vendredi 20 mai 2011

Pierre Bourdieu, "Pour une science des oeuvres" in Raisons pratiques

Prise de notes sur la conférence prononcée à Princeton University en 1986

"Les champs de production culturelle proposent à ceux qui y sont engagés un espace des possibles qui tend à orienter leur recherche en définissant (...) tout un système de coordonnées qu'il faut avoir en tête (...) pour être dans le jeu."

Cette notion d'espace des possibles permet de poser la différence entre professionnels et amateurs (ex. les naïfs en peinture)
Espace des possibles : les producteurs sont donc à la fois "situés et datés et relativement autonomes". Nécessité pour un producteur de "prendre position" dans "l'univers des points en discussion." Ex. des metteurs en scène.

Espace des possibles : transcendant aux producteurs - système de coordonnées commun, situant les créateurs contemporains les uns par rapport aux autres.

Suit l'examen de "l'espace des manières possibles d'analyser les oeuvres culturelles".

L'oeuvre comme texte

Opposition entre les explications externes et interprétations internes.

La lecture interne : le fait des lectores, i.e des profs de littérature. Soutenue par la logique de l'institution universitaire, elle n'a pas à se constituer en doctrine et peut rester à l'état de doxa.

Le New Criticism : expression explicite, constitution en théorie des présupposés de la lecture "pure", fondée sur l'absolutisation du texte. cf. T.S.Eliot et Valéry : "les oeuvres culturelles sont conçues comme des significations intemporelles et des formes pures appelant une lecture purement interne et anhistorique."

Deux fondations théoriques possibles :
  1. Théorie néo-kantienne des formes symboliques ; recherches des structures anthropologiques universelles ou des formes universelles de la raison poétique ou littéraire.
  2. Théorie structuraliste : oeuvres culturelles considérées comme des "structures structurées sans sujet structurant" qui sont "des réalisations historiques particulières", "mais sans référence aux conditions économiques ou sociales de la production de l'oeuvre".
Foucault : seule formulation rigoureuse du projet structuraliste d'analyse des oeuvres.
Primat des relations : "La langue est forme et non substance" (Saussure).
L'oeuvre n'existant qu'à travers "les relations d'interdépendance qui l'unissent à d'autres oeuvres", Foucault définit le "système réglé de différences et de dispersions" à l'intérieur duquel chaque oeuvre singulière se définit "champ de possibilités stratégiques".
Mais pour lui, le principe d'élucidation réside tout entier dans l'ordre du discours ; affirmation de l'autonomie absolue de ce "champ de possibilités stratégiques" : épsitèmè. Refus de chercher "le principe explicatif de ce qui se passe dans le "champ des possibilités stratégiques"" dans ce que Foucault appelle "le champ de la polémique" ou "les divergences d'intérêts ou d'habitudes mentales chez les individus".

Pour Bourdieu, "Foucault transfère dans le ciel des idées les oppositions et les antagonismes qui s'enracinent dans les relations entre les producteurs et les utilisateurs des oeuvres considérées."

Bourdieu : refus de traiter l'ordre culturel comme un système autonome. Une telle position interdit de "rendre compte des changements qui surviennent dans cet univers séparé" - à moins de tomber dans un essentialisme/fétichisme de type hégélien (selbstbewegung). Cf. remarque de Wittegstein sur les vérités mathématiques, "produits historiques d'un certain type de travail historique accompli selon les règles et les régularités spécifiques de ce monde social particulier qu'est le champ scientifique.

Même critique pour les formalistes russes ne considérant que le système des oeuvres (intertextualité) et ainsi "contraints de trouver dans le système des textes lui-même le principe de sa dynamique". (Tynianov)


mercredi 18 mai 2011

Jean Strarobinski, "La relation critique" (L'Oeil vivant II) - prise de notes

Article de 1967

- Distinction entre méthode et théorie :
  1. double définition de la théorie à la fois comme "hypothèse anticipatrice sur la nature et les rapports internes de l'objet exploré" et comme "contemplation compréhensive d'un ensemble préalablement exploré". Dans le domaine littéraire, le regard "théorique" rétrospectif est en grande partie déterminé par le projet de l'oeuvre à venir.
  2. Méthode critique : codifier les moyens techniques et aussi plus largement réfléchir sur les fins
Question de la "nouvelle critique" : pas de programme qui précèderait l'étude des oeuvres ; "la théorisation de la méthode apparaît comme la conséquence et comme l'ombre portée d'un long travail pratique."
Place de la réflexion méthodologique en critique littéraire : aucunement douée d'une antériorité de droit. Cette réflexion en fait "escorte le travail critique, l'éclaire obliquement".

Cependant, nécessité de dépasser le "cas particulier d'une oeuvre ou d'un auteur". Dans ce cas, la méthode ne serait que "tâtonnement intuitif", "écho sensible", "reflet intellectualisé, docile à la séduction singulière de chaque lecture".
Nécessité de s'orienter vers "une unité finale", "d'élaborer la vision unifiée dans laquelle cette diversité s'offre à la compréhension en tant que diversité."
Paradoxe de la méthode ("réflexion sur les fins" et "codification des moyens") en critique littéraire : ne peut "se formuler conceptuellement qu'au moment où elle a accompli son office"

En tant que savoir, la critique s'achemine nécessairement "vers une théorie de la littérature", mais "cette généralisation du savoir critique reste en perpétuel devenir".

Défense de la notion de trajet critique - qui "s'effectue à travers une série de plans successifs, parfois discontinus, et à des niveaux de réalité différents."
Impossibilité de préconiser une méthode prédéfinie : "pour chaque plan particulier il existe une méthode préférable". Pas de méthode rigoureuse régissant le passage d'un plan à un autre plan, passage qui "est pourtant le moteur décisif du trajet critique". Par exemple, nécessité préalable du travail philologique avant l'élaboration de l'interprétation.

