Sur Pinard, on consultera le livre d'Alexandre Najjar (Le censeur de Baudelaire,2001, Balland), que je n'ai pas lu.
Dans la deuxième partie de son réquisitoire, après avoir résumé l'ensemble de l'oeuvre, Pinard s'interroge sur "la couleur" du roman - couleur qu'il définit comme "lascive". Il appuie son argumentation sur une série de citations commentées où il montre une réelle sensibilité à l'écriture flaubertienne, même si cette sensibilité n'est utilisée que pour mieux condamner l'oeuvre. Il y a, je crois, une justesse dans le diagnostic que Pinard porte sur l'oeuvre.
La confession de la jeune Emma
Avant de soulever ces quatre coins du tableau, permettez-moi de me demander quelle est la couleur, le coup de pinceau de M. Flaubert, car, enfin, son roman est un tableau, et il faut savoir à quelle école il appartient, quelle est la couleur qu'il emploie, et quel est le portrait de son héroïne.
La couleur générale de l'auteur, permettez-moi de vous le dire c'est la couleur lascive, avant, pendant et après ces chutes ! Elle est enfant, elle a dix ou douze ans, elle est au couvent des Ursulines. A cet âge où la jeune fille n'est pas formée, où la femme ne peut pas sentir ces émotions premières qui lui révèlent un monde nouveau, elle se confesse.
« Quand elle allait à confesse (cette première citation de la première livraison est à la page 30 du numéro du 1er octobre), « quand elle allait à confesse, elle inventait de petits péchés afin de rester là plus longtemps, à genoux dans l'ombre, les mains jointes, le visage à la grille sous le chuchotement du prêtre. Les comparaisons de fiancé, d'époux, d'amant céleste et de mariage éternel qui reviennent dans les sermons lui soulevaient au fond de l'âme des douceurs inattendues. »
Est-ce qu'il est naturel qu'une petite fille invente de petits péchés, quand on sait que, pour un enfant, ce sont les plus petits qu'on a le plus de peine à dire ? Et puis, à cet âge-là, quand une petite fille n'est pas formée, la montrer inventant de petits péchés dans l'ombre, sous le chuchotement du prêtre, en se rappelant ces comparaisons de fiancé, d'époux, d'amant céleste et de mariage éternel, qui lui faisaient éprouver comme un frisson de volupté, n'est-ce pas faire ce que j'ai appelé une peinture lascive ?
Ici l'oeuvre est condamnée au nom de l'essence de la réalité, de ce qu'est la nature des chose ; il y a pour Pinard une perversion flaubertien au sens où il pervertit la nature nécessairement innoncente de l'enfant "non formée" en lui prêtant des pensées, des désirs, des émotions qui ne peuvent être de son âge. On est dans une conception de l'enfance pré-freudienne.
La mort de Mme Bovary
Maintenant, il y a les prières des agonisants que le prêtre récite tout bas, où à chaque verset se trouvent les mots : « Ame chrétienne, partez pour une région plus haute. » On les murmure au moment où le dernier souffle du mourant s'échappe de ses lèvres. Le prêtre les récite, etc.
« A mesure que le râle devenait plus fort, l'ecclésiastique précipitait ses oraisons ; elles se mêlaient aux sanglots étouffés de Bovary, et quelquefois tout semblait disparaître dans le sourd murmure des syllabes latines qui tintaient comme un glas lugubre. »
L'auteur a jugé à propos d'alterner ces paroles, de leur faire une sorte de réplique. Il fait intervenir sur le trottoir un aveugle qui entonne une chanson dont les paroles profanes sont une sorte de réponse aux prières des agonisants.
« Tout à coup on entendit sur le trottoir un bruit de gros sabots, avec le frôlement d'un bâton, et une voix s'éleva, une voie rauque qui chantait :
« Souvent la chaleur d'un beau jour Fait rêver fillette à l'amour. Il souffla bien fort ce jour-là, Et le jupon court s'envola. »
C'est à ce moment que madame Bovary meurt. Ainsi voilà le tableau : d'un coté, le prêtre qui récite les prières des agonisants ; de l'autre, le joueur d'orgue, qui excite chez la mourante « un rire atroce, frénétique, désespéré, croyant voir la face hideuse du misérable qui se dressait dans les ténèbres éternelles comme un épouvantement... Une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous s'approchèrent. Elle n'existait plus. »
Et puis ensuite, lorsque le corps est froid, la chose qu'il faut respecter par-dessus tout, c'est le cadavre que l'âme a quitté. Quand le mari est là, à genoux, pleurant sa femme, quand il a étendu sur elle le linceul, tout autre se serait arrêté, et c'est le moment où M. Flaubert donna le dernier coup de pinceau.
« Le drap se creusait depuis ses seins jusqu'à ses genoux, se relevant ensuite à la pointe des orteils. »
Voilà la scène de la mort, Je l'ai abrégée, je l'ai groupée en quelque sorte. C'est à vous de juger et d'apprécier si c'est là le mélange du sacré au profane, ou si ce ne serait pas plutôt le mélange du sacré au voluptueux.
Ici encore, justesse de la notion finale qui pointe le "mélange du sacré au profane" ou "plutôt le mélange du sacré au voluptueux".
Il est évident que ce qu'accomplit l'écriture flaubertienne par le travail de juxtaposition du profane et du sacré a quelque chose d'insupportable pour Pinard et c'est en cela que la lecture de Pinard rend hommage au texte de Flaubert même si c'est pour mieux exiger qu'on l'évacue, qu'on en finisse avec lui.
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