lundi 31 janvier 2011

Laurent Thirouin, L'aveuglement salutaire, conclusion (prise de notes)

Laurent Thirouin, L'aveuglement salutaire, H.Champion, 1997

Prise de notes sur la conclusion (p.247-263)

Retour sur la formule consacrée : "querelle de la moralité du théâtre"

- du théâtre : terminologie floue et fluctuante ; le terme qui revient est celui de "comédie". Du côté des censeurs, volonté d'englober l'ensemble du genre dramatique, sans distinction - les distinctions sont du côté des défenseurs du théâtre. L'emploi d'un terme globalisant leur permet aussi de récupérer l'argumentation des Pères qui portait sur les spectacles - d'une nature parfois différentes de celle de la poésie dramatique du XVIIe.

- cependant dans les années 1660-70, c'est surtout la tragédie (et en particulier Corneille, avec le Cid et Théodore) que fait l'objet d'attaque. Molière lui est absent : noter le glissement qui se fait de Nicole à Rousseau qui centre son réquisitoire contre le théâtre autour de Molière et de la comédie.

- La moralité : il ne s'agit pas de moraliser le théâtre, mais de le refuser en bloc comme principiellement immoral.
cf.le paradoxe de Senault : " Plus (la Comédie) semble honnête, plus je la tiens criminelle. "
Nicole : toute comédie produit chez les spectateurs
  • - des impressions clandestines qui restent chez le spectateur à son insue.
  • - l'excitation incontrôlable des désirs.
  • - l'esprit de divertissement qui transforme la réalité en spectacle futile.

- Querelle : oui, mais entre qui et qui ?
La réponse "entre l'Eglise et le théâtre" est insatisfaisante.

Pour commencer, il faut bien admettre que les attaques viennent du milieu religieux et que le monde du théâtre doit affronter sous Louis XIV de nombreuses difficultés :
ex. difficulté de la troupe des Comédiens-Français en 1687 pour trouver un emplacement pour y jouer : chassés de la rue Guénégaud par l'ouverture d'un Collège, ils doivent errer jusqu'à trouver enfin le jeu de Paume de l'Etoile, rue des Fossés Saint-Germain.

Mais pas de condamnation du théâtre par l'Eglise catholique :
  • pas d'excommunication,
  • simplement un refus ponctuel de communion dans certains diocèses.
De même, peu d'autorités récentes pour étayer les attaques : ex. de faux attribué à Charles Borromée.
L'affrontement entre le théâtre et l'Eglise est plus de fait que de droit.
Pas d'hostilité de principe par ex. de la Compagnie du Saint-Sacrement à la comédie, pourvu qu'elle ne s'occupe pas de religion (cf.Tartuffe).
Les rigoristes semblent dès lors plus des dissidents (cf.article "police des spectacles" dans le Dictionnaire philosophique, Voltaire).

Au niveau européen, le théâtre est interdit dans les pays de la réforme protestante, alors qu'à Rome on a une grande tolérance pour les spectacles dramatiques et lyriques.

Trait caractéristique des censeurs du théâtre : héritage augustinien. Refus de transiger avec la mondanité.
Montée à travers le siècle de la sévérité du clergé qui culmine en 1694, dans les pamphlets publiés en réponse au père Caffaro.

Effets : Thirouin se montre sceptique ; selon lui, les attaques contre le théâtre n'ont pas eu d'effets réels.

****

Intérêt du débat : fécondité théorique.

Paradoxe : le moment où se déploie cette position anti-théâtrale
Le théâtre classique français : un des efforts les plus aboutis pour maîtriser les émotions, assujettir la mimèsis à des principes rationnels.
Le recours à Tertullien se justifierait mieux à notre époque - cf. Debord.
Mais le moment se comprend aussi : celui où la Comédie redevient un genre littéraire majeur, pour la première fois depuis l'Antiquité ; celui où le théâtre s'impose dans la société (infrastructure permanente, troupes stables) et gagne en respectabilité.

Plus théoriquement, réflexion entre le rapport fond/forme : "quelle connivence y a-t-il entre une idéologie particulière et le support apparemment neutre que l'on adopte ?"
" La tragédie, de par sa simple définition poétique, exclut la représentation de certaines valeurs, notamment chrétienne."

Niveau anthropologique : mise en évidence de lois.
notamment celle de " l'efficacité brute de la représentation : le fait qu'un élément mimétique produise par lui-même une impression sur le spectateur, indépendamment de la structure dans laquelle il est intégré. Un geste violent, une transgression, un tableau troublant, vivent de leur propre vie, dans l'esprit et la sensibilité de celui qui les a perçus."

Affirmation d'une" vie imperceptible des idées ". Intuition d'un inconscient.
Refus de la position conciliante du thomisme (eutrapélie).
Regard sur "les étranges détours de la censure".

****

Absence dans le débat de la question de la catharsis, pb qui caractérise la réflexion spéculative des doctes.

Du côté des défenseurs du théâtre, dans les années 60, recours à cette notion, mais sans conviction :
- Corneille, avis au lecteur d'Attila.
- examen de Théodore.

Lettre sur la Comédie de l'Imposteur : distinction intéressante mais qui n'est pas reprise ensuite entre comédie et tragédie, l'une agissant sur l'entendement, l'autre sur la volonté.
" purger la volonté des passions par la tragédie et guérir l'entendement des opinions erronées par la comédie."

Pour les adversaires du théâtre, celui-ci ne pourrait être utile que pour "des personnes moralement indigentes" : le théâtre pouvait être utile pour les païens qui étaient " des hommes perdus ".
On ne quitte pas le cadre défini par Godeau :

...pour changer leurs moeurs et régler leur raison,
Les chrétiens ont l'Eglise, et non pas le théâtre.

Bossuet, Maximes et réflexions sur la Comédie, 1694

" Le charme des sens est un mauvais introducteur des sentiments vertueux. Les païens, dont le vertu était imparfaite, grossière, mondaine, superficielle, pouvaient l'insinuer par le théâtre ; mais il n'a ni l'autorité, ni la dignité, ni l'efficace qu'il faut pour inspirer les vertus convenables à des chrétiens."

On retrouve chez Rousseau la même opposition dans la Lettre à d'Alembert, mais avec un glissement (laïcisation et passage au plan politique) :
  • - le théâtre peut être utile aux Parisiens corrompus
  • - mais il est inutile et pernicieux pour les vertueux Genévois.