Ce qui implique que le rapport à l'oeuvre varie - nécessité d'une souplesse dans l'approche - tout en étant orienté vers une "totalisation du savoir et vers l'élargissement du spectacle intelligible."

"Variation grâce à laquelle l'oeuvre déploie des aspects différents, et grâce à laquelle aussi la conscience critique se conquiert elle-même, passe de l'hétéronomie à l'autonomie."

Passage d'une coïncidence empathique à une conscience de la loi de l'oeuvre : "l'éloignement que j'ai conquis m'apparaît comme la condition nécessaire pour qu'il n'y ait plus seulement acquiescement à l'oeuvre littéraire, mais rencontre avec celle-ci".

L'oeuvre aussi "se manifeste comme un trajet" - discours, fil narratif, flux poétique.

Spécificité de l'oeuvre littéraire : "cet événement reste inclus dans l'univers des mots : son mode d'action spécifique, sa façon propre d'agir passe par le détour de la "disparition élocutoire" des actes et des passions."
Double définition de la littérature comme "relation avivée - par le moyen de la transposition "élocutoire", qui implique l'émergence, libre et autonome, de l'élément du langage pur, et par conséquent une relation suspendue".

Travail au sein du lecteur. Rapport entre la conscience du lecteur et l'oeuvre : "elle a besoin d'une cosncience pour s'accomplir"; "elle se prédestine à une conscience réceptrice en qui se réaliser". (cf.G.Poulet).
Mais possibilité de "revenir aux multiples signes objectifs dont est composée cette chose (le livre)" - "les garants matériels de ce qui fut, à l'instant de la lecture, ma sensation, mon émotion".

Nécessité de "mettre entre parenthèses" l'émotion originelle de la lecture, de "traiter résolument en objets ce système de signes dont j'ai subi jusqu'à présent sans résistance et sans retour réflexif la magie évocatoire".
"Etude "immanente" des caractères objectifs de l'oeuvre : composition, style, images, valeurs sémantiques." Système complexe des rapports internes. Structure de l'oeuvre.
Remarque sur la nécessité de dépasser l'opposition entre "une face objective" et une "face subjective". "Car la réalité de la pensée consiste à être apparaissante ; l'écriture n'est pas le truchement douteux de l'expérience intérieure, elle est l'expérience même."

"Sans quitter l'analyse immanente de l'oeuvre, la tâche critique nous apparaît comme une totalisation inachevable de relevés partiels, dont la somme, loin d'être disparate, devrait s'intégrer de façon à mettre en évidence l'unité structurale qui gouverne le jeu des rapports internes entre les éléments et parties constituants."

Passage à un niveau supérieur :
après avoir traité l'oeuvre comme un monde, nécessité de s'attacher à l'intégration de l'oeuvre dans "un plus grand monde".
Il ne s'agit pas de "chercher la loi de l'oeuvre hors de celle-ci", mais de reconnaître ce qui dans l'oeuvre se rapporte à l'univers extérieur à l'oeuvre."
Par exemple, l'oeuvre peut apparaître comme l' "expression microcosmique de l'univers dans lequel elle a pris naissance" - "le déchiffrement de l'oeuvre me renverra à un "style d'époque", et vice versa".
Ce regard sur l'oeuvre trouve son illustration dans l'approche structuraliste, tentant de "mettre en évidence un logos commun à toutes les manifestations synchroniques d'une culture et d'une société données".
Validité d'une telle approche dans le cas de culture stable - "pour une littérature qui serait jeu réglé dans une société réglée". Par ex., analyse des contes populaires et des mythes primitifs.
Limite du structuralisme radical : dès lors que l'histoire intervient et qu'apparaît un élément perturbateur qui rompt l'équilibre.
"Dès l'instant où la philosophie s'arroge le droit de questionner (sans même le contester) le bien-fondé des institutions et des traditions, dès l'instant où la parole poétique, cessant de se réduire au seul jeu réglé, cesse d'être l'exorcisme de la transgression pour devenir elle-même transgressive". Mise en parallèle avec l'échec de l'ancienne critique normative à contraindre les oeuvres à s'insérer dans le cadre prédéfini de genres.

Modernité : les oeuvres et les sociétés n'appartiennent pas à la texture homogène d'un même logos. Pas de "système unitaire et cohérent de significations".
Tâche de la critique "immanente" : "déceler, à l'intérieur des textes (...) tout ce qui, dans le monde contemporain, donne à l'oeuvre de génie sa valeur de monstruosité ou d'exception sur le fond de la culture qui la porte."
Polyvalence : les éléments qui - dans leurs rapports réciproques - contribuent à la cohérence organique interne de l'oeuvre sont ceux-là mêmes qui, sous un autre angle, soutiennent une relation différentielle et polémique avec la littérature antérieure ou avec la société contemporaine."
"Les tensions internes dont vit l'objet littéraire comptent parmi leurs composantes des forces "destructurantes", dont la compréhension n'est possible qu'au prix d'une confrontation de l'oeuvre avec son origine, ses effets lointains, son milieu environnant."
"Comprendre une oeuvre dans ses rapports différentiels avec ses attenants immédiats : un homme, en devenant l'auteur de cette oeuvre, s'est fait autre qu'il n'était auparavant ; et ce livre, en s'introduisant dans le monde, oblige ses lecteurs à modifier la conscience qu'ils avaient d'eux-mêmes et de leur monde."
Réintroduction de la dimension "existentielle", sociologique et psychologique, dont il avait été abstraction pour interroger les rapports internes de l'oeuvre.
L'oeuvre redevient événement - passage à l'oeuvre.
Réintroduction du sujet comme sujet structurant de la structure structurée. Si on renonce à chercher l'auteur antérieur à l'oeuvre, "j'ai le droit et le devoir d'interroger l'auteur dans son oeuvre en demandant : qui parle ?"
Interrogation sur le destinataire.
Au trajet textuel, s'ajoute le trajet intentionnel impliqué dans le trajet textuel.

