ici, je ne suis pas certain qu’il y ait substitution.
2. L’effet d’humour tient davantage à l’usage d’une expression assez usuelle, pour ne pas dire figée « faire une profonde impression sur moi » pour qualifier un acte auquel cette expression ne s’applique pas. Il faudrait bêtement montrer à quoi on peut appliquer cette expression : un film ? la visite d’un monument ? d’une ville ?]
Hyperbole : problème similaire

Définition de Fontanier : « L'Hyperbole augmente ou diminue les choses avec excès, et les présente bien au-dessus ou bien au-dessous de ce qu'elles sont, dans la vue, non de tromper, mais d'amener à la vérité même, et de fixer, par ce qu'elle dit d'incroyable, ce qu'il faut réellement croire. »
[On notera en passant les efforts presque désespérés de Fontanier pour garder l’hyperbole dans la sphère de la vérité, ce qui pourrait être franchement discuter... ]

Exemple tiré de Blondin : un prof qui conte la bataille de Fontenoy ; à la sonnerie de la cloche, les enfants qui sortent « semblaient enjamber avec une déférence renouvelée les douze mille cadavres que j’avais amoncelés entre ma chaire et le tableau noir »

Ici l’hyperbole des « douze mille cadacres » ne crée aucune vérité.

L’auteur du séminaire propose de parler de faux euphémisme ou d’excès dans le cas de l’humour – parce qu’il n’y a pas de rétablissement d’une vérité.

c. Épitrope et astéisme

C’est toujours Genette qui sert de guide :
« L'Épitrope ou Permission, dans la vue même de nous détourner d'un excès, ou de nous en inspirer soit l'horreur, soit le repentir, semble nous inviter à nous y livrer sans réserve, ou à y mettre le comble, et à ne plus garder de mesure. » (Fontanier)

Exemples :
1.      Britanicus, Agrippine à Néron : un usage ironique de l’épitrope
« Poursuis, Néron ; avec de tels ministres, / Par des faits glorieux tu vas te signaler ; / Poursuis, tu n’as pas fait ce pas pour reculer. »

2.      Swift, Instructions aux domestiques : épitrope et humour.
« Quand vous avez cassé toutes vos tasses de faïence (ce qui ordinairement est l'affaire d'une semaine), la casserole de cuivre fera aussi bien l'affaire. On y peut faire bouillir le lait, chauffer le potage, mettre de la petite bière, elle peut en cas de nécessité servir de « Jules » ; appliquez-la donc indifféremment à tous ces usages ; mais ne la lavez, ni ne la récurez jamais, de peur d'enlever l'étamage. Bien qu'on vous ait affecté des couteaux pour vos repas à l'office, vous ferez bien de les ménager et de n'employer que ceux de votre maître. »
Je reprends telle quelle l’analyse proposée dans le séminaire :
Le locuteur encourage ici les domestiques à faire des actions répréhensibles, mais rien n'indique qu'il s'agisse d'une attaque contre ces pratiques et qu'il faille retourner l'éloge en condamnation. L'humour est au delà.

Astéisme : « est un badinage délicat et ingénieux par lequel on loue ou l'on flatte avec l'apparence même du blame et du reproche.»

d. Paradoxisme
« Le Paradoxisme, qui revient à ce qu'on appelle communément Alliance de mots, est un artifice de langage par lequel des idées et des mots, ordinairement opposés et contradictoires entre eux, se trouvent rapprochés et combinés de manière que, tout en semblant se combattre et s'exclure réciproquement, ils frappent l'intelligence par le plus étonnant accord, et produisent le sens le plus vrai, comme le plus profond et le plus énergique. » (Fontanier)
Pour l’auteur, là où la rhétorique use du paradoxe pour faire découvrir une vérité plus profonde, l’humour lui ne recourt qu’à un faux paradoxe.
Opposition entre l’exemple de Boileau (paradoxe au service d’une vérité) et Woody Allen (faux paradoxe)

« Souvent trop d'abondance appauvrit la matière. »
« ce n'est pas que j'aie vraiment peur de mourir, mais je préfère ne pas être là quand ça arrivera »