Proximité de Rousseau avec les arguments de Nicole (thèse opposée à celle de Goldzink) :
accord dans le choix de privilégier l'attaque du théâtre décent, de qualité littéraire et d'apparence respectable allant de pair avec une indulgence pour la farce et les spectacles grossiers (paradoxe de Senault).

" Si ces fades spectacles manquent de goût, tant mieux : on s'en rebutera plus vite ; s'ils sont grossiers, ils seront moins séduisants. Le vice ne s'insinue guère en choquant l'honnêteté, mais en prenant son image ; et les mots sales sont plus contraires à la politesse qu'aux bonnes moeurs."

Proximité aussi dans le mépris pour la condition de comédien.

Le changement : "Rousseau laïcise et politise la tradition anti-théâtrale."
  • - l'installation d'un théâtre contribue à l'appauvrissement des plus pauvres.
  • - menace politique : "la faveur dont jouissent les comédiens les met de fait au-dessus des lois." (renversement de la perspective par rapport aux moralistes du XVIIe).
  • - "restriction de la cible":
  1. XVII: condamnation globale de toute forme de distraction
  2. Rousseau : éloge du vin, de la danse, des fêtes, de toutes les formes de distraction et de sociabilité traditionnelles.
****
Conclusion : souligner le caractère non-littéraire de procès fait au théâtre
qui s'oppose avec la conception dominante de l'autonomie de la littérature aujourd'hui (schizophrénie dans la lecture de Céline).
Question de la place de la littérature dans la cité.




dimanche 30 janvier 2011

Les Heures de Catherine de Clèves,

Un petit article à rédiger autour des Heures de Catherine de Clèves, manuscrit néerlandais (Utrech) des années 1440, conservé à la Morgan Librairy de New York.

Le manuscrit a été divisé en plusieurs parties au XIXe siècle avant 1856, la première partie ayant appartenue au Duc d'Arenberg dont les descendants l'ont vendue à Alistair Bradley Martin.
La deuxième partie, propriété de la famille Rostchild, a été vendue en 1963 à la Bibliothèque Morgan.

Une très belle présentation sur le site de la Morgan Librairy.

Panofksy met en parallèle le triptyque perdu de la crucifixion du Maître de la Flemalle, le triptyque de la descente de croix de Liverpool et la crucifixion qu'on trouve dans ce manuscrit.

Du triptyque de Liverpoll, qui est une copie, l'original du panneau droit (le Mauvais Larron) est conservé au musée de Franckfort.

Une page bien faite où il est possible zoomer sur l'oeuvre, sur le site artliste.




Je complète un peu sur Les Heures de Catherine de Clèves, simplement pour le plaisir avec des références aux belles pages de la Morgan Library : la reproduction ici est assez médiocre par contre sur le site on peut zoomer :

un ange et un démon se disputant le livre de vie où sont consignées les bonnes et les mauvaises actions du défunt.


Pour un accès direct à l'ensemble des reproductions.

Jacques Daret

Pour le plaisir, une reproduction d'un tableau de ce peintre qui serait passé dans l'atelier de Robert Campin à Tournai.






La Nativité, Madrid, Musée Thyssen-Bornemisza, 1434-1435






samedi 29 janvier 2011

Robert Campin - Le Maître de la Flemalle



Le retable de Mérode, Metropolitan Museum of Art, New York

On pourra explorer l'oeuvre grâce au art project de google.

De nouveau de belles pages chez Panofsky sur Robert Campin, le maître de la Flemalle.
Glâné au hasard de la lecture :
- l'usage d'une perspective outrée qui aboutit finalement à une négation de la profondeur (mis en parallèle avec l'usage de la perspective chez Gauguin ou Van Vogh : usage identique mais pour des raisons diamétralement opposées).
- Une horreur du vide : l'espace est rempli de part en part. Toujours en relation avec la construction encore imparfaite d'un espace perspectif (en opposition avec ce qu'on trouvera ensuite chez Van Eyck)
- la question de l'éclairage dans les portraits : le contraire de ce que fera en général Van Eyck, c'est-à-dire un éclairage venant de la direction que regarde le personnage. Effet de contraste fort qui aboutit à un écrasement lumineux du côté éclairé.
- Les peintures de statues en grisaille : le jeu qui s'établit entre la peinture et la sculpture, en liant avec la conquête de l'espace - mise en parallèle avec les sculptures de Claus Sluter à la Chartreuse de Champmol à Dijon. (avec cette remarque intéressante que les peintures représentées dans les toiles des primitifs flamands sont monochromes, ce qui est encore rare à l'époque et ce qui fait supposer que ce sont les peintures dans l'atelier du sculpteur, avant d'être peintes, qui sont représentées).



Une exposition à Bruges : Van Eyck à Dürer


Le site de l'expo avec quelques oeuvres reproduites

Par exemple, Jacob Beinhart


Condamner le théâtre (prise de notes du livre de Génetiot) 6

La querelle de la moralité du théâtre

Mise en place d'une théorie antithéâtrale extrémiste :
- refus de tout théâtre pour des raisons théologiques.

Nicole, Lettres sur l'hérésie imaginaire (défense du jansénisme) : les huits dernières s'intitulent les Visionnaires, référence à la comédie de Desmarets de Saint-Sorlin

Première visionnaire (31 décembre 1665) : condamnation de toute fiction.
"Un faiseur de romans et un poète de théâtre est un empoisonneur public, non des corps, mais des âmes des fidèles, qui se doit croire coupable d'une infinité d'homicides spirituels, ou qu'il a causés en effet, ou qu'il a pu causer par ses écrits pernicieux. Plus il a eu soin de couvrir d'un voile d'honnêteté les passions criminelles qu'il y décrit, plus il les a rendues dangeureuses, et capables de surprendre et de corrompre les âmes simples et innocentes. Ces sortes de péchés sont d'autant plus effroyables, qu'ils sont toujours persistants, parce que ces livres ne périssent pas, et qu'ils répandent toujours un venin, qui s'accroît et s'augmente par les méchants effets qu'ils continuent de produire dans ceux qui les lisent."

Racine, défense de la littérature : Lettre à l'auteur des Hérésies imaginaires et des deux Visionnaires (janvier 1666)
puis Lettre aux deux apologistes de l'auteur des hérésies imaginaires (10 mai 1666).
Reprise des arguments de l'Introduction à la vie dévote : la littérature comme délassement de l'esprit :
" Je vous demanderai si la chasse, la musique, le plaisir de faire des sabots, et quelques autres plaisirs que vous ne refusez pas à vous-mêmes, sont fort propres à faire mourir le vieil homme ; s'il faut renoncer à tout ce qui divertit, s'il faut pleurer à toute heure ?"
Défense des romans : ils ne sont "bons que pour désennuyer l'esprit, pour l'accoutumer à la lecture, et pour le faire passer ensuite à des choses plus solides."