Dépassement et limitation du structuralisme : "Ce qui limite la compétence du structuralisme, c'est le fait que le trasit que nous venons d'évoquer ne s'effectue pas dans le "medium" homogène et continu du langage explicite."

Points de discontinuité : "passage à la parole", "recours à la littérature et à l'imaginaire".
"Il n'est point d'oeuvre moderne qui ne porte en elle l'indice ou la justification de sa propre venue au monde (Proust, Montaigne). Il faut déchiffrer dans l'oeuvre, la nature spécifique d'un désir, d'un pouvoir (d'un génie), qui a cherché à s'atteindre lui-même et à s'attester en donnant naissance à l'oeuvre."
Discontinuité : cf. Spitzer, "la personnalité d'un auteur (se liant) à un système d'écarts et de différences par rapport à la langue "moyenne" du moment culturel."

Oeuvre comme exception, comme monstre - paradoxe des oeuvres scandaleuses qui "deviennent des oeuvres exemplairement scandaleuses, des paradigmes" (paradoxe inhérent au langage et à la lecture compréhensive).

Autre risque du discours critique : perte de la singularité.
"Le discours critique unifie le champ de son investigation, et plus il poursuit sa propre unité, plus il se rend différent de la réalité multiple et brisée dont il s'occupe."
Cf. Blanchot : "entre la culture, qui tend à l'unification et à l'universalisation d'un discours rationnel, et la littérature, qui est l'annonciatrice du refus et de l'incompatible, la critique prend habituellement le parti de la culture." - attitude hégélienne, récupération des moments de rupture comme moment du devenir de l'esprit.

"Mais la compréhension critique ne vise pas à l'assimilation du dissemblable."

Question du statut du discours critique, dans sa relation à l'oeuvre :
"Le discours critique se sait, en son essence, différent du discours des oeuvres qu'il interroge et explicite. Pas plus qu'il n'est le prolongement ou l'écho des oeuvres, il n'en est le substitut rationnalisé."
Ecarter le risque du monologue.
Mise en évidence de trois moments coordonnés dans l'approche critique :
  1. la sympathie spontanée / certitude immédiate de la lecture
  2. l'étude objective / vérifiabilité de la technique "scientifique"
  3. la réflexion libre / plausibilité rationnelle de l'interprétation
"Mais chacun de ces dangers cesse d'être un danger quand il devient moment d'un devenir de la pensée : l'oeuvre doit être écoutée, nous devons coïncider avec elle et la répéter en nous ; tous les faits objectivables doivent être rigoureusement établis ; mais ces faits doivent être à leur tour librement interprétés, et, à ce point, nous devenons conscients que les faits sont déjà, dans leur apparente objectivité, le produit d'un premier choix interprétatif."

Pôles du trajet critique entre : Tout accepter / tout situer

passer "d'une dépendance aimante à une indépendance attentive."

Faire que le discours critique ne soit pas "une machine célibataire", mais forme couple avec l'oeuvre. "Bref, l'oeuvre critique lie deux vérités personnelles et vit de leur intégrité préservée."
Métaphore conjugale (mais ne respectant pas la dimension imaginaire de l'oeuvre - qui est toujours "notre chère disparue" qu'il s'agit de faire revivre) ; métaphore de la nékuia homérique - Ulysse offrant le sang de bêtes sacrifiées aux ombres.

Question de la "nouvelle critique" (sociologique, thématique, psychologique, phénoménologique, linguistique) : extension de l'approche historique traditionnelle.
L'application de telles méthodes est fructueuse non seulement pour la littérature elle-même (renouvellement des approches), mais pour ces méthodes elles-mêmes qui sont ainsi mises à l'épreuve du singulier et de l'exception : nécessaire appréciation de la validité des résultats par le chercheur lui-même.

Définition d'un idéal de critique : "composé de rigueur méthodologique et de disponibilité réflexive".
Opposition entre la technicité et la souhaitable scientificité (qui permet et invite à un travail collectif) et d'autre part la réflexion qui est un retour évaluatif sur le trajet critique parcouru.

Nécessité pour la critique de se faire oeuvre, de quitter "les limites du savoir véritable".
"Elle portera donc la marque d'une personne - mais d'une personne qui aura passé par l'ascèse impersonnelle du savoir "objectif" et des techniques scientifiques."

mercredi 11 mai 2011

Georges Hardy et l'enseignement colonial

Un billet où je me contente d'indiquer du travail à faire, un jour.

Des recherches autour d'une figure rencontrée en lisant le livre de Louis-Jean Calvet sur le français en Afrique noire :
Georges Hardy, qui fut notamment inspecteur de l'enseignement en AOF de 1912 à 1919, à la fois acteur et théoricien de la colonisation et de l'enseignement dans le cadre colonial.

Une note à son sujet de Carine Eizlini, sur le site de l'ENS-lyon.
L'article de Wikipédia à son sujet.

Des éléments intéressants sur l'enseignement en AOF dans un rapport de mission de 1956 sur les bibliothèques et la lecture publique en AOF.

Un article où la figure de Georges Hardy apparaît, évoquée de façon assez réductrice : Education et conquête coloniale en Afrique francophone subsaharienne, de Mohamed Kamara.

