vendredi 17 février 2012

Utopie dans la production littéraire française du XVIIe et XVIIe : prise de notes

Une prise de notes très incomplète d'un chapitre consacré aux voyages et aux utopies dans la littérature française du XVII-XVIIIe siècle.
Je n'ai retenu que les éléments qui m'intéressaient directement pour la préparation d'un article.
Je livre cette prise de notes telle quelle :


Article « Voyages et utopies » (Jean-Michel Racault), Histoire de la France littéraire, Paris : PUF, 2006, p.291-336

Question de la définition.
P.294-296
ü  Rappel des grandes définitions de l’utopie
ü  Caractère flou de la notion
ü  Affirmation de la spécifité littéraire de l’utopie littéraire (sic)
Grandes définitions
1.                  « le principe espérance » d’Ernst Bloch, projection imaginaire d’ordre eschatologique ou révolutionnaire.
2.                  « état d’esprit [...] en désaccord avec l’état de réalité au sein duquel il se produit » (Karl Mannheim)
3.                  « expérience mentale sur les possibles latéraux » (Raymond Ruyer)

L’utopie comme genre

« Clivage entre les textes purement didactiques et les utopies narratives comportant le tableau, inséré dans un récit, d’une société imaginaire où ce programme a été accompli. »

Terminologie : le mot n’accède à sa signification de catégorie littéraire qu’en 1798 dans le Dictionnaire de l’Académie – passage du statut de nom propre à celui de nom commun avec Leibniz dans la Théodicée (1710).

-          Opposition de l’utopie et du voyage imaginaire, étant défini comme les deux pôles du genre :
Ø  Utopie : réduite à son paradigme, descriptive, prescriptive et non narrative.
Ø  Voyage imaginaire : narratif, ne proposant pas de modèle.

Voyage imaginaire/utopie :
Ø  « Si l’on admet que cette dernière postule l’existence d’une « nature neutre » (D.Suvin), autrement dit le respect des lois naturelles garantissant l’exemplarité de l’expérience utopique et la reproductibilité de ses résultats au sein du monde de référence, le voyage imaginaire, lui, se libère des règles de la vraisemblance et même des contraintes du possible [...]. »
Ø  Autre distinction, statut du personnage : relais descriptif purement fonctionnel/ personnage individualisé, impliqué dans la trame événementielle où il est acteur et victime.


-          Marivaux :
p.327
La Dispute (1744) : mise en scène d’un « dispositif expérimental [...: l’accent porte ici sur la naissance de la conscience de soi et d’autrui, sur l’éveil au langage et aux sentiments, amour, jalousie, inconstance... La Dispute ne se rattache à l’utopie que par sa méthode d’expérimentation imaginaire et son cadre analogue au traditionnel huis clos insulaire, qui en assure le déroulement dans des conditions optimales d’asepsie et de globalité.
Le laboratoire insulaire sert également de cadre à trois autres comédies de Marivaux, L’Île des Esclaves (1725), L’Île de la Raison (1727) et La Colonie (1750), qui, elles, relèvent nettement de l’utopie, bien qu’elles en donent une version atypique : la forme théâtrale entraîne une perturbation du scénario circulaire (le voyage est rejeté en hors scène) et un dépérissement du descriptif ; les sociétés insulaires, à peu près dépourvues de contenu institutionnel précis, n’incarnent pas un modèle transportable mais sont seulement le moyen d’une prise de conscience critique chez les visiteurs européens ; enfin, si elles proposent des solutions, celles-ci ne sont ni politiques, ni sociales, ni économiques, mais morales.
-          Les micro-utopies et les « petites sociétés » (à partir du 2e tiers du XVIIIe : Cleveland, La Nouvelle Héloïse, Paul et Virginie, Aline et Valcour) :
« Micro-utopies et « petites sociétés » correspondent à deux manières de féconder le roman par le recours à l’utopie, et aussi de renouveler cette dernière en lui donnant un prolongement romanesque, mais souvent au prix d’un échec au moins apparent. »
Antinomie entre l’ordre collectif et l’exigence passionnelle individuelle.
Amibiguïté : elles « s’installent au sein du monde réel et non dans quelque contrée fictive, montrent que « changer la vie » est possible ici et maintant. Mais elles correspondent aussi à un thème de repli et de désenchantement : la solution utopique n’y concerne que quelques individus choisis, la vivant pour leur compte au sein d’une communauté fermée sans ambition de transformation globale du monde [...] ».