Publication de pamphlets antithéâtraux :
- Traité de la comédie, Prince de Conti (posthume, 1666)
- Traité de la comédie, Nicole (1667)

Rupture de la religion avec la littérature, "vain divertissement qui éloigne de la recherche du salut."

Conti : " Quels effets peuvent produire ces expressions accompagnées d'une représentation réelle, que de corrompre l'imagination, de remplir la mémoire, et se répandre après dans l'entendement, dans la volonté, et ensuite dans les moeurs."

Nicole :
- théâtre / roman : produit une image séduisante des passions
- induit le spectateur en tentation en l'accoutumant insensiblement au vice.
- lui enseigne à exprimer adroitement des passions coupables.

Condamnation du théâtre et du roman comme recherche du divertissement pour lui-même, symptôme d'oisiveté, d'ennui et de vanité.
Détourne le chrétien de la recherche de Dieu.

Un tel contexte contraint la littérature à prendre une attitude fondamentalement défensive où elle cherche d'abord à se justifier :

1677 Racine, Préface de Phèdre : soutient la thèse que la tragédie peut enseigner la vertu.

" Ce que je puis assurer, c'est que je n'en ai point fait où la vertu soit plus mise en jour que dans celle-ci. Les moindres fautes y sont sévèrement punies. La seule pensée du crime y est regardée avec autant d'horreur que le crime même. Les faiblesses de l'amour y passent pour de vraies faiblesses. Les passions n'y sont présentées aux yeux que pour montrer tout le désordre dont elles sont cause. Et le vice y est peint partout avec des couleurs qui en font connaître et haïr la difformité."

Thèse de la finalité morale du théâtre antique :
" Leur théâtre était une école où la vertu n'était pas moins enseignée que dans les écoles des philosophes. "

Appel au public dévot et aux auteurs :

" Il serait à souhaiter que nos ouvrages fussent aussi solides et aussi pleins d'utiles instructions que ceux de ces poètes. Ce serait peut-être un moyen de réconcilier la tragédie avec quantité de personnes célèbres par leur piété et par leur doctrine qui l'ont condamnée dans ces derniers temps, et qui en jugeraient sans doute plus favorablement, si les auteurs songeaient autant à instruire leurs spectateurs qu'à les divertir, et s'ils suivaient en cela la véritable intention de la tragédie."

1678, Bernard Lamy (oratorien) : Nouvelles Réflexions sur l'art poétique

- conception malebranchiste du plaisir
- théorie augustinienne des trois concupiscences (libido sentiendi, libido sciendi, libido dominandi)
- conception pascalienne de l'imagination "maîtresse d'erreur et de fausseté"

Le théâtre :
- détourne l'homme de Dieu
- en l'attachant aux images des créatures et
- en flattant ses inclinations vicieuses.

Plus la fiction est vraisemblable, plus elle est dangereuse, car l'intérêt du spectateur est davantage piqué - rupture avec la défense de la comédie sous Richelieu.

" On désire ensuite de savoir leurs aventures, on s'intéresse dans tout ce qui les regarde, et l'on se trouve si étroitement lié avec eux, qu'on entre dans toutes leurs passions."

Chapitres X et XI de la seconde partie :
- " Les comédies et les tragédies corrompent les moeurs, bien loin de les réformer."
- " La représentation qu'on fait des comédies et des tragédies sur les théâtres publics, en augmente le danger."

Appel à la fermeture des théâtres (cf. l'exemple puritain sous la révolution de Cromwell)

1688 Mme de Maintenon demande à Racine de
" lui faire dans ses moments de loisir quelque espèce de poème moral ou historique dont l'amour fût entièrement banni, et dans lequel il ne crût pas que sa réputation fût intéressée, puisqu'il demeurerait enseveli dans Saint-Cyr. "
" divertir les demoiselles de Saint-Cyr en les instruisant."
1689 : Esther, succès mais le curé de Versailles s'en alarme.
1691 : Athalie en reste au stade des répétitions privées, sans décors, ni costumes, ni orchestre (5 janvier, 8 février, 22 février, en présence du roi et de la reine d'Angleterre).
Reprise à Versailles en 1702, avec les choeurs.
Première représentation publique : sous la Régence, 1716, avec 22 reprises entre 1716 et 1718.

1694 : Bossuet, Maximes et réflexions sur la comédie, reprises des thèses augustiniennes développées par Nicole.
Conclusion : " pour les instructions du théâtre, la touche en est trop légère, et il n'y a rien de moins sérieux, puisque l'homme y fait à la fois un jeu de ses vices et un amusement de la vertu."










jeudi 27 janvier 2011

Condamner le théâtre (prise de notes du livre de Génetiot) 5

2 / En haine de la littérature : la censure théologique

Molière, cible des dévots

(Suite)


Querelle de Tartuffe (1664-1669)

12 mai 1664 : Les plaisirs de l'île enchantée, représentation de la première version de Tartuffe, en 3 actes.
La Compagnie du Saint-Sacrement et le parti dévot autour de la reine mère poussent l'interdiction de toute réprésentation publique : Tartuffe dans la pièce est un ecclésiastique.

Défense de Molière : Premier placet au roi, 1664 : repli derrière l'argument traditionnel de défense de la comédie par son utilité morale : "castigat ridendo mores" (Jean-Baptiste Santeul)

Pour défendre sa pièce (?), Molière donne l'année suivante Dom Juan ou le Festin de pierre (1665) : portrait d'un "grand seigneur méchant homme".

Par le châtiment final, montrer que la comédie peut donner à rire de tous les sujets en restant morale.