Opposition entre esprit et humour :
« Pour qu’il y ait esprit il y ait écart comique, mais il faut aussi qu’il y ait maintien du fonctionnement rhétorique » (c’est-à-dire que la vérité reste l’horizon de la parole)
« Corot est l'auteur de 3000 tableaux dont 10000 ont été vendus aux Américains » (Alfred Capus).

e. Syllepse
« Les Tropes mixtes, qu'on appelle Syllepses, consistent à prendre un même mot tout-à-la-fois dans deux sens différents, l'un primitif ou censé tel, mais toujours du moins propre ; et l'autre figuré ou censé tel, s'il ne l'est pas toujours en effet. » (Fontanier)
« Rome n’est plus dans Rome »
« Brûlé par plus de feux que je n'en allumai »

Reprise de la distinction humour/esprit (présence ou non du fonctionnement rhétorique)
« Il n'y a qu'à être en Espagne pour n'avoir plus envie d'y bâtir des châteaux » (Madame de Sévigné)

Bilan

Rapprochement avec DominiqueNoguez qui souligne le caractère anti-rhétorique de l’humoue (mais chez Noguez, la rhétorique est ce qui est visible, repérable, alors qu’ici la rhétorique (à la Fontanier) se définit bien plus comme un arraisonnement du langage à une entreprise de persuasion mise au service de la vérité)

On arrive aux distinctions suivantes :


Fonctionnement comique
Situation d’énonciation
Fonctionnement rhétorique
humour
+
Normale (locuteur = énonciateur)
_
esprit
+

+
ironie
+
Locuteur différent énonciateur
+



[1] La Tournelle était la Chambre Criminelle du Parlement de Paris.

jeudi 21 février 2013

humour : compte rendu par Claude Hagège de l'ouvrage de Salvatore Attardo, Linguistic Theories of Humor

Je reprends ici le compte rendu de Claude Hagège publié dans la revue L'Homme de l'ouvrage de Salvatore Attardo, Linguistic theories of humor, 1994.
Consultable sur le site Persée :


Claude Hagège. S. Attardo, Linguistic Theories of HumorL'Homme, 1997, vol. 37, n° 142, pp. 117-119.


Consulté le 22 février 2013
Salvatore Attardo, Linguistic Theories of Humor. Berlin-New York, Mouton de Gruyter, 1994, xix + 426 p., bibl., append., index, fig., tabl. (« Humor Research » 1).