Un compte rendu, datant de 1934, du livre de Georges Hardy, Colonisation et géographie, dans les Annales de géographie.

dimanche 8 mai 2011

A propos d'Amadou Hampâté Bâ, sur internet

En passant, trois références trouvées sur Amadou Hampâté Bâ sur internet,

un article examinant son oeuvre à travers la question de la représentation de l'espace linguistique francophone malien :


Une thèse de doctorat déjà ancienne (1988) sur l'oralité dans l'oeuvre de Hampâté Bâ :


Et puis un article consacré au rapport entre la pensée de Hampâté Bâ et celle de Théodore Monod :


samedi 7 mai 2011

Histoire de l'enseignement de la littérature dans le secondaire en France (6)

2. L’évolution du corpus

Ces modifications profondes qui touchent le système éducatif se répercutent aussi dans le corpus. Au niveau, par exemple, des œuvres proposées au baccalauréat, on assiste à un renversement : le XVIIème siècle, longtemps dominant, recule jusqu’à presque disparaître – même si les œuvres sont toujours étudiées en classe ; par contre, le XIXème et surtout le XXème, tenus à l’écart, occupent maintenant la première place. On peut voir là le souci d’offrir des textes accessibles à tous, tant au niveau de langue que de la culture. Au niveau des genres aussi un changement s’opère. Si avant la réforme du baccalauréat en 1970, c’était la prose d’idée qui dominait de façon nette, les années 1980 voient le triomphe du roman, genre longtemps tenu en suspicion et écarté des corpus scolaires, ce qui témoigne d’un recentrement de la notion de littérature autour de l’imagination. Notons enfin l’apparition du genre autobiographique.

3. L’évolution des exercices

Nous l’avons signalé, 1970 est l’année d’une importante réforme du baccalauréat qui réorganise la « composition française » de 1880 dont nous avions noté le caractère un peu « fourre-tout ». A l’écrit, d’une durée de 4 heures, sont maintenant proposés trois sujets au choix : l’étude d’un texte d’idée – défini ensuite comme texte argumentatif – suivi d’une discussion ; un commentaire composé d’un texte littéraire ; une dissertation sur un sujet littéraire. Depuis 2006, c’est un ensemble de trois ou quatre textes qui est offert aux candidats sur lequel ils doivent produire une dissertation, un commentaire composé ou un travail d’invention, ce dernier exercice renouant d’une certaine façon avec la tradition rhétorique de l’écriture d’imitation.

L’explication de texte qui fait l’objet d’une épreuve orale connaît aussi pendant cette période quelques transformations. Tout d’abord on peut souligner une volonté absente auparavant de s’associer le fond et la forme : reléguer en fin d’explication les remarques stylistiques n’est maintenant plus toléré. Parallèlement, l’exercice, redéfinie comme « lecture méthodique », prend un tour plus technique ; à une saisie intuitive du texte se substitue une étude usant d’outils venus de la linguistique – distinction récit/discours, énoncé/énonciation, fonctions du langage, schéma actanciel –, de la narratologie – focalisation, distinction auteur/narrateur. Il s’agit maintenant de construire le sens à partir d’une approche descriptive des faits de langage dans le texte. Par ailleurs, l’idée de morceaux choisis cède la place à celle, nouvelle, de groupement de textes, ordonnés d’abord autour d’une thématique puis d’une problématique commune. Parallèlement, dans un même refus de l’extrait isolé de tout contexte, on soulignera la valorisation dont l’étude des œuvres intégrales fait l’objet.

Conclusion

On a donc assisté en deux siècles à la naissance d’une discipline, à sa lente constitution puis à sa transformation. L’enseignement des lettres s’est d’abord conçu sur le modèle de celui des langues anciennes comme une version modernisée de l’apprentissage rhétorique, héritier de la culture antique, dans lequel le texte étudié se donnait d’abord comme modèle d’écriture. Avec le triomphe de la IIIème République, cet enseignement s’est vu assigné un rôle central dans la constitution du sentiment d’identité nationale chez les jeunes générations, tout en assurant pendant près d’un siècle une fonction de reproduction sociale, puisqu’il s’agissait pour le jeune lycéen, issu des classes favorisées, de se reconnaître dans le corpus de textes littéraires qui lui était offert. Les transformations profondes du monde éducatif à partir des années 1960 amenant à une démocratisation et une unification du système ont ensuite amené à une redéfinition de la fonction de l’enseignement des lettres qui, après un temps de relativisme culturel et de scepticisme face au pouvoir civilisateur de la littérature, semble s’orienter aujourd’hui vers une vision plus patrimoniale, appuyée sur une approche plus technique des textes.

Histoire de l'enseignement de la littérature dans le secondaire en France (5)

I. De 1960 à nos jours : la démocratisation de l’enseignement des lettres

1. Le contexte

Les années 1960 marquent dans l’histoire de l’enseignement secondaire une rupture fondamentale. Avec la création progressive du « collège unique », achevée en 1975, le système d’enseignement à deux niveaux dans lequel le secondaire était réservé à une partie de la population est unifié : en 1958 seulement un enfant de 11 ans sur deux entrait au collège, alors que ce sera le cas de 98% d’entre eux en 1973. Le mouvement touchera les lycées dans les années 1980. Ainsi si en 1958, seulement 27,7% des adolescents de 17 ans étaient scolarisés, ils seront 75,9% à l’être en 1984.

Cet élargissement du public scolaire et l’allongement du temps d’études, loin d’entraîner un réel développement de l’enseignement technique ou professionnel, conduisent en fait à la généralisation du modèle de l’enseignement général secondaire aux autres formes d’enseignement. Cependant cette généralisation n’est pas sans provoquer une transformation en retour de la conception même du cours de lettres au lycée, rebaptisées cours de français. Les instructions officielles de 1981 du ministère de l’Education sont sur ce point éclairantes : il ne s’agit plus de transmettre une culture littéraire commune, maintenant soupçonnée de n’être qu’un instrument de distinction sociale, mais au contraire de permettre le développement personnel de l’élève en le reconnaissant comme porteur de sa propre culture. Par ailleurs, la littéraire cesse d’être conçue comme un savoir gratuit et désintéressé pour être rattachée à des finalités professionnelles et citoyennes. Les années 1990 et 2000 redéfiniront cependant la mission de l’enseignement de façon plus traditionnelle comme transmission d’une culture littéraire commune, appuyée sur une connaissance de l’histoire littéraire.