Mais la stratégie de Molière échoue : nouvelle attaque du parti dévot :
Observations sur une comédie de Molière intitulée le Festin de Pierre (1665) : la pièce est accusée d'être une école d'athéisme, la religion étant discréditée par le caractère ridicule de son défenseur, Sganarelle. On trouve ausssi des attaques contre l'Ecole des femmes et contre Tartuffe (" l'hypocrite et le dévot ont une même apparence, ce n'est qu'une même chose dans le public. ")
" Mais qui peut supporter la hardiesse d'un farceur qui fait plaisanterie de la religion, qui tient école de libertinage, et qui rend la majesté de Dieu le jouet d'un maître et d'un valet de théâtre, d'un athée qui s'en rit, et d'un valet, plus impie que son maître, qui en fait rire les autres ?"
Molière, destructeur de l'oeuvre de Richelieu :
" Molière a ruiné tout ce que ce sage politique avait ordonné en faveur de la comédie, et d'une fille vertueuse il en a fait une hypocrite. "

Le prince de Conti : Avertissement aux Sentiments des Pères de l'Eglise sur la comédie et les spectacles et Traité de la comédie (1666)
Molière est ainsi forcé de censurer sa pièce dès la deuxième représentation : scène du pauvre (III, 2). La pièce est retirée après 15 représentations et n'est pas reprise du vivant de l'auteur.

5 août 1667 : version remaniée de Tartuffe en 5 actes, intitulée l'Imposteur : le héros est devenu Panulphe, homme d'épée. Le lendemain, le président Lamoignon fait interdire la pièce.
20 août 1667 : Lettre sur la comédie de l'Imposteur, adressée au roi : esthétique du ridicule, i-e "manque de convenance entre la galanterie réelle de l'hypocrite et sa mortification affichée".

1669 : la pièce est enfin représentée en public. Version imprimée précédée d'une préface : retour sur l'argument de l'utilité du ridicule et de la satire pour corriger les vices.
"Les plus beaux traits d'une sérieuse morale sont moins puissants, le plus souvent, que ceux de la satire ; et rien ne reprend mieux la plupart des hommes que la peinture de leurs défauts. C'est une grande atteinte aux vices que de les exposer à la risée de tout le monde. On souffre aisément des repréhensions ; mais on ne souffre point la raillerie. On veut bien être méchant, mais on ne veut point être ridicule."

Pour Génetiot,"le repli sur l'argument d'utilité est donc une concession arrachée sous la pression de ses adversaires dans un débat politique et religieux extrêmement dangereux."
Dans la suite de son oeuvre, Molière se garde d'aborder de nouveau les sujets à portée directement sociale ou religieuse pour se replier sur le domaine psychologique de la peinture des caractères monomaniaques et extravagants.

Condamner le théâtre (prise de notes du livre de Génetiot) 4

2 / En haine de la littérature : la censure théologique

Molière, cible des dévots

Contexte du XVIIe :
- le public mondain qui fait le succès du théâtre au XVIIe est pour la réforme catholique l'enjeu d'une reconquête.

- argumentaire :
représentant des personnages en action, le théâtre excite les passions et la concupiscence.

les comédiens sont réputés perdus et réprouvés : refus de l'eucharistie et de la sépulture chrétienne (rituel de Châlons de 1649)
Dans les années 1640, M.Olier, curé de Saint-Sulpice, membre de la Compagnie du Saint-Sacrement, chasse de sa paroisse les comédiens et les prostituées, évince la troupe de Molière, l'Illustre Théâtre - qui doit quitter Paris en 1645 pour 14 ans de tournées en province.

Durcissement dans la deuxième moitié du siècle :
de la part des augustiniens (reprise des arguments traditionnels de l'apologétique chrétienne)

Enjeu : non seulement interdire des pièces particulières, mais toute possibilité d'écrire pour le divertissement du public.

L'Ecole des femmes (1662) : première alerte.
Première grande comédie de Molière portant sur un sujet d'actualité, l'éducation des filles - mise en scène de l'apprentissage et de la connaissance de soi par l'amour (morale galante : "l'amour est un grand maître" III, 4, v.900). Parodie des ouvrages de dévotion avec les "maximes du mariage" lues par Arnolphe.
Rapport de force en faveur de Molière, soutenu par la jeune cour : réponse aux censeurs avec deux pièces : La Critique de l'Ecole des femmes et l'Impromptu de Versailles (1663)


Condamner le théâtre (prise de notes du livre de Génetiot) 3

Suite de la prise de notes du livre de Génetiot sur le Classicisme, chapitre "Les fondements théoriques de la poétique classique".

Enfin nous arrivons à ce qui m'intéresse.

2 / En haine de la littérature : la censure théologique

Les années 1665-1680 : la littérature classique se développe dans un climat d'hostilité entretenu par les polémiques et les cabales.

Années 30 : Richelieu encourage un théâtre régulier et bienséant.
Années 40 : tentative de fonder une tragédie religieuse et édifiante sur le modèle italien :
- La Mort de Chrispe (1644), Tristan L'Hermite
- Le véritable saint Genest (1645), Rotrou
- Polyeucte martyr (1643) et Théodore vierge et martyre (1646), Corneille.

Après la Fronde (1648-53), durcissement du discours religieux (conversion au jansénisme du prince de Conti).

Godeau, Poésies chrétiennes, sonnet "Sur la comédie" (1654) : on retrouve la séparation nette théâtre / religion qu'on trouvait chez les irréguliers dans les années 1620 mais ici pour mieux condamner le théâtre.
(pour Antoine Godeau, évêque de Grasse, ancien poète mondain, plusieurs textes sont disponibles sur Gallica, notamment Contre la mauvaise morale du temps)
Mais en cette leçon si pompeuse et si vaine,
Le profit est douteux, et la perte est certaine,
Le remède y plaît moins que ne fait le poison ;

Elle peut réformer un esprit idolâtre,
Mais pour changer leurs moeurs, et régler leur raison,
Les Chrétiens ont l'Eglise, et non pas le théâtre.

(pour les 2 derniers vers, voir le même argument utilisé pour défendre la thèse opposée par d'Urfé).

mercredi 26 janvier 2011

Condamner le théâtre (prise de notes du livre de Génetiot) 2

Plaidoyer pour le plaisir esthétique

Début du XVIIe : plaisir comme fin de l'art. Position dominante des "irréguliers"

Honoré d'Urfé, avis Au lecteur de sa tragi-comédie La Silvanire (1627) :
opposition entre l'antiquité où la poésie était considérée comme le langage des dieux chargé d'instruire le peuple et l'époque moderne où la poésie est déchargée de cette tâche par la présence des prédicateurs : "maintenant notre poésie a pour but essentiel de plaire, et par accident de profiter."

François Ogier, préface de Tyr et Sidon (1628) de Lingendes

"La poésie, et particulièrrement celle qui est composée pour le théâtre, n'est faite que pour le plaisir et le divertissement."