Cet ouvrage, qui inaugure la collection « Humor Research » lancée par les éditions Mouton de Gruyter, est consacré, comme l'indique son titre, à un examen des principales théories linguistiques qui, spécifiquement ou à l'occasion d'autres thématiques, traitent de l'humour en tant que manifestation culturelle susceptible d'intéresser tant les linguistes que ceux qui l'abordent par des biais différents. Il est clair que Salvatore Attardo (aujourd'hui professeur à Purdue University, Indiana), auquel on doit de nombreux travaux sur diverses formes d'humour (dont la barzelletta, genre de plaisanterie appartenant à la tradition ita­lienne), traite ici un sujet qu'il connaît bien et sur lequel il a beaucoup travaillé : sa biblio­graphie n'occupe pas moins de cinquante-deux pages, et son ouvrage cite un nombre consi­dérable d'auteurs dont il présente les idées sans toujours prendre assez de distance critique : pour ne donner qu'un seul exemple, il reprend à P. Guiraud le traitement de l'humour comme « défonctionalisation » du langage et à M. Apter l'idée de le définir comme une « activité paratélique » s'opposant aux activités orientées vers un but, alors que l'on pourrait tout aussi bien considérer comme inhérent au langage, en parlant de fonction ludique(1), le goût du jeu avec les mots, dont S. Freud montrait en 1905, dans son ouvrage sur le Witz, qu'il est commun aux adultes et aux enfants.
L'énumération consciencieuse et l'étude détaillée des nombreuses théories sur l'humour que l'on trouve dans la littérature spécialisée confèrent parfois à l'ouvrage une allure de catalogue et induisent une présentation qui, faute d'être assez nerveuse, n'évite pas toujours les pièges du bavardage et de la prolixité. Le livre abonde en longs débats dont l'auteur reconnaît parfois lui-même qu'on ne peut presque rien en conclure (« largely inconclusive », écrit-il à propos de l'un d'eux). Aux passages en revue et exposés modérément critiques de théories dont il ne se dégage guère de point décisif, aux déclarations en faveur de modèles interprétatifs dont S. Attardo n'établit pas de manière convaincante en quoi ils sont « clearly to be preferred », s'ajoutent les rappels de modèles de base, comme la théorie saussurienne des associations (dites plus tard paradigmatiques), dont deux raisons au moins rendaient peu nécessaire ici le traitement : d'une part le fait qu'ils sont fort connus, d'autre part l'absence de relation directe avec la problématique de l'humour. En outre, la prolixité enfante le truisme, et l'auteur n'échappe pas à cette filiation lorsqu'il déclare, par exemple, que l'humour du locuteur aux dépens de l'auditeur produit des effets négatifs, par opposition à l'humour de complicité.
On pourrait considérer le plan de l'ouvrage comme responsable, pour une part, de cette absence de vigueur. Une autre organisation de sa matière était, en tout cas, possible. L'auteur présente, pour l'essentiel, trois théories qu'il appelle respectivement « le modèle de la disjonction d'isotopie », « la théorie de la bisociation » et « la théorie de l'humour selon scénario sémantique ». Or, au lieu que ces théories soient présentées sous un même grand titre initial qui les regrouperait en développements successifs, elles apparaissent, après un premier chapitre historique où sont rappelés les apports des Grecs, des Latins, de la Renaissance et du début du xxe siècle, la première au chapitre 2, la deuxième dans la première section du chapitre 5, et la troisième au chapitre 6. Le reste du volume est consacré d'une part aux calembours (chap. 3 et 4), d'autre part à la relation entre l'humour et le style (chap. 7), entre l'humour et le destinataire (chap. 9), enfin à l'humour dans un long texte (chap. 8 et 10), le dernier chapitre ne comprenant que trois pages où sont indiquées des directions de recherche. De cet examen il ressort que l'ordre logique des chapitres aurait dû être le suivant :l-2-5-6-3-4-9-8-10-ll.
Une autre raison du flou dont ce livre produit parfois l'impression est tout simplement que les notions clés sur lesquelles il s'organise ne sont pas définies ; et que, corollairement, des distinctions importantes ne sont pas faites. Si paradoxal qu'il paraisse, la définition de l'humour lui-même n'est nulle part donnée clairement ; dans l'introduction (« chapitre 0 », selon l'habitude disgracieuse aujourd'hui répandue), il est dit que cette définition est impos­sible (B. Croce étant cité à témoin), et aucun discriminant n'est fourni pour distinguer entre elles les composantes de ce que l'auteur appelle le « champ sémantique de l'humour » : satire, comique, ironie, plaisanterie, dérision, sarcasme, bon mot, calembour, etc. On ne voit pas, en particulier, où se situe la différence entre plaisanterie et calembour, ainsi qu'entre ces notions et celles qui en sont voisines ; c'est dans une petite parenthèse (p. 193) que l'au­teur caractérise la plaisanterie comme « un texte court », et dans une note (p. 293) où, ayant consenti à préciser que la plaisanterie relève, par ses dimensions, de la linguistique du texte, il se contente d'écrire que la comparaison entre elle et d'autres types narratifs humoristiques est « extrêmement complexe » et renvoie à divers auteurs pour la distinction que l'on peut tracer, par exemple, entre plaisanterie et anecdote amusante. On ne sait donc auquel de ces deux genres il convient d'assigner le dialogue suivant, emprunté à A. Greimas : « Belle soirée, hein ? Repas magnifique... et puis jolies toilettes, hein ? — Ça, dit l'autre, je n'en sais rien. — Comment ça ? — Non, je n'y suis pas allé !» ; le calembour, tout comme la plaisanterie au sens où l'entend S. Attarde, joue sur une ambiguïté (bien que certains exemples qu'en donne l'auteur exploitent des domaines hétérogènes : delirium tremensl très mince est une attraction morphologique, alors que souffrante pour désigner une allu­mette est un jeu sur l'homonymie des radicaux du verbe souffrir et du nom soufre) ; ce serait donc le cadre textuel, large dans