- Distinction entre méthode et théorie :
- double définition de la théorie à la fois comme "hypothèse anticipatrice sur la nature et les rapports internes de l'objet exploré" et comme "contemplation compréhensive d'un ensemble préalablement exploré". Dans le domaine littéraire, le regard "théorique" rétrospectif est en grande partie déterminé par le projet de l'oeuvre à venir.
- Méthode critique : codifier les moyens techniques et aussi plus largement réfléchir sur les fins
Place de la réflexion méthodologique en critique littéraire : aucunement douée d'une antériorité de droit. Cette réflexion en fait "escorte le travail critique, l'éclaire obliquement".
Cependant, nécessité de dépasser le "cas particulier d'une oeuvre ou d'un auteur". Dans ce cas, la méthode ne serait que "tâtonnement intuitif", "écho sensible", "reflet intellectualisé, docile à la séduction singulière de chaque lecture".
Nécessité de s'orienter vers "une unité finale", "d'élaborer la vision unifiée dans laquelle cette diversité s'offre à la compréhension en tant que diversité."
Paradoxe de la méthode ("réflexion sur les fins" et "codification des moyens") en critique littéraire : ne peut "se formuler conceptuellement qu'au moment où elle a accompli son office"
En tant que savoir, la critique s'achemine nécessairement "vers une théorie de la littérature", mais "cette généralisation du savoir critique reste en perpétuel devenir".
Défense de la notion de trajet critique - qui "s'effectue à travers une série de plans successifs, parfois discontinus, et à des niveaux de réalité différents."
Impossibilité de préconiser une méthode prédéfinie : "pour chaque plan particulier il existe une méthode préférable". Pas de méthode rigoureuse régissant le passage d'un plan à un autre plan, passage qui "est pourtant le moteur décisif du trajet critique". Par exemple, nécessité préalable du travail philologique avant l'élaboration de l'interprétation.
Ce qui implique que le rapport à l'oeuvre varie - nécessité d'une souplesse dans l'approche - tout en étant orienté vers une "totalisation du savoir et vers l'élargissement du spectacle intelligible."
"Variation grâce à laquelle l'oeuvre déploie des aspects différents, et grâce à laquelle aussi la conscience critique se conquiert elle-même, passe de l'hétéronomie à l'autonomie."
Passage d'une coïncidence empathique à une conscience de la loi de l'oeuvre : "l'éloignement que j'ai conquis m'apparaît comme la condition nécessaire pour qu'il n'y ait plus seulement acquiescement à l'oeuvre littéraire, mais rencontre avec celle-ci".
L'oeuvre aussi "se manifeste comme un trajet" - discours, fil narratif, flux poétique.
Spécificité de l'oeuvre littéraire : "cet événement reste inclus dans l'univers des mots : son mode d'action spécifique, sa façon propre d'agir passe par le détour de la "disparition élocutoire" des actes et des passions."
Double définition de la littérature comme "relation avivée - par le moyen de la transposition "élocutoire", qui implique l'émergence, libre et autonome, de l'élément du langage pur, et par conséquent une relation suspendue".
Travail au sein du lecteur. Rapport entre la conscience du lecteur et l'oeuvre : "elle a besoin d'une cosncience pour s'accomplir"; "elle se prédestine à une conscience réceptrice en qui se réaliser". (cf.G.Poulet).
Mais possibilité de "revenir aux multiples signes objectifs dont est composée cette chose (le livre)" - "les garants matériels de ce qui fut, à l'instant de la lecture, ma sensation, mon émotion".
Nécessité de "mettre entre parenthèses" l'émotion originelle de la lecture, de "traiter résolument en objets ce système de signes dont j'ai subi jusqu'à présent sans résistance et sans retour réflexif la magie évocatoire".
"Etude "immanente" des caractères objectifs de l'oeuvre : composition, style, images, valeurs sémantiques." Système complexe des rapports internes. Structure de l'oeuvre.