Décennie 1630 : victoire de Chapelain et des doctes.
1637 : querelle du Cid, victoire des partisans des règles, de la vraisemblance, des bienséances et de l'utilité morale.
(en passant, je note le rapport qui s'établit de façon naturelle entre tout ça : règle - bienséance -vraisemblance - utilité morale ; aller remettre son nez dans le bel article de Genette sur la vraisemblance dans Figures)

1637 La Mesnardière Poétique : "son principal dessein est d'honorer la vertu, et de corriger le vice ; et (...) ces détours agréables et ces biais artificieux qu'elle prend selon les rencontres dans la tessiture de ses fables, conduisent tous à cette fin comme à leur centre intentionnel" (ch. "Continuation des moeurs")

Georges de Scudéry, fervent partisan de la thèse de l'utilité morale du théâtre, pierre de touche de son Apologie du théâtre (1639)
Observation sur le Cid (1637) : "il faut savoir que le poème de théâtre fut inventé pour instruire en divertissant"
Apologie du théâtre : la comédie "est l'objet de la vénération de tous les siècles vertueux ; le divertissement des empereurs et des rois ; l'occupation des grands esprits ; le tableau des passions ; l'image de la vie humaine ; l'histoire parlante ; la philosophie visible ; le fléau du vice, et le trône de la vertu."

Corneille : réticence à se ranger à la thèse de l'utilité / stricte orthodoxie aristotélicienne. Dissociation rigoureuse de l'instruction morale et de la fonction esthétique.

épître dédicatoire de La Suite du Menteur (1645) : " Pour moi, j'estime extrêmement ceux qui mêlent l'utile au délectable, et d'autant plus qu'ils n'y sont pas obligés par les règles de la poésie, je suis bien aise de dire d'eux avec notre Docteur : Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci. Mais je dénie qu'ils faillent contre ces règles, lorsqu'ils ne l'y mêlent pas (...) : pourvu qu'ils aient trouvé le moyen de plaire, ils sont quittes envers leur art, et s'ils pèchent, ce n'est pas contre lui, c'est contre les bonnes moeurs, et contre leur auditoire. (...) Quant à Aristote, je ne crois pas que ceux du parti contraire aient d'assez bons yeux pour trouver le mot d'utilité dans tout son Art poétique : quand il recherche la cause de la poésie, il ne l'attribue qu'au plaisir que les hommes reçoivent de l'imitation."
Même position dans le Discours de l'utilité et des parties du poème dramatique (1660) : "il n'est pas moins vrai qu'Horace nous apprend que nous ne saurions plaire à tout le monde, si nous n'y mêlons l'utile, et que les gens graves et sérieux, les vieillards, les amateurs de la vertu, s'y ennuieront, s'ils n'y trouvent rien à profiter."

(à mettre en parallèle avec V.Hugo, Préface de Ruy Blas, la théorie des trois publics : les buts du théâtre se définissent en fonction de la catégorie de public à qui il s'adresse - les penseurs, les femmes, la foule, attirés respectivement par la comédie, la tragédie et le mélodrame
un article sur cette question de Florence Naugrette sur le site de Fabula)

Même scepticisme de Corneille pour la question de la catharsis.

Années 50, après la Fronde : renaissance de la vie mondaine des salons (Salon de Madeleine de Scudéry, puis cour de Fouquet)- la littérature conçue comme divertissement - héritage du salon de Rambouillet florissant dans la première moitié du siècle.
Pellison : publication des OEuvres de Sarasin, précédées d'un Discours : apologie du divertissement
" je ne puis croire qu'on travaille inutilement quand on travaille agréablement pour la plus grande partie du monde et que, sans corrompre les esprits, on vient à bout de les divertir et de leur plaire. (...) Au contraire, ces autres écrits, qu'on traite communément de bagatelles, quand ils ne serviraient pas à régler les moeurs ou à éclairer l'esprit, comme ils le peuvent, comme ils le doivent, comme ils le font d'ordinaire directement ou indirectement, pour le moins, sans avoir besoin que d'eux-mêmes, ils plaisent, ils divertissent, ils sèment et ils répandent partout la joie, qui est, après la vertu, le plus grand de tous les biens."

Tradition de l'"eutrapélie" aristotélicienne, christianisée par François de Sales (1567-1622) :
les récréations honnêtes pratiquées sans excès et sans attachement (conversation, musique, chasse) considérées comme une bienfaisante propédeutique à la dévotion.
"Il est force de relâcher quelquefois notre esprit, et notre corps encore, s'entretenir de devis joyeux et aimables, sonner du luth ou autre instrument, chanter en musique, aller à la chasse, ce sont recréations si honnêtes que pour bien en user il n'est besoin que de la commune prudence, qui donne à toutes choses le rang, le temps, le lieu et la mesure."
Justification du divertissement et d'une sociabilité aimable et enjouée pour combattre la mélancolie, conçue comme péché capital.

"Doctrine Fouquet" :
- illustrée par la fête de Vaux offerte au roi (août 1661)
- : Les Fâcheux (première comédie-ballet de Molière), épître dédicatoire Au roi
" Ceux qui sont nés en un rang élevé peuvent se proposer l'honneur de servir Votre Majesté dans les grands emplois, mais, pour moi, toute la gloire où je puis aspirer, c'est de la réjouir. Je borne là l'ambition de mes souhaits ; et je crois qu'en quelque façon ce n'est pas être inutile à la France que de contribuer quelque chose au divertissement de son roi."

Molière : affirmation du droit au plaisir, à l'abandon sensuel et physique au rire et à l'émotion.
Critique de l'Ecole des femmes : "Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n'est pas de plaire, et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n'a pas suivi un bon chemin. (...) Moquons-nous donc de cette chicane où ils veulent assujettir le goût du public, et ne consultons dans une comédie que l'effet qu'elle fait sur nous. Laissons-nous aller de bonne foi aux choses qui nous prennent par les entrailles, et ne cherchons point de raisonnements pour nous empêcher d'avoir du plaisir. "

La Fontaine :
Dans l'Avertissement des Nouvelles en vers tirées de l'Arioste et de Boccace (1664), La Fontaine se réclame de Térence :
" Ce poète n'écrivait pas pour se satisfaire seulement, ou pour satisfaire un petit nombre de gens choisis ; il avait pour but : Populo ut placerent quas fecisset fabulas (que les pièces qu'il avait faites plussent au peuple) "
Préface à Psyché : " Mon principal but est toujours de plaire : pour en venir là je considère le goût du siècle : or après plusieurs expériences il m'a semblé que ce goût se porte au galant et à la plaisanterie."
Mais évolution du régime vers le rigourisme religieux : interdiction de police pour obscénité des Nouveau Contes (1674) ; en 1693, il est contraint de renier devant l'Académie ses Contes.