un cas, réduit à une unité dans l'autre, qui distinguerait calembour et plaisanterie ; mais il n'y a pas de théorisation explicite de ce point dans l'ouvrage, pourtant foisonnant d'exposés sur les théories. On ne trouve pas non plus de théo­risation de la possibilité de traduire, et l'auteur ne traite à part ni les expressions idioma­tiques, ni les bons mots qui sont liés aux formes spécifiques d'une langue donnée : si « genius is 1 % inspiration and 99 % perspiration » est compréhensible aux francophones moyennant le changement de per- en trans-, en revanche, « do you believe in clubs for young people ? — Only when kindness fails » suppose qu'ils sachent que club peut signifier aussi bien « bâton » que « club » ; ils doivent connaître assez d'anglais également si l'on veut qu'ils apprécient la contrepèterie yesterday the dear old queen gave an audience to the queer old dean ; inversement, seule une bonne compétence en français permet à des étran­gers d'apprécier (s'il y a lieu...) marché coma, vaticancan, mieux vaut Tartuffe que jamais ou bulletin d'informacons.
Les trois théories que l'auteur privilégie ici se ramènent en réalité à deux, puisque, analysant le modèle de la bisociation, il écrit qu'elle n'est qu'une variante notationnelle de la disjonction d'isotopie et du scénario sémantique. Il n'empêche que la théorie de la bisocia­tion a exercé une grande influence, comme le rappelle S. Attardo, sur des auteurs aussi variés qu'Eco, Fonagy, Manetti et d'autres. La bisociation est, selon la définition d'A. Koestler, qui a proposé cette théorie dans L'acte de création (1964) (il s'agit bien du grand humaniste et romancier anglo-hongrois auteur de Zéro et l'infini !), « la perception d'une situation ou d'une idée dans deux cadres de référence cohérents mais habituellement incompatibles ». D'une manière en effet parallèle, le modèle de la disjonction d'isotopie postule que les plai­santeries sont constituées d'une contradiction entre deux mondes sémantiques, ou isotopies, qui sont présentés ensemble alors qu'ils sont disjoints. Le modèle du scénario sémantique, quant à lui, emprunte initialement à la psychologie (Bartlett, Bateson, Goffman) la notion de scénario, ou texte écrit, qui désigne un ensemble organique d'informations sur un sujet donné, cet ensemble étant une structure cognitive intériorisée par le locuteur ; ce dernier possède, selon V. Raski — auteur de la théorie (familier de S. Attarde, tous deux enseignant dans la même université) qui a adapté à l'interprétation de l'humour les idées chomskyennes — une compétence innée qui lui permet de décider qu'un texte est humoristique s'il est compatible avec deux scénarios opposés. À titre d'exemple, S. Attardo cite après Raskin le bon mot suivant : « Le docteur est-il chez lui ? », chuchote le malade d'une voix basse et toussotante. « Non », lui répond en chuchotant la jeune et jolie femme du docteur, « entrez tout de suite », ou encore celui-ci : « Combien de Polonais faut-il pour visser une ampoule ? — Cinq : un pour tenir l'ampoule et quatre pour tourner la table sur laquelle il est debout. » Selon l'auteur, ce dernier exemple oppose les scénarios réel et irréel et active le scénario idiot. Un autre exemple encore joue sur les fausses analogies : « Madonna n'en a pas, le pape en a un mais ne s'en sert pas, Bush en a un court, et Gorbatchev en a un long. Qu'est-ce que c'est ? — Réponse : un deuxième nom ». Un dernier exemple exploite l'iné­puisable veine des ambiguïtés suscitées par les formulations qui évoquent à la fois le scénario des geste de l'amour et celui des autres gestes : la mère de trois sœurs mariées le même jour écoute aux portes la nuit venue, et demandant, le lendemain, pourquoi l'une a crié « hihihi », l'autre « hahaha », tandis que la dernière n'a rien dit, s'entend répondre, respectivement : « ça chatouillait », « ça faisait mal » et « tu m'as appris qu'il était toujours impoli de parler la bouche pleine ». On voit que le répertoire de bons mots dressé par l'auteur inclut hardiment des registres et des goûts assez variés...
L'ouvrage est essentiellement fondé sur les conceptions et les illustrations occidentales de l'humour. Au sein de ces dernières, l'humour juif, dont la richesse n'est pas sans liens avec l'absurdité des situations juives, n'est qu'à peine mis à contribution, sauf dans un exemple qui exploite non pas la confrontation comique entre ces dernières et les situations non juives, mais le jeu, typiquement linguistique, sur l'adéquation illusoire entre le réfèrent et le signifiant : à la question « pourquoi le kugel (gâteau traditionnel du sabbat fait de pâtes et de pommes de terre) s'appelle-t-il kugel ?», le légendaire humoriste Motke Chabad répond : « Quelle est cette sotte question ? N'est-il pas doux comme le kugel ? N'est-il pas épais comme le kugel ? Et n'a-t-il pas le même goût que le kugel ? Alors, pourquoi ne devrait-il pas s'appeler kugel ? ». S. Attarde n'insiste pas assez sur cet humour de la circula­rité sémiotique. Non seulement il ne fait pas à l'humour juif, malgré la mention de ce bon mot, la place qu'il mérite, mais encore il n'utilise aucune des contributions que pourraient apporter aux théories de l'humour les cultures slave, arabe, indienne, chinoise, japonaise, austronésienne, africaine, amérindienne, etc. Corollairement, il manque ici, bien que l'auteur en fasse le vœu pieux dans le dernier chapitre, une perspective typologique.
Comme S. Attardo le reconnaît lui-même au début du premier chapitre, une partie de ce livre n'est pas directement pertinente pour la linguistique, et certains passages tiennent de la « tétracapillotomie » épistémologique. En outre, le style, lors même que sont exposées les théories de l'humour, n'est pas toujours d'une humoristique légèreté. Néanmoins, résultat de l'important travail d'un auteur très bien informé, l'ouvrage éclaire d'une vive lumière un sujet qui intéresse non seulement les linguistes, mais aussi les ethnologues et les spécialistes de littérature.