Remarque sur la nécessité de dépasser l'opposition entre "une face objective" et une "face subjective". "Car la réalité de la pensée consiste à être apparaissante ; l'écriture n'est pas le truchement douteux de l'expérience intérieure, elle est l'expérience même."
"Sans quitter l'analyse immanente de l'oeuvre, la tâche critique nous apparaît comme une totalisation inachevable de relevés partiels, dont la somme, loin d'être disparate, devrait s'intégrer de façon à mettre en évidence l'unité structurale qui gouverne le jeu des rapports internes entre les éléments et parties constituants."
Passage à un niveau supérieur :
après avoir traité l'oeuvre comme un monde, nécessité de s'attacher à l'intégration de l'oeuvre dans "un plus grand monde".
Il ne s'agit pas de "chercher la loi de l'oeuvre hors de celle-ci", mais de reconnaître ce qui dans l'oeuvre se rapporte à l'univers extérieur à l'oeuvre."
Par exemple, l'oeuvre peut apparaître comme l' "expression microcosmique de l'univers dans lequel elle a pris naissance" - "le déchiffrement de l'oeuvre me renverra à un "style d'époque", et vice versa".
Ce regard sur l'oeuvre trouve son illustration dans l'approche structuraliste, tentant de "mettre en évidence un logos commun à toutes les manifestations synchroniques d'une culture et d'une société données".
Validité d'une telle approche dans le cas de culture stable - "pour une littérature qui serait jeu réglé dans une société réglée". Par ex., analyse des contes populaires et des mythes primitifs.
Limite du structuralisme radical : dès lors que l'histoire intervient et qu'apparaît un élément perturbateur qui rompt l'équilibre.
"Dès l'instant où la philosophie s'arroge le droit de questionner (sans même le contester) le bien-fondé des institutions et des traditions, dès l'instant où la parole poétique, cessant de se réduire au seul jeu réglé, cesse d'être l'exorcisme de la transgression pour devenir elle-même transgressive". Mise en parallèle avec l'échec de l'ancienne critique normative à contraindre les oeuvres à s'insérer dans le cadre prédéfini de genres.
Modernité : les oeuvres et les sociétés n'appartiennent pas à la texture homogène d'un même logos. Pas de "système unitaire et cohérent de significations".
Tâche de la critique "immanente" : "déceler, à l'intérieur des textes (...) tout ce qui, dans le monde contemporain, donne à l'oeuvre de génie sa valeur de monstruosité ou d'exception sur le fond de la culture qui la porte."
Polyvalence : les éléments qui - dans leurs rapports réciproques - contribuent à la cohérence organique interne de l'oeuvre sont ceux-là mêmes qui, sous un autre angle, soutiennent une relation différentielle et polémique avec la littérature antérieure ou avec la société contemporaine."
"Les tensions internes dont vit l'objet littéraire comptent parmi leurs composantes des forces "destructurantes", dont la compréhension n'est possible qu'au prix d'une confrontation de l'oeuvre avec son origine, ses effets lointains, son milieu environnant."
"Comprendre une oeuvre dans ses rapports différentiels avec ses attenants immédiats : un homme, en devenant l'auteur de cette oeuvre, s'est fait autre qu'il n'était auparavant ; et ce livre, en s'introduisant dans le monde, oblige ses lecteurs à modifier la conscience qu'ils avaient d'eux-mêmes et de leur monde."
Réintroduction de la dimension "existentielle", sociologique et psychologique, dont il avait été abstraction pour interroger les rapports internes de l'oeuvre.
L'oeuvre redevient événement - passage à l'oeuvre.
Réintroduction du sujet comme sujet structurant de la structure structurée. Si on renonce à chercher l'auteur antérieur à l'oeuvre, "j'ai le droit et le devoir d'interroger l'auteur dans son oeuvre en demandant : qui parle ?"
Interrogation sur le destinataire.