Condamner le théâtre (prise de notes du livre de Génetiot)

Prise de notes d'après l'ouvrage de Génetiot, Le Classicisme (p.247-264)

"Les fins de la fable : plaisir et instruire"

1/ Utile dulci

Le lieu commun horatien

Question des fins de la création littéraire :

Une série de glissements :

Passage d'Aristote (neutre moralement) à Horace, "déplacé et exagéré au seul profit de l'enseignement moral".

Aristote, le plaisir de l'imitation, plaisir d'abord intellectuel avant d'être esthétique, celui de la reconnaissance du référent :

"On se plaît en effet à regarder les images car leur contemplation apporte un enseignement et permet de se rendre compte de ce qu'est chaque chose." (1448b 15-17)

Dans l'optique artistotélicienne, pas de finalité d'instruction, pas de dimension morale à la catharsis non plus.

En fait, la conception des fins de la littérature au XVIIe s'appuie sur Horace, Epitre aux Pisons (343-344)

Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci
Lectorem delectando pariterque monendo

Il enlève tous les suffrages celui qui mêle l'agréable à l'utile,
sachant à la fois charmer le lecteur et l'instruire.

- Point de départ que le XVIIe, marqué par l'esprit de reconquête de la Contre-Réforme, va développer.

1561 Scaliger, La Poétique : débat entre les théoriciens pour le plaisir (Castelvetro, Robortello, Guarini) ou pour l'instruction (Ronsard, Vauquelin de La Fresnaye).

Le Tasse, Discours du poème héroïque (1594) : concilier plaisir et instruction.
"La poésie est donc (...) imitation d'actions humaines, dans le but d'instruire par le plaisir"
le plaisir "doit être comme le miel dont on enduit le verre pour donner un remède aux enfants".


Les théoriciens français reprennent cette théorie où le plaisir est subordonné à l'utile :

Préface de Chapelain à l'Adonis de Marino (1623) :

- "La fin de la poésie étant l'utilité, bien que procurée par le moyen du plaisir, il y a apparence que ce qui a l'utilité pour l'objet, c'est-à-dire ce qui tend à l'utilité, soit plus estimable en icelle que ce qui n'a pour objet que le plaisir seulement, c'est-à-dire qui se termine au plaisir."
- mise en place d'une interprétation morale de la catharsis : "l'utilité de la poésie consiste en la purgation des passions vicieuses."
- "le but principal de toute représentation scénique est d'émouvoir l'âme du spectateur par la force et l'évidence avec laquelle les diverses passions sont exprimées sur le théâtre, et de la purger par ce moyen des mauvaises habitudes qui la pourraient faire tomber dans les mêmes inconvénients que ces passions tirent après soi." (Lettre sur la règle des vingt-quatre heures).


dimanche 23 janvier 2011

Les retables de Provence

Un site riche en informations (les reproductions ne sont par contre pas d'une grande qualité) sur les retables en Provence.

Manuscrits médiévaux, la vente de la collection Arcana chez Christie's

Vente chez Chritie's en juillet 2010 de la collection Arcana, réunie par un homme d'affaires américain pendant plus de 30 ans.
Sur le site de Christie's de très belles reproductions de ces oeuvres.

samedi 22 janvier 2011

Bibliothèque Royale de Belgique, les manuscrits

Encore un site mettant en ligne des manuscrits,

Un site de l'EHSS, Commediante

Un site à explorer, Commediante, reflet du séminaire de Francis Zimmermann à l'EHSS.

Francis Olivier ZIMMERMANN
Directeur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales
Anthropologie et histoire des sciences dans le monde indien

Ironie et Pragmatique : un article d'Anne Reboul

Un article en ligne d'Anne Reboul, Institut des sciences cognitives (CNRS), Lyon, France,


"L’ironie auctoriale : une approche gricéenne est-elle possible ?"

A lire, assez rapidement...

Pour l'instant, je me contente citer le résumé :

RÉSUMÉ. ––
Grice a proposé une analyse de l’ironie fondée sur les implicatures, selon laquelle les énoncés ironiques produisent une implicature par antiphrase. Cette thèse, qui suit l’analyse rhétorique classique, la transpose simplement du registre sémantique au pragmatique, ce qui ne suffit pas à répondre à la question de savoir comment l’auditeur saisit l’interprétation par antiphrase, ou pourquoi le locuteur dit une chose quand il signifie l’inverse. L’analyse antiphrastique ne dit pas non plus comment on doit rendre compte des énoncés ironiques qui ne sont pas des assertions. Les analyses contemporaines de l’ironie, comme celles de Sperber et Wilson en terme d’écho, et de Currie – en termes de feintise –, ne rencontrent pas les mêmes difficultés. On les présente en général comme capables de rendre compte des cas « centraux » d’ironie et comme incompatibles entre elles.

Dans le présent article, je montre que les deux analyses s’appliquent au même ensemble d’exemples et qu’en fait certaines critiques de Currie contre l’analyse échoique ne sont pas valides. De plus il y a un ensemble d’exemples d’énoncés ironiques que l’on ne peut pas analyser en termes de feintise. Donc aucune des deux analyses n’est assez générale. Pour finir, je propose une analyse selon laquelle les énoncés ironiques montrent (plutôt qu’ils ne disent) un comportement, une croyance ou un raisonnement déraisonnable, et je plaide pour une analyse gricienne, basée non pas sur l’implicature par antiphrase, mais sur la signification non naturelle et la reconnaissance de la double intention du locuteur. Cette analyse est compatible avec l’analyse échoique et avec celle en termes de feintise, tout en étant plus
générale.

Dictionnaire de sémantique en ligne

Un dictionnaire de sémantique en ligne,
SÉMANTICLOPÉDIE

rédigé par le

Groupement de recherche 2521 (CNRS) Sémantique et Modélisation 2002-2009

mardi 18 janvier 2011

Le Site de la Bibliothèque Nationale de Hollande sur les manuscrits enluminés

Un autre site très riche en manuscrits enluminés.

Le Site de la British Library sur les manuscrits enluminés

Un autre site, fort riche, celui de la British Library qui présente son catalogue des manuscrits enluminés avec beaucoup d'informations.