lundi 13 février 2012

Fabula : compte rendu de Catherine Marchal-Weyl, Le Tailleur et le fripier :LA VOIE DES ADAPTATIONS: AUTEURS ET PERSONNAGES FRANÇAIS DU XVIIÈME SIÈCLE SOUS L'INFLUENCE DE LEURS MODÈLES ESPAGNOLS CORALIA COSTAS

Un compte rendu publié sur fabula d'un ouvrage consacré à la réception et l'adaptation du théâtre espagnol  en France au XVIIe siècle, une question qui m'intéresse particulièrement à cause d'abord de l'intérêt du théâtre espagnol au XVIIe que je découvre peu à peu, surtout avec Lope de Vega (j'irai voir un peu plus tard Calderon, me contentant pour l'instant du plaisir immense qu'offre la lecture de Lope de Vega).



Catherine Marchal-Weyl, Le Tailleur et le fripier. Transformations des personnages de la comedia sur la scène française (1630-1660), Librairie Droz, série « Travaux du Grand Siècle », no XXIX, Genève, 2007.

Publié avec le soutien du Groupes d’Etudes des Milieux Littéraires et Artistiques de l’Université de Nancy 2, l’ouvrage Le Tailleur et le fripier de Catherine Marchal-Weyl se constitue en une attentive étude comparatiste du statut du personnage dans les dramaturgies française et espagnole pendant le Grand Siècle, expliquant les métamorphoses et les différences entre les deux à la lumière des réalités socio-historiques et géographiques de l’époque.
Dans l’« Introduction » du volume, la présentation de la démarche part du contexte général du XVIIème siècle, des relations politiques et artistiques entre les deux pays voisins, réduisant graduellement la perspective, en l’axant sur l’univers théâtral, pour la détailler encore plus, tout en précisant que l’ensemble de la recherche est centré sur la notion de personnage et l’évolution de celui-ci pendant l’époque prise en discussion.
Le premier chapitre, « De l’Intérêt des Français pour le théâtre espagnol », contient plusieurs sections, dont la première s’intitule « Une situation paradoxale », dans laquelle l’auteur révèle les plus importants aspects des évolutions parallèles de la vie politique, sociale, historique, mais aussi artistique, des deux pays, mettant l’accent sur les contrastes qui les caractérisent. Le paradoxe consiste en ce que malgré certaines affinités des deux peuples – dont l’ « aura culturelle de l’Espagne » et l’apprentissage de l’espagnol en France comme preuve des bonnes relations, sur la scène française, les comédiens d’au-delà des Pyrénées se confrontent à l’échec. Ce dernier est expliqué par la présence des Italiens qui précède celle des Espagnols. Cependant, si le mélange des genres est dérangeant pour le public du XVIIème siècle, si les mystères religieux ne trouvent point d’écho parmi les préférences des spectateurs de l’époque, si les bienséances sont souvent ignorées, ce qui déclanche parfois des critiques si sommaires qu’elles soient, la pratique des adaptations est une réalité de ces temps-là et l’auteur de l’ouvrage l’explique en tant que magie d’exotisme plutôt qu’expression d’une proximitéi.  La deuxième section, « D’un apogée à une naissance : deux formes théâtrales », explique l’attrait des écrivains français pour la comedia par le décalage temporel entre les deux littératures. Lope de Vega dans son Arte nuevo de hacer comedias qui date de 1609 atteste le fait que le genre était déjà parvenu à son apogée à ce moment-là, tandis que la comédie en France est encore loin de se figer dans les moules précises du genre. Comme résultat des traductions et adaptations des comedia pendant la première moitié du XVIIème siècle, où les personnages représentait chacun un rôle bien défini, les personnages et leurs actions dans les comédies françaises sont devenus, à leur tour, très importants. D’autre part, les divergences d’opinion entre les adeptes des deux genres se font sentir : Lope de Vega, qui a mené la comedia à son apogée, est loin de la perfection aux yeux des théoriciens français, aristotéliciens, de l’époque, dont Chapelin, La Mesnardière ou le Père Rapinii. « De l’imitation » est la dernière section de ce chapitre, mettant l’accent sur les « suppressions, ajouts, substitutions et permutations » qui font qu’une traduction, imitation ou adaptation soit acceptable au goût du public français. Le respect de la règle des trois unités se retrouve parmi ces essais des adaptateurs à correspondre aux expectations de leurs concitoyens. Les œuvres de Scarron, Rotrou ou de Boisrobert en font l’exempleiii.