Claude Hagège Collège de France, Paris

1. Cf. C. hagège, L'homme de paroles, Paris, Fayard, 1985 : 262-263.
L'Homme 142, avril-juin 1997, pp. 115-171.



Humour : atelier fabula : l'humour est-il rhétorique ? Prise de notes (1)

Je commence ici la mise en ligne des notes prises à la lecture du séminaire publié sur Fabula de Gendrel et Moran : "L'humour est-il rhétorique ?"

Je continuerai ultérieurement cette mise en ligne.




ATELIER DE THÉORIE LITTÉRAIRE : HUMOUR EST-IL RHÉTORIQUE ?

Bernard Gendrel, Patrick Moran

Projet : chercher si l’humour privilégie certaines figures tout comme l’antiphrase semble être la figure favorite de l’ironie.

Il s’agira en fait de suivre les traces du travail de Genette dans Figures V où ce dernier examine en quoi les figures de rhétorique telles qu’elles sont définies par Fontanier peuvent rendre compte de l’humour.

Définition des figures par Fontanier :
« Les figures du discours sont les traits, les formes ou les tours plus ou moins remarquables et d'un effet plus ou moins heureux, par lesquels le discours, dans l'expression des idées, des pensées ou des sentimens, s'éloigne plus ou moins de ce qui en eût été l'expression simple et commune. »[i]
(définition de la figure par l’écart avec « l’expression simple et commune ».

1.        les figures de pensées (prosopopée, concession, éthopée, portrait, topographie etc.) et
2.        les figures de mots.

À l'intérieur des figures de mots il distingue

1)      les « figures de mots dans le sens propre », qui ne changent pas la signification habituelle des mots - figures de construction (inversion, énallage, ellipse, zeugme, anacoluthe...), figures d'élocution (répétition, gradation, adjonction, allitération, assonance, dérivation...), figures de style (périphrase, exclamation, apostrophe, antithèse, hypotypose),

2)      les tropes, qui prennent les mots dans un sens détourné. À l'intérieur des tropes il distingue les tropes en un seul mot (métonymie, synecdoque, métaphore, syllepse) et les tropes en plusieurs mots (personnification, allégorie, hyperbole, métalepse, litote, paradoxisme, prétérition, ironie, épitrope, astéisme...). Dans chaque catégorie j'ai souligné les termes sur lesquels nous reviendrons plus précisément.
La suite du séminaire propose un examen des différentes figures susceptibles d’éclairer l’humour.