Au trajet textuel, s'ajoute le trajet intentionnel impliqué dans le trajet textuel.
Dépassement et limitation du structuralisme : "Ce qui limite la compétence du structuralisme, c'est le fait que le trasit que nous venons d'évoquer ne s'effectue pas dans le "medium" homogène et continu du langage explicite."
Points de discontinuité : "passage à la parole", "recours à la littérature et à l'imaginaire".
"Il n'est point d'oeuvre moderne qui ne porte en elle l'indice ou la justification de sa propre venue au monde (Proust, Montaigne). Il faut déchiffrer dans l'oeuvre, la nature spécifique d'un désir, d'un pouvoir (d'un génie), qui a cherché à s'atteindre lui-même et à s'attester en donnant naissance à l'oeuvre."
Discontinuité : cf. Spitzer, "la personnalité d'un auteur (se liant) à un système d'écarts et de différences par rapport à la langue "moyenne" du moment culturel."
Oeuvre comme exception, comme monstre - paradoxe des oeuvres scandaleuses qui "deviennent des oeuvres exemplairement scandaleuses, des paradigmes" (paradoxe inhérent au langage et à la lecture compréhensive).
Autre risque du discours critique : perte de la singularité.
"Le discours critique unifie le champ de son investigation, et plus il poursuit sa propre unité, plus il se rend différent de la réalité multiple et brisée dont il s'occupe."
Cf. Blanchot : "entre la culture, qui tend à l'unification et à l'universalisation d'un discours rationnel, et la littérature, qui est l'annonciatrice du refus et de l'incompatible, la critique prend habituellement le parti de la culture." - attitude hégélienne, récupération des moments de rupture comme moment du devenir de l'esprit.
"Mais la compréhension critique ne vise pas à l'assimilation du dissemblable."
Question du statut du discours critique, dans sa relation à l'oeuvre :
"Le discours critique se sait, en son essence, différent du discours des oeuvres qu'il interroge et explicite. Pas plus qu'il n'est le prolongement ou l'écho des oeuvres, il n'en est le substitut rationnalisé."
Ecarter le risque du monologue.
Mise en évidence de trois moments coordonnés dans l'approche critique :
- la sympathie spontanée / certitude immédiate de la lecture
- l'étude objective / vérifiabilité de la technique "scientifique"
- la réflexion libre / plausibilité rationnelle de l'interprétation
Pôles du trajet critique entre : Tout accepter / tout situer
passer "d'une dépendance aimante à une indépendance attentive."
Faire que le discours critique ne soit pas "une machine célibataire", mais forme couple avec l'oeuvre. "Bref, l'oeuvre critique lie deux vérités personnelles et vit de leur intégrité préservée."
Métaphore conjugale (mais ne respectant pas la dimension imaginaire de l'oeuvre - qui est toujours "notre chère disparue" qu'il s'agit de faire revivre) ; métaphore de la nékuia homérique - Ulysse offrant le sang de bêtes sacrifiées aux ombres.
Question de la "nouvelle critique" (sociologique, thématique, psychologique, phénoménologique, linguistique) : extension de l'approche historique traditionnelle.
L'application de telles méthodes est fructueuse non seulement pour la littérature elle-même (renouvellement des approches), mais pour ces méthodes elles-mêmes qui sont ainsi mises à l'épreuve du singulier et de l'exception : nécessaire appréciation de la validité des résultats par le chercheur lui-même.
Définition d'un idéal de critique : "composé de rigueur méthodologique et de disponibilité réflexive".
Opposition entre la technicité et la souhaitable scientificité (qui permet et invite à un travail collectif) et d'autre part la réflexion qui est un retour évaluatif sur le trajet critique parcouru.
Nécessité pour la critique de se faire oeuvre, de quitter "les limites du savoir véritable".
"Elle portera donc la marque d'une personne - mais d'une personne qui aura passé par l'ascèse impersonnelle du savoir "objectif" et des techniques scientifiques."
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