Dans le deuxième chapitre, « Tentative de définition de la comedia », après avoir présenté les traits définitoires du genre – l’architecture musicale, la structure plutôt temporelle que visuelle de la représentation, laquelle comprend une action se déroulant le long de « trois jornades », à péripéties organisées en séquences rythmiques permettant la comparaison de la comedia à une fugue – l’auteur du volume ouvre une large parenthèse censée éclaircir cette comparaison. Tout d’abord, celle-ci est justifiée surtout par la présence dans les deux formes artistiques d’un motif récurrent, parfois annoncé dans la comedia dès le titre. La chercheuse constate aussi que si dans le cas des dramaturges espagnols les titres ont souvent une forme proverbiale, leurs adaptateurs et imitateurs français se désintéressent complètement à cet aspect, leurs titres étant surtout axés sur le protagoniste de leurs pièces. D’autre part, l’auteur insiste aussi sur le fait qu’à part les titres programmatiques, les spectateurs « auriséculaires » disposaient aussi d’un nombre de scènes figées, reprises d’une pièce à l’autre, d’un rapport spécifique entre les personnages, de sorte que le spectacle espagnol de l’époque était constitué d’un mélange très proportionné de convention et d’inventivitéiv. Le haut degré d’inventivité caractérisant les intrigues correspond au foisonnement de sous-genres de la comedia, ce dernier aspect ne se retrouvant pourtant pas adopté avec la mode des adaptations des comedias dans la littérature française. Parmi les créations adaptées par Scarron, Rotrou ou de Boisrobert, ne se retrouvent que trois sous-genres, à savoir : la comedia palatina, la comedia di capa y espada, la comedia de figurón. La raison de la préférence des comédies et tragi-comédies, au détriment des tragédies, consiste en ce que ce dernier genre était beaucoup plus enraciné dans les conditions socio-historiques de l’Espagne du Siècle d’Or. Après une présentation des corpus illustrant ces trois sous-genres et leur impact dans le pays voisin, le chapitre clôt tout en insistant sur l’importance de l’art combinatoire qui caractérise la dramaturgie espagnole de l’époque et qui est reconnue comme telle par Boisrobertv.
Le troisième chapitre, « Le statut sociodramatique des personnages », inclut deux sections, dont la première s’intitule « Délimitation d’un univers aristocratique » et s’intéresse à la position sociale des personnages des comedias, mettant l’accent sur le fait que l’image de la vie réelle, telle que reflétée par ces œuvres, n’était que « tronquée ». Pourtant, pour les adaptateurs des comedias en France, la « population » de ces textes était encore trop nombreuse. C’est la raison pour laquelle, Rotrou, par exemple, n’hésite pas à éliminer les personnages et les scènes qui n’étaient pas trop évocateurs pour le public français de l’époque. De telles « réductions de l’éventail social » sont également opérées dans les œuvres de Scarron ou Boisrobert. Le théâtre français a préféré, à la différence de celui espagnol, de séparer clairement les personnages et leurs statuts sociaux, illustrant ainsi les critères d’un monde aristocratique beaucoup moins permissif qu’en Espagnevi. La seconde section, « Modélisation des rapports hiérarchiques », présente l’évolution des relations sociales de nature codifiée caractérisant les deux côtés des Pyrénées. De ce point de vue, un premier aspect ayant intéressé les adaptateurs des comedias est constitué par la relation entre le prince et son vassal ou courtisan - les auteurs français affirmant surtout « l’intangibilité royale » -,  suivie par la relation entre pairs – surtout à partir de 1640, dans les comedias de capa y espada, entre nobles de même rang,  et finalement par la représentation sur scène des relations entre le maître et son gracioso ou valet, le dernier étant l’alter ego, le double et le revers du premiervii. La conclusion de ce chapitre met l’accent sur les bienséances considérablement plus strictes en France qu’en Espagne, surtout lorsqu’il s’agit du statut de la royauté et de sa souche divine.