Autre mutation importante du système éducatif, lourde de conséquences sur l’enseignement des lettres et qui marque la fin d’une époque : le latin, héritier des « humanités » et d’une éducation pluriséculaire centrée sur la rhétorique, cesse d’être le critère d’excellence au profit des mathématiques. La figure idéale que projette le système éducatif n’est plus celle du l’« honnête homme » mais celle du scientifique. Le passage de l’épreuve de français de la Terminale à la Première, qui a pour conséquence d’amputer les études des lettres d’une année illustre bien cette perte de prestige de la littérature. Par ailleurs l’approche plus technicienne de la littérature, inspirée des sciences humaines, n’est pas non plus sans lien avec cette transformation.

Histoire de l'enseignement de la littérature dans le secondaire en France (4)

1. L’approche de la littérature : la « composition française » et l’« explication de texte »

Une des mesures importantes prises en 1880, le remplacement à l’écrit du baccalauréat du discours latin par une composition française, donne à l’enseignement de la littérature française toute sa légitimité et oriente nettement les exercices qui seront pratiqués en classe. La « composition française » est en fait une épreuve composite, puisque les candidats peuvent se voir proposer des types de sujet assez différents : jusqu’aux années 1925, on trouve encore beaucoup d’exercices héritiers de la tradition rhétorique, exigeant de l’élève une écriture de type imitatif, comme les amplifications, les narrations ou encore les lettres fictives – par exemple, celle qu’écrirait Ronsard à du Bellay après avoir lu les Regrets. C’est cependant la « dissertation », exercice introduit au milieu du siècle, qui est le plus souvent donnée. Mais dans ce cas, même si les instructions officielles invitent les élèves à exercer leur jugement, il s’agit encore le plus souvent de simplement illustrer et « amplifier » la thèse proposée à la réflexion des élèves. Ce n’est que très lentement que s’imposera le plan « dialectique » où l’illustration de la thèse est suivie de sa réfutation, puis de la recherche d’un compromis ou d’un dépassement. Loin d’être toujours de nature littéraire, les sujets proposent parfois une réflexion de type moral : « Montrez quelle peut être l’influence salutaire ou pernicieuse des bons et mauvais exemples. Faites voir que les bons exemples sont les meilleures leçons ». De même, les sujets littéraires invitent souvent à une lecture morale de l’œuvre, comme ces sujets proposant de voir dans l’œuvre de Corneille « une école de volonté ».

Autre exercice considéré comme « centre de gravité » du cours de lettres : l’explication de texte français. Elle est longtemps conçue comme un effort pour élucider les difficultés du texte. Probablement en partie imitée de la praelectio, lecture commentée des textes anciens pratiquée dans les collèges de l’Ancien Régime, elle repose sur une conception du texte comme « expression des intentions de l’auteur » ; la recherche de la composition de l’extrait est un moment important de l’exercice qui s’achève souvent par une mise en valeur de la dimension morale et esthétique. La pratique de l’explication de texte s’accompagne du développement d’une littérature scolaire de « morceaux choisis » dont le plus célèbre, encore édité aujourd’hui, est le « Lagarde et Michard ».

Histoire de l'enseignement de la littérature dans le secondaire en France (3)

I. De 1880 à 1960 : les lettres dans l’Ecole républicaine

1. Une nouvelle conception de la littérature : modification du corpus

Si au tournant des années 1880, au moment où en France triomphent les idées républicaines, le nom de Jules Ferry est d’abord attaché à l’établissement de l’école primaire obligatoire pour tous, son rôle dans l’enseignement secondaire des lettres n’est pas non plus à négliger. A l’image de textes littéraires offrant à l’élève un modèle stylistique – mais aussi moral –, vient, sinon se substituer, du moins s’ajouter l’idée, déjà présente dans les textes officiels du Second Empire, que le corpus de la littérature française constitue un patrimoine national proposé à la fierté des élèves. Ici se conjuguent l’influence de l’histoire littéraire qui se développe comme disciplinaire universitaire au cours du siècle et celle des circonstances historiques, la IIIème République naissante exaltant le patriotisme au lendemain de la défaite française face à la Prusse en 1870.

Une telle conception nationale de la littérature conduit de façon logique à un élargissement du corpus qui s’ouvre alors à des périodes jusqu’ici ignorées : il ne s’agit plus de privilégier le Grand Siècle pour avoir su égaler les chefs-d’œuvre de l’antiquité et offrir ainsi aux élèves des modèles rhétoriques indépassables, mais de suivre dans le temps le développement organique du génie national. Le Moyen-Âge, la Renaissance obtiennent ainsi droit de cité dans les classes. De même, un autre XVIIIème siècle avec certains textes de Rousseau, le XIXème siècle à travers les poètes romantiques comme Lamartine ou Hugo commencent à être étudiés.

Il faudra attendre les années 1930-40 pour que Baudelaire, poète longtemps ignoré des programmes et jugé immoral, trouve sa place, signe d’une transformation de la conception de la poésie privilégiant davantage les émotions et les sentiments. Le XVIIIème des philosophes et de l’Encyclopédie doit attendre, lui, l’après-guerre pour s’imposer comme période valorisée par l’enseignement, alors que pendant longtemps l’image de Voltaire ou de Rousseau restait assez négative.

Il n’empêche qu’aux épreuves du baccalauréat ce seront les textes des auteurs classiques du XVIIème siècle qui continueront à dominer massivement sur toute la période, l’enseignement des lettres se situant dans la continuité des conceptions antérieures qui privilégiaient les auteurs classiques comme garantie d’accès au vrai, au bien et au beau.