[Remarque : si dans la définition de Fontanier rappelée ici c’est l’écart qui permet de définir les figures, on notera que dans la suite de l’argumentation de l’auteur de ce texte la rhétorique est essentiellement définie par son rapport à la vérité (c’est-à-dire que la figure est maintenant définie en fonction de sa finalité, faire apparaître une vérité qui n’était pas évidente au départ). Un tel arrimage de la rhétorique à la vérité mériterait d’être interrogé et il est sans doute plus caractéristique du projet de Fontanier que de la rhétorique elle-même. Si on pense aux conditions de naissance de la rhétorique en Grèce, à ses étroites relations de parenté avec la sophistique, à la condamnation platonicienne, postuler un lien consubstantiel entre rhétorique et vérité est loin d’apparaître comme une évidence.]

2. Figures privilégiées
a. Le problème de l'antiphrase

Fontanier redéfinit l’antiphrase comme ironie, en opposant ironie et catachrèse :
-          ironie et catachrèse se définissent toutes deux par « l’emploi d’un mot ou d’une façon de parler dans un sens contraire à celui qui lui est ou lui semble naturel »
-          dans le cas de l’ironie,
cet emploi se fait librement et par choix
-          dans le cas de la catachrèse,
cet emploi est forcé par l’usage

Définition de l’ironie : « L'Ironie consiste à dire par une raillerie, ou plaisante, ou sérieuse, le contraire de ce qu'on pense, ou de ce qu'on veut faire penser. »[iii]

Tentatives des théoriciens de l’humour de définir l’humour dans son rapport à l’antiphrase :
                            Genette, Bergson, Henri Morier
Genette : opposition entre antiphrase de fait (ironie) et antiphrase axiologique (reposant sur un jugement de valeur) – opposition réfutée de façon à mon sens pertinente par les auteurs de ce séminaire ; cf. séminaire d’ouverture.
Reformulation de la question : « savoir s'il arrive que l'humour prenne la forme de l'antiphrase. »

Analyse et jeu autour d’un extrait du Dictionnaire philosophique portatif de Voltaire, articule « torture ».
L’extrait choisi est donné comme un cas exemplaire d’ironie :

Voltaire, à propos de la question qu'un conseiller de la Tournelle inflige à un accusé, cite un vers des Plaideurs : « Cela fait toujours passer une heure ou deux ».

Les Romains n'infligèrent jamais la torture qu’aux esclaves, mais les esclaves n’étaient pas comptés pour des hommes. Il n’y a pas d'apparence non plus qu'un conseiller de la Tournelle[1] regarde comme un de ses semblables un homme qu’on lui amène hâve, pâle, défait, les yeux mornes, la barbe longue et sale, couvert de la vermine dont il a été rongé dans un cachot. Il se donne le plaisir de l’appliquer à la grande et à la petite torture, en présence d'un chirurgien qui lui tâte le pouls, jusqu'à ce qu’il soit en danger de mort, après quoi on recommence ; et comme dit très bien la comédie des Plaideurs : « Cela fait toujours passer une heure ou deux ».

Les auteurs proposent de décontextualiser la phrase et de l’inclure dans le cadre d’une nouvelle à la Ambrose Bierce :

« Hier j'ai tué toute ma famille. Cela fait toujours passer une heure ou deux. »

Dans le premier cas, son sens véritable de la phrase pourrait être rétabli en prenant l’énoncé contraire :

« La torture ne fait pas passer une heure ou deux, elle n'est pas un divertissement, puisqu'un être humain souffre. »

Reformulation impossible dans le deuxième cas.
Cette impossibilité de faire apparaître un sens véritable serait ainsi l’indice que nous sommes en présence d’humour (noir) et non d’ironie.

