dimanche 15 juillet 2012

Sacerdos sive rhetor, orator sive histrio : rhétorique, théologie, et « moralité du théâtre » en France de Corneille à Molière – Marc Fumaroli


Sacerdos sive rhetor, orator sive histrio : rhétorique, théologie, et « moralité du théâtre » en France de Corneille à Molière – Marc Fumaroli

Héros et orateurs, Droz, 1990

L’article se donne comme l’examen d’un ouvrage latin du Père Cellot, les 4 Orationes, dialogues sur la légitimité du théâtre. L’intérêt de l’article est surtout de resituer l’ouvrage en question dans le cadre plus vaste de la querelle de la moralité du théâtre, elle-même intégrée dans un changement de paradigme plus général, tout en proposant une relecture particulièrement pertinente de l’Illusion comique et de Tartuffe dans un tel cadre.

Fumaroli choisit de restituer la « querelle de la moralité du théâtre » en France au XVIIe  dans sa dimension historique en la situant dans un changement civilisationnel plus important : le passage d’une société que structure l’autorité sacrée de l’Eglise au modèle qui est encore le nôtre et dans lequel a surgi « l’espace public laïc » - concept de Habermas.

Il s’agit de faire apparaître la nécessité historique qui fait que la querelle du théâtre se développe à ce moment et en cet endroit : durant le XVIIe en France.
L’enjeu pour Fumaroli de la « querelle du théâtre », c’est l’émergence de cet « espace public laïc » dont le théâtre est à la fois « le modèle » et le « meilleur garant ».

Historiquement, on a lié à l’humanisme, au retour aux Anciens, la volonté de faire renaître le théâtre antique, parallèlement à la renaissance de la rhétorique.

En marge, Fumaroli prend position de façon très nette contre une vision qui verrait dans le théâtre « moderne » qui naît au tournant du XVIe et du XVIIe en Europe un héritier du théâtre sacré qu’il rattache au rituel chrétien (opposition à la fois entre les conditions de représentation et la signification symbolique qui s’attache aux deux formes).

Par ailleurs, face au monde réformé où la distinction traditionnelle clerc/laïc est remplacée par une tentative d’assimilation de la sphère profane dans la sphère sacré, le monde catholique où la distinction est préservée semble un terrain proprice au conflit entre un théâtre profane qui revendique son autonomie et les autorités religieuses qui tentent de garder la maîtrise de l’espace symbolique.

Enfin, il oppose Italie et France, la première suivant finalement plutôt la voie de la « modération chrétienne » illustrée par le jésuite Ottonelli (1584-1670) et la seconde celle tracée par Charles Borromée (1538-1584), évêque de Milan engagé dans un combat contre les spectacles. Pour Fumaroli, l’opposition s’explique par une plus forte implantation de la réforme tridentine dans la zone italienne permettant paradoxalement une meilleure maîtrise du monde théâtral – « la modération chrétienne ».

A l’intérieur du monde religieux fondamentalement hostile au théâtre profane qui prospère à cette époque, Fumaroli s’attache ensuite à dégager la spécificité de la position jésuite.
Fondamentalement, les Jésuites partagent eux aussi cette hostilité au théâtre mais ils se distinguent par la stratégie qu’ils adoptent face aux caractéristiques nouvelles de la société de leur temps. Eux-mêmes fruits de leur époque, ils recourent aux moyens modernes : recours à la rhétorique, théâtre de collège. Il s’agit en partie aussi de reconquérir l’espace qu’occupent les spectacles profanes en proposant des fêtes liturgiques qui présenteraient le même pouvoir de séduction.
Ces choix expliquent d’ailleurs qu’ils ont pu être attaqués à la fois par les partisans d’un retour à une société strictement contrôlée par l’Eglise et ceux d’une société où l’espace public laïc a trouvé sa place.

Possibilité de lire dans ce contexte à la fois l’Illusion comique de Corneille (années 1635-39) et le Tartuffe de Molière (1665-1669) :
-          L’Illusion comique va apparaître comme un plaidoyer en faveur de la dignité des comédiens, et plus encore du dramaturge qu’on mettre en relation avec la « déclaration royale de 1641 » qui accordait une dignité juridique aux comédiens.
Ici la distinction qui s’opère entre comédiens et histrions est stratégique dans le processus de légitimation.
-          Tartuffe : faire glisser l’indignité juridique de la figure du comédien à celle du faux dévot.
Fumaroli souligne plusieurs aspects essentiels du Tartuffe :
Ø  La famille d’Orgon représente un microcosme de la société laïque qui s’est mise en place au cours du XVIIe, avec le clivage entre les nostalgiques d’un univers médiéval où la vérité n’est pas objet de débat et toute entière sous l’autorité de l’Eglise (Mme Pernelle, Orgon) et les représentants de ce nouveau monde, Elmire.
Ø  Etapes du combat entre les deux parties.
Ø  Rôle de Dorine
Ø  Mais surtout, à l’acte IV, exaltation de la mimèsis théâtrale autour de la figure d’Elmire
Ø  Finalement, la crise sera résolue par l’intervention providentielle du roi, véritable garant de l’espace laïc profane qui se met en place
On obtient donc finalement un couple comédien-roi comme véritable garant de la nouvelle société qui se met en place.
Théâtre de Molière comme « le grand théâtre de l’Etat laïc ».