Le quatrième chapitre s’intitule « Personnages et camouflages » et constitue une analyse attentive, par le prisme de ses personnages représentatifs, de la récurrence de la « question de l’identité masquée, ignorée, usurpée ». Le déguisement, procédé spécifique à l’âge baroque, connaît une place importante dans l’esthétique des comedias, et a été souvent repris par les adaptateurs françaisviii. Le déguisement constitue aussi ce moyen qui fait la liaison entre « l’être et le paraître », qui par « ce recours à l’illusions », « permet précisément d’identifier le caractère illusoire de l’apparence »ix.  Le déguisement intervient surtout en liaison avec la représentation de l’univers des sentiments. Il s’agit d’un parcours initiatique, qui vise à enseigner la confiance dans l’autre, par des héros convaincus dès le début de leur amour, sans connaître la personne aimée, et qui sont finalement récompensés par la révélation de l’identité de l’être aimé. Dans ce theatrum mundi, la noblesse ne pouvait plus être démontré par la seule action héroïque, elle était encore soutenue par la capacité de déchiffrer au-delà des apparencesx. Un aspect très intéressant est représenté par la comparaison entre le changement d’identité adopté par certains personnages et leur crédibilité très peu doutée à l’intérieur des comedias, et la situation similaire dans les adaptations françaises. Puisque dans ces derniers ce sont la bienséance et la vraisemblance qui prédominent comme principes dramaturgiques, il faut que le déguisement, s’il est utilisé, soit « dénoncé comme illusoire et inopérant », le personnage restant « prisonnier de son identité première »xi. Sur la scène française, la relation de la vraisemblance et de la bienséance est beaucoup plus forte qu’elle n’est dans le théâtre au-delà des Pyrénées, où la logique interne est beaucoup plus souple et susceptible à accepter des différences de classes. Par contre en France, on considère qu’une telle inégalité de statut social est de loin moins acceptable que la transformation inopinée du destin d’une bergère par exemple qui tout d’un coup apprend qu’elle est noble et fortunéexii. Au début du XVIIème siècle, l’indifférenciation du statut sociodramatique des personnages de comedias joue un rôle important, ce qui caractérise dans une moindre mesure les adaptations françaises, à l’exception des œuvres de Scarron. Ce dernier d’une part semble violer volontairement les règles de la bienséance interne caractérisant les œuvres qu’il imite, et d’autre part installe une sorte de « distanciation ironique qui ruine le principe de vraisemblance », il instaure toujours « une écriture seconde » qui faisant référence à une autre forme littéraire, rompt constamment l’illusion. « Scarron ne tourne pas en dérision la seule comédie à l’espagnole : sa satire s’étende aux genres sérieux, qu’il démythifie »xiii.
Le cinquième et dernier chapitre est intitulé « Personnages et structure dramatique », étant axé sur la transformation des personnages selon le genre dramatique à l’intérieur duquel ils évoluent. A savoir, si dans la comedia, la frontière entre comique et tragique n’est pas précise, s’agissant toujours d’une question de perspective, la situation en France est bien différente et lors des adaptations, les personnages doivent s’intégrer dans les règles de la tragi-comédie – dont les sources se retrouvent dans les comedias palatinas - et surtout de la comédie – tirée de la comedia de capa y espada. Peu à peu, les adaptations françaises démontrent une préférence pour ces dernières, et pour une structure linéaire à un seul personnage principal. Ceci indique le fait que vers les années 1640 la comedia était parvenue à se naturaliser sur la scène française dans une forme spécifique, assez proche des comédies de Molièrexiv. Dans les adaptations françaises, le personnage principal en tant que tel acquiert une place plus importante que son rôle dans un réseau interactif et dynamique, tel que c’était le cas dans les pièces espagnoles. Sur la scène française, l’accent mis sur le protagoniste constitue un moyen de réduire les intrigues secondaires. Cet aspect est illustré par les titres mêmes des comédies  françaises, dont plus de la moitié renvoie au personnage principal. L’auteur dresse une analyse détaillée, soutenue par des tableaux statistiques, du statut du personnage à l’intérieur des adaptations françaises et des comedias, en insistant sur le déséquilibre caractérisant les premières, et causé par l’importance du protagoniste, mais aussi sur le poids des prises de parole. Si dans les comedias ce sont surtout les personnages nobles qui parlent, en France, dans les tragi-comédies la haute proportion des prises de parole des nobles est maintenue, à la différence des comédies, où les personnages de basse condition ont de plus en plus le droit de s’exprimer librementxv. Alors que dans le dernier vers,  le gracioso signale très nettement au