Un exemple, "Christine de Pizan présentant la Cité des Dames à Isabeau de Bavière"(Harley 4431 f. 3)



Toujours le manuscrit Harley 4431 (f.4) qui renferme les oeuvres de Christine de Pizan

Un site sur les frères de Limbourg

Un site très complet et riche en illustration sur l'oeuvre des frères de Limbourg (vers 1380-1416).


samedi 15 janvier 2011

Jack Goody, La peur des représentations, entretiens dans Sciences humaines

Entretiens de Jack Goody avec Nicolas Journet, Sciences Humaines, Hors-série, Le Monde de l'image

Prise de notes

- Refus de considérer que certaines civilisations seraient en soi aniconiques : tolérance du judaïsme pour l'image peinte, mais non gravée ; les crises iconoclasmes du christianisme (VIIIe byzantin, XVIe protestant); aniconisme du bouddhisme primitif (avant la venue des Grecs et la civilisation des Koushans/Kouchans).

- Pour Goody, le problème se trouve dans la représentation elle-même, dans la fabrication et l'usage des images, qui entraîne une attitude ambivalente : rejet (ou indifférence) ou culte. Toute image - ou toute représentation - est suscepte d'infidélité, de facticité.

- refus de l'image et représentation du sacré : pourquoi l'iconoclasme touche d'abord le sacré ? parce que le sacré est en soi ce qui ne doit pas être mis en doute. Par exemple, même dans les cultures iconiques, le dieu suprême a tendance à ne pas être représenté : Brahma dans l'hindouisme ; dans l'Afrique subsaharienne, les dieux secondaires ou animales, les ancêtres sont représentés mais pas le dieu créateur - ou sous une forme géométrique.
- Problème logique inhérent à la représentation du dieu suprême, supposé précédé toute réalité créée.
- Problème d'usurpation du pouvoir créateur divin ; ambiguïté du culte rendu aux "fétiches" : qu'est-ce qui est adoré ? La divinité, réalité supérieure à l'homme, ou le pouvoir créateur humain ? D'où, le recours à des solutions comme celle où l'image "trouvée" - acheiropoiète - est valorisée (dans le christianisme orthodoxe, dans l'hindouisme) car elle échappe à toute intention humaine et ne peut donc tromper (les vierges noires, le saint suaire, les lingam hindouistes) - passage d'une logique de l'image à celle de la relique, qui est fragment de l'objet du culte.
- Problème du statut de l'image photographique, image produite sans la main de l'homme.

- Le statut de l'image dans les sociétés sans écriture : pour la plupart, elles pratiquent des arts figuratifs. Mais certaines, non (les Tallensis du Ghana par exemple qui ne produisent que des symboles abstraits géométriques). Pour Goody, ce n'est une ignorance de la figuration, mais un choix de s'en passer. Ce rejet pour Goody est ici de nouveau motivé par une inquiétude face à l'ambivalence des images, occupant une place entre mensonge et vérité.

- La question des images qui échappent à la question de la vérité : l'espace de la fiction.
- Cas de sociétés iconodules cultivant l'image sacrée, mais ne pratiquant pas l'image profane (l'Italie d'avant le XVe)

- Le problème des images se pose de la même façon pour le théâtre ou le roman.

Condamner le théâtre : article de Louis Marin sur le traité de Nicole

Les dédoublements de la représentation théâtrale,

Louis Marin, Journal de la faculté de lettres de l'Université de Tokyo, 1987

Condamner le théâtre: Compte rendu du livre de Laurent Thirouin, L'Aveuglement salutaire, dans la Revue Dix-Septième Siècle

LAURENT THIROUIN, L’AVEUGLEMENT SALUTAIRE. LE RÉQUISITOIRE CONTRE LE THÉÂTRE DANS LA FRANCE CLASSIQUE, PARIS, HONORÉ CHAMPION, COLL. « LUMIÈRE CLASSIQUE », 1997. UN VOL. 16 CM × 23,5 CM DE 292 P.


61 La décennie 1660-1670 fut marquée en France par une virulente offensive contre le théâtre, qu’attestent la querelle du Tartuffe et la publication de deux textes importants, le Traité de la Comédie de Pierre Nicole et celuidu prince de Conti, ancien protecteur de Molière devenu farouchement hostile au théâtre. Cette querelle implique de surcroît les trois grands noms de la scène française : Corneille, cible privilégiée de Nicole, Molière qui avec Tartuffe et Dom Juan cristallise les griefs des adversaires du théâtre, mais aussi Racine, qui dans une lettre cinglante adressée à son ancien maître Nicole dénonce les incohérences des port-royalistes, contempteurs du théâtre mais néanmoins traducteurs de Térence.

62 Le grand mérite de l’étude de Laurent Thirouin, et son originalité, tient à ce qu’il prend au sérieux l’argumentation des adversaires du théâtre, ce qui lui permet de montrer sa force. Il révèle dans leurs écrits un « discours théorique articulé », qui loin d’être anachronique rencontre des préoccupations contemporaines, qu’il s’agisse de la nature de la mimesis ou du pouvoir de l’image. De la force de ce discours on a d’ailleurs une preuve dans l’attention que lui ont portée ceux qu’il mettait en cause : la préface de Tartuffe notamment montre que Molière possédait une solide connaissance des arguments et des textes opposés au théâtre.

63 Il n’en reste pas moins que l’argumentation anti-théâtrale mêle des plans hétéroclites : il est fait tour à tour appel à une approche historique, à des considérations d’ordre poétique, à une réflexion anthropologique, à des valeurs religieuses, cela dans des proportions variables selon les auteurs (il n’y a en effet pas d’uniformité dans le camp des contempteurs du théâtre). Laurent Thirouin examine successivement ces divers ordres d’arguments. Le premier chapitre replace la querelle dans une perspective historique, rappelant l’argumentation des Pères de l’Église sur laquelle s’appuient la plupart des auteurs (à la notable exception de Nicole, qui se refuse à fonder son traité sur l’argument d’autorité). Il permet de faire apparaître un premier clivage entre les défenseurs du théâtre, qui insistent sur son historicité afin de montrer que la scène contemporaine ne tombe plus sous le coup de la condamnation des Pères, et ses adversaires qui soutiennent en revanche sa permanence, elle-même garante de la validité des anathèmes d’Augustin ou de Tertullien. Ce qu’il est convenu d’appeler le paradoxe de Senault ( « plus [la comédie] semble honnête, plus je la tiens criminelle » ) repose sur un degré supérieur d’élaboration critique : c’est admettre qu’il y a bien eu purification de la scène, mais que celle-ci, loin de justifier le théâtre, renforce son danger en apaisant à bon compte les scrupules moraux des spectateurs.

