samedi 7 mai 2011

Histoire de l'enseignement de la littérature dans le secondaire en France (1)

Je publie ici la version française du chapitre destiné à un manuel de littérature. Ce chapitre a été rédigé essentiellement à partir des deux ouvrages suivants :

André Chervel, Histoire de l’enseignement du français du XVIIème siècle au XXème siècle, Retz, 2006

Violaine Houdard-Merot, La Culture littéraire au lycée depuis 1880, Presses Universitaires de Rennes, 1998


Histoire de l’enseignement des lettres françaises

La vision que nous avons de la littérature est en grande partie déterminée par l’image que nous en a transmise le système éducatif : la hiérarchie que nous établissons entre les œuvres, la définition et les limites que nous donnons au domaine littéraire sont tributaires de nos expériences des textes durant notre scolarité. C’est pourquoi il est éclairant de se demander comment dans le système scolaire les œuvres littéraires ont été abordées au fil du temps et quelle place leur a été donnée. Dans ce chapitre, nous examinerons comment à partir de la fin de l’Ancien Régime les textes littéraires français s’introduisent timidement dans ce qui deviendra l’enseignement secondaire et comment leur étude s’impose lentement au XIXème siècle avant de devenir au siècle suivant un élément central du système éducatif. Il s’agira de définir à la fois le corpus qui peu à peu se constitue, la manière dont ces textes sont abordés et les finalités dont est investi leur enseignement.

I. L’Ancien Régime et le XIXème siècle jusqu’en 1880 :

la lente naissance de l’étude des lettres françaises

1. L’Ancien Régime : un enseignement dominé par le latin

L’enseignement durant l’Ancien Régime est assuré surtout par les collèges, correspondant à nos collèges et lycées actuels. Dans un tel cadre, il faut souligner le rôle joué, jusqu’à leur expulsion en 1764, par les Jésuites qui depuis la création de leur ordre au XVIème siècle ont développé un puissant réseau de collèges dans toute l’Europe. L’enseignement, clairement défini par un ratio studiorum (plan d’études) s’y fait en principe en latin et est tourné vers l’acquisition d’une culture classique : par l’imitation, il s’agit de rendre l’élève maître d’un savoir-faire rhétorique dont les œuvres grecques et latines fournissent un modèle indépassable. C’est dans un tel contexte qu’apparaissent les premiers textes littéraires français dans le système éducatif : face au lent déclin des études latines, la langue française est introduite dans l’enseignement et on recourt à des œuvres d’auteurs français pour introduire les textes latins ou grecs ; par exemple l’étude d’une fable d’Esope ou de Phèdre peut être précédée de la lecture de la fable correspondante de La Fontaine – qui commence ici, dès le début du XVIIIème, une très longue carrière pédagogique. Ainsi se mettent en place une série de couples qui associent auteurs latins ou grecs et auteurs français autour d’un même genre littéraire : pour l’épopée, l’Henriade de Voltaire répond à l’Enéide de Virgile ; aux Odes du poète latin Horace celles du poète du XVIIIème Jean-Baptiste Rousseau – aujourd’hui bien oublié ; aux orateurs grecs et latins correspondent les orateurs sacrés du XVIIème, comme Bossuet… C’est dire que le corpus littéraire qui s’installe peu à peu durant la première moitié du XVIIIème privilégie une esthétique classique, caractéristique que nous retrouverons jusqu’au milieu du XXème siècle. Notons aussi la présence des auteurs sacrés comme Bossuet ou encore Fénelon, chose qui ne saurait surprendre dans le cadre d’un enseignement dispensé par des religieux.

A partir du XVIIIème siècle, les élèves se voient autorisés, parallèlement aux exercices en latin, à rédiger en français. Dès lors les textes sont proposés aussi comme des modèles de style à imiter : si à l’exercice du « discours français » exigeant un style abondant, voire grandiloquent la lecture d’orateurs sacrés comme Massillon ou Bossuet convient, la version latine, chargée d’enseigner la précision de pensée et la concision du style, amène à privilégier des auteurs comme La Bruyère ou Montesquieu (ses Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence – mais les Lettres persanes ou l’Esprit des lois, considérés comme subversifs sont soigneusement ignorés).

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