public espagnol de l’époque que tout ce qui a été présenté sur la scène n’était que du théâtre, les adaptateurs français au contraire s’acharnaient à cacher l’illusion. Leur tendance à former toujours des couples parmi les personnages de leurs pièces avait donc besoin d’être bien motivée à l’intérieur de l’intriguexvi. Les personnages des comedias ne sont pas de types, ils ne sont ni innocents ni coupables, et par-dessus tout, ils ont le pouvoir de rebondir, de dépasser tout obstacle. Les personnages français, d’autre part, sont plus soupçonneux, plus penchés vers la jalousie, plus tentés par la psychologie. Par ce besoin de motivation très nette, le personnage des comédies françaises « semble outrepasser les exigences de la définition aristotélicienne »xvii. Bien qu’on soit encore loin des types, imposés sur la scène française par Molière, avec ces adaptations des comedias on est en présence de caractères bien définis qui n’existaient pas dans les textes d’origine, où le personnage se basait surtout sur sa relation avec les autres, avec l’intrigue, avec l’ensemble de la pièce. La notion de caractère a été empruntée, évidemment, au texte de la Poétique d’Aristote, dont l’interprétation connaissait un grand essor à l’époque. Le souci pour la manière d’expression des personnages s’explique, lui aussi, par l’influence de la théorie aristotélicienne. Dans ce contexte on peut aisément expliquer, par exemple, la diminution du nombre des apartés sur la scène française, tenant compte de l’ampleur de la notion de vraisemblance et de son impact. Les différences entre les deux systèmes dramaturgiques sont illustrées, au moins sur le plan théorique, par les opinions divergentes de La Mesnardière et de Lope de Vegaxviii.
Dans les pages des « Conclusions », très amples d’ailleurs, l’auteur du volume rappelle l’apport de chacun des écrivains français de référence pour la pratique des adaptations des comedias : Rotrou – initiateur des adaptations des auteurs auriséculaires en France, mais influencé aussi par la commedia dell’arte ou le théâtre antique ; Boisrobert – « imitateur avisé », proche de Richelieu, adaptateur « peu audacieux » ; et finalement Scarron – qui à la différence des autres adaptateurs, a osé faire son propre choix, adoptant la voie du grotesque dans sa transposition du burlesque du théâtre espagnolxix. L’auteur présente aussi d’une perspective comparatiste la compréhension de la Poétique d’Aristote, des deux côtés des Pyrénées. Précisant que Chapelain était convaincu que le texte du Stagirite n’était pas du tout respecté par les auteurs espagnols, Catherine Marchal-Weyl rejette une telle approche et démontre que Lope de Vega dans son Arte nuevo de hacer comedias en este tiempos, prouve qu’il avait lu aussi bien le grammairien Donat commentateur de Térence, que les commentaires de l’œuvre aristotélicienne dressés par l’Italien Francesco Robortello. Pour faire d’une manière plus nette la différence entre les deux système dramatiques, Catherine Marchal-Weyl emprunte les expressions de Georges Forestier et précise que le théâtre espagnol se caractérise par l’« illusion comique », alors que celui français a comme trait distinctif l’« illusion mimétique », cette dernière fonctionnant selon le principe de la subjugation du regard. D’autre part, « le théâtre espagnol oubliait à cacher ses ficelles », illustrant une fois de plus le fait que toute l’intrigue de la pièce n’est que la transposition d’une illusion, car « c’est l’évidence de l’illusion qui rend la catharsis possible ». Egalement, on peut distinguer les deux dramaturgies, en parlant d’une « esthétique du divers », dans les cas des auteurs espagnols, et d’une « esthétique de l’un » pour l’art français. En guise de conclusion, il faut retenir que les adaptateurs français ont intégré la comedia, par les modifications qui lui ont apportées, dans un système esthétique tout à fait différent et bien défini, et aussi que les influences des comédies espagnoles sont beaucoup plus difficiles à saisir, mais non pas absentes, dans le théâtre français de l’époque ultérieure, c’est-à-dire, de Molière, Montfleury ou Hauterochexx. 
Le volume inclut aussi quatre annexes, à savoir deux tableaux de correspondance – entre pièces espagnoles et pièces françaises et, respectivement, entre pièces françaises et pièces espagnoles, mais aussi les résumés des pièces espagnoles et des pièces françaises dont il est question dans les pages de ce très rigoureux travail.