64 Le second chapitre rappelle que la condamnation du théâtre repose sur celle de la personne du comédien. Si cette hostilité s’ancre dans la condamnation platonicienne de l’imitation, elle ressortit aussi, plus simplement, à des raisons morales (les « dérèglements » imputés aux comédiens). L’auteur met ici en lumière le décalage entre la position des rigoristes et celle des autorités aussi bien civiles (songeons à l’édit de 1641) que religieuses : seuls des rituels rigoristes incluent les comédiens dans la liste des pécheurs publics. Les adversaires du théâtre se trouvent ici plus proches de la position des Églises réformées que de celle des autorités romaines.

65 Mais les adversaires du théâtre les plus lucides ont conscience qu’en face des progrès réalisés par les mondains ils ne peuvent pas s’en tenir à la réaffirmation d’une position de principe, et qu’ils doivent répondre aussi aux arguments d’ordre poétique (chap. III). Varet et Nicole s’attardent ainsi longuement sur la Théodore de Corneille : s’il est possible d’établir qu’une pièce que le plus grand dramaturge contemporain a sincèrement voulu chrétienne ne l’est pas, c’est l’incompatibilité réciproque du théâtre et du christianisme qui sera établie. Nicole recourt encore à la notion technique de bienséance pour montrer que la question morale est structurellement absente du théâtre, dont le contenu est défini par les personnages qu’appellent les intrigues et par les attentes du public. Le spectacle théâtral obtient l’effet d’identification qu’il cherche en faisant siens les préjugés de son public : dès lors qu’il n’en est que l’émanation, il ne saurait être en mesure de l’éduquer.

66 Les adversaires du théâtre dénoncent encore son immoralité (chap. V). Ils lui reprochent de ne représenter que des passions coupables, tels que l’amour, la vengeance, l’ambition ou la « vertu romaine » qui n’est pour Nicole qu’un autre nom de l’amour-propre. Ils participent ainsi au mouvement de démystification des vertus héroïques qui caractérise la littérature morale dans la seconde partie du siècle.

67 Toutefois le point nodal de la querelle est d’ordre moins moral qu’anthropologique (chap. IV) et métaphysique (chap. VI). Les traités de la Comédie établissent son danger en analysant la nature et les modalités de l’action qu’elle exerce sur le spectateur : par là ils appartiennent de plein droit à la littérature moraliste, qui ne cesse de s’interroger sur la nature humaine. De fait les analyses que développe Nicole sur la contagion insensible de la représentation ne constituent que l’application au théâtre de lois morales qui ont une portée plus générale (ainsi de la faiblesse de la raison, du danger des passions, de la théorie des pensées imperceptibles). De surcroît considérer que la représentation des passions implique, chez l’acteur comme dans le public, une excitation de ces mêmes passions, c’est aussi prendre le théâtre au sérieux : c’est bien parce que ses adversaires croient à son efficacité sur le spectateur qu’ils le jugent dangereux.

68 La motivation profonde du combat que livrent les port-royalistes contre la comédie est en dernier ressort d’ordre métaphysique. La perspective platonicienne et augustinienne qui est la leur les conduit à dénoncer l’inconsistance de la mimesis qu’ils opposent à la vérité (et à refuser la doctrine thomiste de l’eutrapélie). La dénonciation du théâtre ne constitue ainsi qu’un cas particulier de la lutte contre l’esprit du monde, opposé au christianisme. L’ « aveuglement salutaire » évoqué par le titre est l’un des aspects de la morale de la privation caractéristique de la pensée augustinienne.

69 L’ouvrage, on le voit, est riche de perspectives stimulantes qui vont à contre-courant de nombre d’idées reçues sur la querelle du théâtre. Quand on la croit anachronique et fastidieuse, Laurent Thirouin s’emploie à ruiner ces deux préventions en montrant la complexité de l’argumentation mise en jeu (ce qui n’exclut pas de révéler aussi, à l’occasion, ses apories), ainsi que l’actualité de plusieurs de ses enjeux pour notre « société du spectacle ».

70 Béatrice GUION.

Condamner le théâtre

Projet de cours autour des arguments sur la condamnation du théâtre :

- aller voir :
- les textes de pères de l'église : Tertullien, Contre les spectacles, Saint Augustin
- l'interdiction de la représentation des mystères par le Parlement de Paris, en 1548
- la condamnation du théâtre au XVII en France : les Jansénistes (le prince de Conti, Le Traité de la comédie), Bossuet, Maximes et réflexions sur la comédie,
Sur Books.Google, La défense du traitté du prince de Conti
Jugement sur la comédie du Festin de pierre, 1678
Plusieurs pages d'introduction intéressantes dans le livre sur le Classicisme d'Alain Génetiot, à propos de la question du théâtre en France au XVIIe.
- en Espagne, en Angleterre
- La Lettre à d'Alembert sur les spectacles de Rousseau

Aller voir aussi :
- Jean Dubu, Les Eglises chrétiennes et le théâtre
- les articles de Fumalori sur la question
- le chapitre consacré au théâtre dans le bouquin de Jack Goody lu l'an dernier, La peur des représentations
- Laurent Thirouin, L'aveuglement salutaire , Le réquisitoire contre le théâtre dans la France classique

Melchior Broederlam

Actif entre 1381 et 1409, à Ypres, au service du Comte des Flandres, Louis de Mâle, puis du Duc de Bourgogne, Philippe le Hardi.

Rétable de la Crucifixion de la Chartreuse de Champmol (Dijon)
1390-1399

Intéressante notice sur le site framemuseums.

Une intéressante notice aussi au sujet de la partie sculptée du retable, due à Jacques de Baerze.

Comme toujours une belle série de reproductions sur Web Gallery of art

Partie gauche du retable : l'annonciation et la visitation



Partie droite : la visite au temple et la fuite en Egypte




Détails de l'Annonciation





Détail de la visitation




Détails de la présentation au temple




Détails de la fuite en Egypte






Comme toujours des pages intéressantes sur Broederlam dans le livre de Panofsky sur les Primitifs flamands (chapitre III, Le problème de la Bourgogne, p.169 et suivantes) où il s'attache surtout à l'analyse de l'Annonciation (l'architecture du bâtiment où se trouve la Vierge) et de la Fuite en Egypte (sa place dans la naissance de la peinture de paysage, mise en parallèle avec celle du Maître des Heures de Boucicaut).

La visitation (Heures du Maréchal de Boucicaut, Musée Jacquemart André)



La Fuite en Egypte (Heures du Maréchal de Boucicaut, Musée Jacquemart André)