Histoire de l'enseignement de la littérature dans le secondaire en France (2)

2. Le XIXème siècle : lente affirmation des lettres françaises

Après l’épisode révolutionnaire et les Ecoles centrales dont le projet est inspiré par les idées pédagogiques des Lumières, en particulier par la volonté d’ouvrir l’enseignement à l’expérience directe, Napoléon en instaurant les lycées impériaux qui deviendront sous la Restauration des collèges royaux marque le retour à une conception de l’enseignement proche de celle de l’Ancien Régime où dominent les « humanités » et l’esthétique classique. Comme au XVIIIème siècle et comme cela sera encore le cas pour la première moitié du XXème siècle, au XIXème, l’enseignement secondaire ne concerne qu’une petite minorité : de 2 à 3% d’une classe d’âge, exclusivement masculine, le reste de la population étant lui intégré peu à peu du siècle à une école primaire qui deviendra obligatoire jusqu’à 13 ans en 1882 – pour l’enseignement secondaire féminin, il faudra attendre 1880. Les « humanités » sont là pour assurer la formation d’une élite destinée à diriger les affaires de l’Etat.

Malgré la volonté, notamment sous le Second Empire, de mettre en place un enseignement ouvert au monde contemporain et en particulier à la littérature nationale – notamment avec la « bifurcation » (1852) et « l’enseignement secondaire spécial » (1865) –, l’hégémonie des études latines perdurera jusqu’aux grandes réformes des années 1880. Il suffit de regarder le « plan d’études » de 1852 du Ministère de l’Instruction et de comparer les horaires prévus pour l’explication des auteurs français (10 minutes par jour, le plus souvent en fin de journée) et celle pour les auteurs latins (45 minutes par jour) – mais en 1890 encore le français ne représentera que 3 heures hebdomadaires contre 10 pour les langues anciennes.

Le corpus continue à être centré sur la littérature classique, mais s’enrichit de l’introduction des œuvres théâtrales de Corneille, Racine et Molière, mais aussi Voltaire qui n’est pas encore considéré comme l’auteur des Contes philosophiques mais comme un auteur tragique et épique dont les tragédies seront lues dans les classes jusqu’au milieu du siècle – le post-classicisme du XVIIIème disparaissant à cette époque des programmes et le classicisme se recentrant sur le seul XVIIème. Ce sont en particulier les tragédies sacrées (Esther, Athalie, Polyeucte) qui sont choisies – et par contre, des pièces comme Tartufe devront attendre les années 1880 pour être introduite, au grand dam de l’enseignement catholique, hostile aussi au Pascal janséniste des Provinciales.

Histoire de l'enseignement de la littérature dans le secondaire en France (1)

Je publie ici la version française du chapitre destiné à un manuel de littérature. Ce chapitre a été rédigé essentiellement à partir des deux ouvrages suivants :

André Chervel, Histoire de l’enseignement du français du XVIIème siècle au XXème siècle, Retz, 2006

Violaine Houdard-Merot, La Culture littéraire au lycée depuis 1880, Presses Universitaires de Rennes, 1998


Histoire de l’enseignement des lettres françaises

La vision que nous avons de la littérature est en grande partie déterminée par l’image que nous en a transmise le système éducatif : la hiérarchie que nous établissons entre les œuvres, la définition et les limites que nous donnons au domaine littéraire sont tributaires de nos expériences des textes durant notre scolarité. C’est pourquoi il est éclairant de se demander comment dans le système scolaire les œuvres littéraires ont été abordées au fil du temps et quelle place leur a été donnée. Dans ce chapitre, nous examinerons comment à partir de la fin de l’Ancien Régime les textes littéraires français s’introduisent timidement dans ce qui deviendra l’enseignement secondaire et comment leur étude s’impose lentement au XIXème siècle avant de devenir au siècle suivant un élément central du système éducatif. Il s’agira de définir à la fois le corpus qui peu à peu se constitue, la manière dont ces textes sont abordés et les finalités dont est investi leur enseignement.

I. L’Ancien Régime et le XIXème siècle jusqu’en 1880 :

la lente naissance de l’étude des lettres françaises

1. L’Ancien Régime : un enseignement dominé par le latin

L’enseignement durant l’Ancien Régime est assuré surtout par les collèges, correspondant à nos collèges et lycées actuels. Dans un tel cadre, il faut souligner le rôle joué, jusqu’à leur expulsion en 1764, par les Jésuites qui depuis la création de leur ordre au XVIème siècle ont développé un puissant réseau de collèges dans toute l’Europe. L’enseignement, clairement défini par un ratio studiorum (plan d’études) s’y fait en principe en latin et est tourné vers l’acquisition d’une culture classique : par l’imitation, il s’agit de rendre l’élève maître d’un savoir-faire rhétorique dont les œuvres grecques et latines fournissent un modèle indépassable. C’est dans un tel contexte qu’apparaissent les premiers textes littéraires français dans le système éducatif : face au lent déclin des études latines, la langue française est introduite dans l’enseignement et on recourt à des œuvres d’auteurs français pour introduire les textes latins ou grecs ; par exemple l’étude d’une fable d’Esope ou de Phèdre peut être précédée de la lecture de la fable correspondante de La Fontaine – qui commence ici, dès le début du XVIIIème, une très longue carrière pédagogique. Ainsi se mettent en place une série de couples qui associent auteurs latins ou grecs et auteurs français autour d’un même genre littéraire : pour l’épopée, l’Henriade de Voltaire répond à l’Enéide de Virgile ; aux Odes du poète latin Horace celles du poète du XVIIIème Jean-Baptiste Rousseau – aujourd’hui bien oublié ; aux orateurs grecs et latins correspondent les orateurs sacrés du XVIIème, comme Bossuet… C’est dire que le corpus littéraire qui s’installe peu à peu durant la première moitié du XVIIIème privilégie une esthétique classique, caractéristique que nous retrouverons jusqu’au milieu du XXème siècle. Notons aussi la présence des auteurs sacrés comme Bossuet ou encore Fénelon, chose qui ne saurait surprendre dans le cadre d’un enseignement dispensé par des religieux.