par Coralia Costas

Publie sur Acta le 30 juin 2007

Notes :
i Catherine Marchal-Weyl,  Le Tailleur et le fripier. Transformations des personnages de la comedia sur la scène française (1630-1660), Droz, 2007, pp. 21-30
ii Ibidem, pp. 31, 38
iii Ib., pp. 43 sq.
iv Ib., pp, 49 sq.
v Ib., pp. 61-62, 75
vi Ib., pp. 73 sq.
vii Ib., pp. 91, 92, 110, 115, 132
viii Ib., pp. 151-160
ix Ib., p. 168
x Ib., p. 173, 178
xi Ib., pp. 186-187
xii Ib., p. 199
xiii Ib., pp. 216, 217
xiv Ib., pp. 222-223, 230-231
xv Ib., pp. 232 sq.
xvi Ib., pp. 243, 244
xvii Ib., pp. 249, 251, 256-258
xviii Ib., pp. 267, 278-281
xix Ib., pp. 283 sq.
xx Ib., pp. 307, 311, 312, 314, 315, 321, 326

"La voie des adaptations: auteurs et personnages français du XVIIème siècle sous l'influence de leurs modèles espagnols", Acta Fabula, Mai-Juin 2007 (Volume 8, numéro 3), URL : http://www.fabula.org/revue/document3420.php


samedi 4 février 2012

Introduction aux grandes théories du Roman, III. Le roman à l'âge classique (2)

Je reprends une prise de notes commencée en juillet de l'an dernier sur le livre de Pierre Chartier, Introduction aux grandes théories du Roman, Bordas, 1990.


Je reprends le chapitre III, Le roman à l'âge classique.


4. Un apologiste honnête homme : Pierre-Daniel Huet


1670 : Traité sur les origines des romans (sur Gallica, l'édition de 1798-99, par Desessarts et aussi celle de Mariette, 1711 ; sur open library, l'édition de 1798 dans des conditions de lecture plus agréables, comme toujours sur open library)
Publié tout d'abord en préface de Zaïde, publié sous le nom de Segrais mais écrit par Mme de La Fayette.


Sur Persée, un article de Camille Esmein, auteure d'une thèse sur l'essor du roman au XVIIe siècle, dans les Cahiers de l'association internationale des études françaises.
Le traité sur les origines des romans, apologie du roman baroque ou poétique du roman classique

On trouvera sur Gallica ainsi que sur open library l'édition de plusieurs oeuvres de Huet, notamment :
- Traité philosophique de la faiblesse de l'esprit humain
- Traité de la situation du paradis terrestre
- Histoire du commerce et de la navigation des anciens
- la traduction française de ses mémoires, précédée d'éloge historique de Huet par l'abbé d'Olivet.


Huet qui fut d'abord fort marqué par le cartésianisme entend montrer dans le Traité philosophique de la faiblesse de l'esprit humain que l'homme ne peut atteindre par la raison à la vérité mais ne peut y avoir accès que par la foi. 
Il serait sans doute intéressant de mettre cette position qui fonde une anthropologie de la connaissance avec celle qu'il défend dans le Traité sur les orgines des romans.


Nombreuses rééditions durant la période classique.


Triple qualité :
- qualité de l'information
- perspicacité
- habileté à défendre le genre contre ses détracteurs


Double naissance du roman


Perspective historique : rôle fondateur joué par la rupture que représente la chute de l'Empire romain.
"lorsque ces nations farouches du Nord portèrent partout leur ignorance et leur barbarie. L'on avait fait auparavant des romans pour le plaisir, on fit alors des histoires fabuleuses, parce qu'on n'en pouvait faire de véritables, faute de savoir la vérité."


