2. L’évolution du corpus
Ces modifications profondes qui touchent le système éducatif se répercutent aussi dans le corpus. Au niveau, par exemple, des œuvres proposées au baccalauréat, on assiste à un renversement : le XVIIème siècle, longtemps dominant, recule jusqu’à presque disparaître – même si les œuvres sont toujours étudiées en classe ; par contre, le XIXème et surtout le XXème, tenus à l’écart, occupent maintenant la première place. On peut voir là le souci d’offrir des textes accessibles à tous, tant au niveau de langue que de la culture. Au niveau des genres aussi un changement s’opère. Si avant la réforme du baccalauréat en 1970, c’était la prose d’idée qui dominait de façon nette, les années 1980 voient le triomphe du roman, genre longtemps tenu en suspicion et écarté des corpus scolaires, ce qui témoigne d’un recentrement de la notion de littérature autour de l’imagination. Notons enfin l’apparition du genre autobiographique.
3. L’évolution des exercices
Nous l’avons signalé, 1970 est l’année d’une importante réforme du baccalauréat qui réorganise la « composition française » de 1880 dont nous avions noté le caractère un peu « fourre-tout ». A l’écrit, d’une durée de 4 heures, sont maintenant proposés trois sujets au choix : l’étude d’un texte d’idée – défini ensuite comme texte argumentatif – suivi d’une discussion ; un commentaire composé d’un texte littéraire ; une dissertation sur un sujet littéraire. Depuis 2006, c’est un ensemble de trois ou quatre textes qui est offert aux candidats sur lequel ils doivent produire une dissertation, un commentaire composé ou un travail d’invention, ce dernier exercice renouant d’une certaine façon avec la tradition rhétorique de l’écriture d’imitation.
L’explication de texte qui fait l’objet d’une épreuve orale connaît aussi pendant cette période quelques transformations. Tout d’abord on peut souligner une volonté absente auparavant de s’associer le fond et la forme : reléguer en fin d’explication les remarques stylistiques n’est maintenant plus toléré. Parallèlement, l’exercice, redéfinie comme « lecture méthodique », prend un tour plus technique ; à une saisie intuitive du texte se substitue une étude usant d’outils venus de la linguistique – distinction récit/discours, énoncé/énonciation, fonctions du langage, schéma actanciel –, de la narratologie – focalisation, distinction auteur/narrateur. Il s’agit maintenant de construire le sens à partir d’une approche descriptive des faits de langage dans le texte. Par ailleurs, l’idée de morceaux choisis cède la place à celle, nouvelle, de groupement de textes, ordonnés d’abord autour d’une thématique puis d’une problématique commune. Parallèlement, dans un même refus de l’extrait isolé de tout contexte, on soulignera la valorisation dont l’étude des œuvres intégrales fait l’objet.
Conclusion
On a donc assisté en deux siècles à la naissance d’une discipline, à sa lente constitution puis à sa transformation. L’enseignement des lettres s’est d’abord conçu sur le modèle de celui des langues anciennes comme une version modernisée de l’apprentissage rhétorique, héritier de la culture antique, dans lequel le texte étudié se donnait d’abord comme modèle d’écriture. Avec le triomphe de la IIIème République, cet enseignement s’est vu assigné un rôle central dans la constitution du sentiment d’identité nationale chez les jeunes générations, tout en assurant pendant près d’un siècle une fonction de reproduction sociale, puisqu’il s’agissait pour le jeune lycéen, issu des classes favorisées, de se reconnaître dans le corpus de textes littéraires qui lui était offert. Les transformations profondes du monde éducatif à partir des années 1960 amenant à une démocratisation et une unification du système ont ensuite amené à une redéfinition de la fonction de l’enseignement des lettres qui, après un temps de relativisme culturel et de scepticisme face au pouvoir civilisateur de la littérature, semble s’orienter aujourd’hui vers une vision plus patrimoniale, appuyée sur une approche plus technique des textes.
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