A partir du XVIIIème siècle, les élèves se voient autorisés, parallèlement aux exercices en latin, à rédiger en français. Dès lors les textes sont proposés aussi comme des modèles de style à imiter : si à l’exercice du « discours français » exigeant un style abondant, voire grandiloquent la lecture d’orateurs sacrés comme Massillon ou Bossuet convient, la version latine, chargée d’enseigner la précision de pensée et la concision du style, amène à privilégier des auteurs comme La Bruyère ou Montesquieu (ses Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence – mais les Lettres persanes ou l’Esprit des lois, considérés comme subversifs sont soigneusement ignorés).

dimanche 1 mai 2011

Histoire du français en Afrique, Louis-Jean Calvet - résumé chapitre 8

Ch.8 Le temps des indépendances : les politiques linguistiques

Distinction entre les politiques linguistiques officielles et les pratiques sociales.

Langues officielles et langues nationales

Comment gérer, dans le cadre du plurilinguisme africain, les rapports à la langue française, la promotion des langues locales, la formation des jeunes générations, le développement du pays ?

Exception faite de la Guinée, du Rwanda et du Burundi,

Le français est adopté comme langue officielle (langue d’enseignement, de l’administration, de la politique, de la justice)

Dans la réalité, le français n’est pas nécessairement toujours langue officielle (Bénin, Togo, et surtout la Guinée)

Extraits de la constitution de différents pays : présence du français comme langue officielle et affirmation de la volonté d’une promotion des langues nationales – comparaison possible avec la Suisse (opposition entre les langues nationales qui sont régionales et les langues officielles qui ont un statut confédéral – question du romanche.

Définition facile de la langue officielle/ difficulté de définir la langue nationale :

- Langue nationale : toutes langues du pays (Cameroun, Gabon)/ certaines seulement (Burkina, Sénégal)

- Langue nationale et officielle : le kirundi (Burundi), le kinyarwanda (Rwanda),

- Langues nationales véhiculaires : lingala et kituba au Congo-Brazzaville

- Langues nationales d’intercommunication (Bénin)

- Absence de référence à une langue nationale (Centrafrique)

Quelles politiques linguistiques ?

Nécessité de prendre en compte à la fois la réalité linguistique locale :

- Cameroun, Congo : richesse linguistique exceptionnelle

- Rwanda, Burundi : langue d’unification

- Centrafrique : langue véhiculaire largement dominante – sango.

et la politique adoptée face aux langues nationales :

- Cameroun : reconnaissance de toutes les langues comme langue nationale

- Congo : choix de 4 d’entre elles.

Nazam Halaoui : distingue entre 3 politiques :

- Politique d’expectative

- Politique de contribution

- Politique d’engagement

- Pol. d’exceptative : Cameroun, Côte d’Ivoire, Gabon

- Pol. de contribution : choix de confirmer la politique coloniale en conservant le français comme langue officielle

mais mènent aussi une politique de promotion des langues nationales (programme d’alphabétisation, de recherche, exp. d’enseignement dans ces langues) : Mali, Niger, Burkina Faso

- Pol. d’engagement : volonté de réduire la place de la langue coloniale en faveur des langues africaines : Burundi, Rwanda.

Calvet souligne la prédétermination de ces politiques linguistiques : Burundi, Rwanda (pays monolingues), Mali et Niger : peu de langues ; présence ou absence de langue véhiculaire.

Importance aussi des choix politiques :

Quadruple impératif :

- Rapport avec la langue française

- Promotion des langues locale

- Formation des jeunes générations

- Développement du pays

Lien avec la question de l’alphabétisation : expériences de l’Unesco montrant l’importance d’une alphabétisation dans la langue maternelle (notion d’analphabétisme de retour) et en tenant compte du devenir professionnel des apprenants.

Congrès mondial sur l’éradication de l’analphabétisme à Téhéran (1965) : lien entre l’alphabétisation et le dvpt éco en travaillant dans les langues locales – alphabétisation fonctionnelle.

Exemple du Mali

Les cas de la Guinée et du Rwanda

Guinée de Sékou Touré : rupture avec la France en 1958. Programme d’alphabétisation fonctionnelle avec l’aide de l’Unesco. Résultats peu probants

Programme de scolarisation : 1968 – alphabétisation dans les langues africaines, introduction du français en 3e année, enseignement en français au secondaire.

Projet d’introduire les langues africaines (8, puis 6 à partir de 1976) dans le secondaire – en réalité effectué en 1983.

Mort de Sékou Touré en 1984 : fin de l’expérience.

Echec qui s’explique par des pbs techniques et politiques

Rwanda : à Kigali 56% des habitants ne parlent que kinyarwanda, 88% dans tout le pays.

20% aussi français

24% le kiswahili

9% anglais

bilingue français/kinyarwanda depuis l’indépendance ; après le génocide de 1994, retour de population immigrée (francophone et anglophone) ;

Passage au trilinguisme : nécessaire recyclage des enseignants.

Rôle clé du Rwanda à la frontière des zones francophones et anglophones.

La promotion des langues nationales

Au départ, enseignement en français

Mise en place d’instituts chargés de travailler sur les langues africaines et d’enseigner le français

- ILA (Institut de linguistique appliquée) : en Côte d’Ivoire

- CLAD (Centre de linguistique appliquée de Dakar)

Mêmes objectifs : préparer l’introduction des langues nationales dans l’enseignement (description, codification, identification et consignation des grammaires et lexiques, élaboration de manuels, dvpt des productions littéraires)

En France,

- BELC (Bureau pour l’enseignement de la langue et de la culture française) : tenir compte de la langue des élèves. Influence sur le travail du CLAD au Sénégal.

- Crédif (Centre de recherches et d’études pour la diffusion du français) : approche universaliste.