Je cite le séminaire : « On ne parlera pas non plus d'antiphrase puisqu'il n'y a finalement aucune proposition juste à rétablir. On se dit qu'Ambrose Bierce ne pense pas réellement ce qu'il dit mais cela ne signifie pas qu'il veuille faire dire l'inverse de ce qu'il pense. »




[1] La Tournelle était la Chambre Criminelle du Parlement de Paris.



mardi 19 février 2013

Humour : Kierkegaard, Post-scriptum aux miettes philosophiques : l'ironie

J'enchaîne avec le texte sur l'ironie, comme passage du stade esthétique au stade éthique.



Kierkegaard – Post-scriptum, IIe partie, 2e section, A) Le pathétique, §2

L’ironie paraît quand on rapporte sans cesse les particularités du monde fini à l’exigence éthique infinie et qu’on laisse éclater la contradiction. Celui qui le peut avec habileté sans se laisser prendre à quelque relativité capable d’effaroucher sa virtuosité, doit avoir exécuté un mouvement de l’infini, dans l’éventualité où il serait un éthicien. [...] L’observateur ne pourra donc même pas le surprendre à son incapacité de se voir lui-même sous un jour comique, car son interlocuteur est aussi capable de parler de soi comme d’un tiers, de se rattacher comme infime détail à l’exigence absolue ; de se rattacher, dis-je, et qu’il est étrange de voir ce terme désignant la dernière difficulté de la vie, celle de mettre en liaison des choses absolument différentes (comme l’idée de Dieu et celle d’une promenade à Dyrehaven), s’appliquer aussi dans le langage à l’art de taquiner ! Mais s’il est établi que notre homme est ironiste, il ne l’est pas qu’il soit éthicien. Il ne l’est que s’il se rapporte en son for intérieur à l’exigence absolue. Un pareil éthicien fait de l’ironie son incognito. C’est en ce sens que Socrate était éthicien mais qui, je le souligne, tendait à la limite du religieux ; aussi bien avons-nous montré précédemment (Sect. II, chap. II) l’analogie que son existence présentait avec la foi. Qu’est-ce donc que l’ironie, si l’on appelle Socrate un ironiste et si l’on ne se contente pas d’en mettre en relief un seul aspect comme l’a fait à dessein ou non le Mag. Kierkegaard dans sa thèse sur Le concept d’ironie ? L’ironie est la synthèse de la passion éthique qui accentue infiniment dans l’intériorité le je individuel rapporté à l’exigence éthique, et de la culture qui, dans le monde extérieur, fait infiniment abstraction de ce je individuel, comme d’une chose finie parmi toutes les autres choses finies et particulières. Cette abstraction a pour effet, et c’est l’art de l’ironiste, que personne ne remarque le premier aspect du je dont la véritable infinitisation se trouve ainsi conditionnée[1]. Une foule de gens vivent de la façon inverse ; ils s’empressent d’être quelque chose quand on les regarde et de se donner si possible de l’importance à leurs propres yeux dès qu’ils se voient observés ; mais tout au fond d’eux-mêmes, sous le regard de l’exigence absolue, ils n’ont aucune envie d’accentuer leur moi propre.
L’ironie est une détermination, une catégorie existentielle ; aussi rien n’est-il plus ridicule que d’y voir une façon de parler, ou que de voir un écrivain tout heureux d’avoir de temps à autre le ton ironique. Celui qui possède essentiellement l’ironie, la possède tout le long du jour sans qu’elle soit liée à aucune forme, parce qu’elle est en lui l’infinité.
L’ironie est la culture de l’esprit ; elle succède à l’immédiateté ; puis vient l’éthicien, puis l’humoriste, et enfin, l’esprit religieux. [...] Les hommes portent toujours sur un pareil individu ce jugement : pour lui, il n’y a rien qui compte. Et pourquoi ? Parce que pour lui, l’éthique a une importance absolue ; c’est en cela, en effet, qu’il diffère des hommes en général pour qui tant de choses sont importantes ; presque toutes le sont, mais aucune absolument. – Mais, je l’ai dit, un observateur risque d’être dupe s’il prend un ironiste pour un éthicien, car l’ironie n’est que la possibilité de le devenir.


[1] La tentative désespérée et manquée de l’éthique hégélienne, de faire de l’Etat la dernière instance de l’éthique, est au plus haut point contraire à l’éthique en voulant donner les individus au fini ; contre toute éthique, on y déserte la catégorie d’individualité pour passer à celle de génération, d’espèce. [...]