Les histoires des temps mérovingiens ne sont que des "ramas de mensonges grossièrement imaginés".


Moyen-Âge : invention du roman moderne en France, transmis ensuite à l'Italie et l'Espagne.


Au fondement de l'histoire du roman, une anthropologie universaliste, fondée sur la notion de plaisir. L'inclination aux fables est un trait commun à tous les hommes qui leur est naturelle. 
"Le désir d'apprendre et de savoir est particulier à l'homme, et ne le distingue pas moins des autres animaux que sa raison."
"les facultés de notre âme étant d'une trop grande étendue et d'une capacité trop vaste pour être remplies par les objets présents, l'âme cherche dans le passé et dans l'avenir, dans la vérité et dans le mensonge, dans les espaces imaginaires, et dans l'impossible même, de quoi les occuper et les exercer."


Diversification de cette disposition humaine à tisser des fictions :


- tient compte ou non de la vérité.


- emprunte la voie médiane et difficile (science) ou immédiate et facile (roman).


Théorie de la catharsis : "toutes nos passions (qui sont "les grands mobiles de toutes les actions de notre vie") s'y trouvent agréablement excitées et calmées".


Théorie d'une double lecture :


- lecture des enfants et des simples qui se contentent de l'écorce.
- lecture de "ceux qui pénètrent plus avant et vont au solide", les lecteurs "polis" qui "se dégoûtent de cette fausseté" et recherchent "l'excellence de l'invention et de l'art."


Les amateurs de "fiction ingénieuse, mystérieuse et instructive" en fait appliquent la théorie de Saint Augustin, selon lequel "ces faussetés qui sont significatives, et enveloppent un sens caché, ne sont pas des mensonges, mais des figures de la vérité, dont les plus sages et les plus saints personnages, et Notre Seigneur même, se sont servis."


La tradition de la figure


Inscrire le roman dans une tradition de valorisation de la Figure :
- Platon, Aristote (couple vérité-poésie), Plutarque, Cicéron (historia/fabula) (cf. W.Nelson, Fact or Fiction. The dilemma of the Renaissance Storysteller, Havard U.P., 1973)
- Histoire Sainte


Chez Huet, opposition entre poésie et poésie / fable (pur mensonge)


Définition du roman régulier


Ce que l'on appelle proprement Romans sont des fictions d'aventures amoureuses, écrites en prose avec art, pour le plaisir et l'instruction des lecteurs. Je dis des fictions, pour les distinguer des histoires véritables. J'ajoute, d'aventures amoureuses, parce que l'amour doit être le principal sujet du Roman. Il faut qu'elles soient écrites en prose, pour être conforme à l'usage de ce siècle. Il faut qu'elles soient écrites avec art, et sous certaines règles ; autrement ce sera un amas confus, sans ordre et sans beauté.
Etablir la différence entre le roman et le poème épique :
- roman : moins vaticinant, moins figuré, moins merveilleux, ne chante pas les combats, décrit exactement et fidèlement les circonstances de la vie privée.


Refus des "histoires entièrement controuvées".


Critère (aristotélicien) de la vraisemblance : opposition entre "des fictions de choses qui n'ont point été et n'ont pu être" et les romans, "fictions de choses qui ont pu être".

Eloge des femmes 


Comprendre le succès du roman au XVIIe : rôle des femmes.


Je crois que nous devons cet avantage à la politesse de notre galanterie qui vient à mon avis de la grande liberté dans laquelle les hommes vivent en France avec les femmes. (...) en France, les dames vivent sur leur bonne foi, et n'ayant point d'autres défenses que leur propre coeur, elles s'en sont fait un rempart plus fort  et plus sûr que toutes les clefs, que toutes les grilles, et que toute la vigilance des Duègnes. Les hommes ont donc été obligés d'assiéger ce rempart par les formes, et ont employé tant de soin et d'adresse pour le réduire, qu'ils s'en sont fait un art presque inconnu aux autres peuples. C'est cet art qui distingue les romans français des autres romans, et qui en a rendu la lecture si délicieuse, qu'elle fait négliger des lectures plus utiles.
Rôle accordé aux romans dans l'éducation des filles, pour lors qu'il s'agit de bons romans, d'une pureté parfaite de style et de moeurs.