Pb des langues maternelles : place du Mali

1994 : « nouvelle école fondamentale » (six langues maternelles : bambara, tamasheq, songhaï, soninké, peul et dogon) comme langue d’enseignement dans les premières années du primaire.

Difficultés.

Fonction identitaire.

Rôle dans le développement.

Modèle hors de l’Afrique : le Luxembourg, pays trilingue.

Caractère problématique de la « promotion des langues nationales ».

Pbs de la scolarisation en Afrique

Les états généraux de Libreville (17 au 20 mars 2003)

Etats généraux de l’enseignement du français en Afrique subsaharienne francophone

Constat de la situation de crise des systèmes éducatifs en Afrique.

Affirmation de la nécessité d’une alphabétisation dans la langue maternelle.

Mise en place d’une nouvelle norme africaine pour le français

Histoire du français en Afrique, Louis-Jean Calvet - résumé chapitre 7

- Chap.7 : très rapide mais très intéressant où L.J Calvet reprend une notion qu’il a précédemment élaborée, celle de « poids d’une langue », à propos des langues africaines (baromètre des langues du monde : accessible sur internet).

Examen de la place des langues d’Afrique francophone – présence de 8 langues dans un classement de 137 langues – absence de 3 grandes langues véhiculaires (swahili, bambara, wolof) dont la population qui les a comme première langue est inférieure à 5 millions.

Question de atouts et des faiblesses des langues parlées en Afrique francophone :

1 Toutes ces langues ont une forte fécondité.

2 Le peul : plus forte entropie

3 Hawsa : la plus parlée

4 Luba-kasai, Somali, Kinyarwanda : le plus de statut.

Comparaison avec les langues d’Afrique anglophone : meilleur rang au niveau du nombre d’articles dans wikipédia, du nombre de traduction en tant que langue cible ou source – transcrition rapide des langues africaines et introduction dans l’enseignement scolaire.

Situation linguistique de l’Afrique francophone :

1. Une langue de statut international, le français.

2. 8 langues classées dans le baromètre

3. Des langues véhiculaires de grande diffusion

4. Un grand nombre d’autres langues africaines

Valeur globale/valeur locale – difficulté de prendre en compte la valeur identaire d’une langue.

Histoire du français en Afrique, Louis-Jean Calvet - résumé chapitre 6

- Chap.6 : perspective sociolinguistique : rôle des villes

1. Faible taux d’urbanisation actuelle (40% contre 50% au niveau mondial), mais en rattrapage. L’urbanisation débute avec les indépendances, au début des années 60.

2. Question de la diversité linguistique africaine (30% des langues du monde) : zone de monolinguisme et zone de plurilinguisme.

3. Ville : lieu de brassage, lieu de contact entre les diverses langues nationales et la langue officielle. Double conséquence :

§ Emergence d’une langue véhiculaire (langue nationale ou français) : la ville, facteur d’unification.

§ Apparition de nouvelles formes linguistiques.

Le rôle du marché : émergence de langues véhiculaires.

§ Dakar (wolof, peul, français/mais + de 20 langues parlées dans la ville)

§ Bamako : bambara

§ Niamey : zarma, haussa

§ Brazzaville : lingala, munukutuba

Dans ce cas, le français ne joue pas de rôle sociologique, mais purement officiel (école, administration, vie politique), parlé par environ 20% de la population.

§ contre-exemple de Libreville (Gabon) : enquête de 1999 : 80 langues parlées (origine de la population : 50% de l’intérieur du pays, 10% de pays voisins), dont 4 langues émergent : français (26,3%), fang (23%), punu (9,2%), nzébi (5,8%).

§ Kigali (Rwanda) : présence d’une langue d’unification, le kinyarwanda – faible taux d’urbanisation (capitale : 10% de la population) dû à la politique coloniale belge, fixant les populations dans les collines.

Situation de contact entre francophonie et angolophonie (raisons géographique et économique).

Emergence du kiswahili comme 3e langue véhiculaire

La forme des langues

L’urbanisation affecte la forme des langues :

§ Wolof : disparition du système de classe.

Niveau lexical : nombre des emprunts au français.

Etude de Ndiassé Thiam : exemple du wolof à Dakard

Simplification/ hypersimplication morphologique des formes de singulier et de pluriel. Tensions entre les locuteurs des différentes formes : les formes urbaines sont contestées par les locuteurs de la forme traditionnelle de la langue, jugées pseudo-européennes/ inversement, les citadins vont juger les formes traditionnelles comme rurales. Opposition (Manessy) : vernaculaire/véhiculaire. Rapport diglossique : forme urbaine = forme haute, forme rurale = forme basse.

Mise en parallèle de l’usage du français et de la forme urbaine du wolof.

Mais nouvelle dimension : revernacularisation due à l’émergence d’une bourgeoisie ne connaissant pas le français.

Parler mixte : syntaxe wolof / voc français.

§ Le lingala (Congo-Zaïre) : unification des formes plurielles (la forme ba se substitue aux autres formes)

Chronique de morts annoncées ?

Question de la réduction du nombre des langues. « L’urbanisation pourrait bien se révéler fatale à la pluralité linguistique. »

Parallèle avec la situation française : la capitale, comme « pompe qui aspirait du plurilinguisme et recrachait du monolinguisme ».

Idem pour Mexico : 73 langues indigènes, mais les migrants parlant une forme dialectale d’espagnol : passage à l’espagnol à la 2e génération, à la 3e pour ceux parlant une langue indigène.

§ Libreville (situation très spécifique) : pour les locuteurs du français, du fang ou du punu, perte de la langue du père ou de la mère.

§ Parallèle possible avec la Côte d’Ivoire.

Analyse d’un point de vue écolinguistique :

Dans une niche écolinguistique plurilinguistique, rapport entre les langues : rapport proie/prédateur – possibilité d’une analyse en termes darwiens.

Rôle des facteurs identitaires comme frein à la diminution des langues.