Fin de l'article de G.Bataille consacré à Emily Brontë, qui ouvre La Littérature et le mal (1957)
La signification du Mal
Le Mal, dans cette coïncidence des contraires, n'est plus le principe opposé d'une manière irrémédiable à l'ordre naturel, qu'il est dans les limites de la raison. La mort, étant la condition de la vie, le Mal, qui se lie dans son essence à la mort, est aussi, d'une manière ambiguë, un fondement de l'être. L'être n'est pas voué au Mal, mais il doit, s'il le peut, ne pas se laisser enfermer dans les limites de la raison. Il doit d'abord accepter ces limites, il lui faut reconnaître la nécessité du calcul de l'intérêt. Mais aux limites, à la nécessité qu'il reconnaît, il doit savoir qu'en lui une part irréductible, une part souveraine échappe.
Le Mal, dans la mesure où il traduit l'attirance vers la mort, où il est un défi, comme il l'est dans toutes les formes de l'érotisme, n'est d'ailleurs jamais l'objet que d'une condamnation ambiguë. C'est le Mal assumé glorieusement, comme l'est, de son côté, celui que la guerre assume, dans des conditions qui se révèlent de nos jours irrémédiables. Mais la guerre a l'impérialisme comme conséquence... Il serait d'ailleurs vain de dissimuler que, dans le Mal, toujouts un glissement vers le pire apparaît, qui justifie l'angoisse et le dégoût. Il n'en est pas moins vrai que le Mal, envisagé sous le jour d'une attirance désintéressée vers la mort, diffère du mal dont le sens est l'intérêt égoïste. Une action criminelle "crapuleuse" s'oppose à la "passionnelle". La loi les rejette l'une et l'autre, mais la littérature la plus humaine est le haut lieu de la passion. Pour autant, la passion n'échappe pas à la malédiction : seule une "part maudite" est réservée à ce qui, dans une vie humaine, a le sens le plus chargé. La malédiction est le chemin de la bénédiction la moins illusoire.
Un être fier accepte loyalement les conséquences les plus mauvaises de son défi. Parfois même, il lui faut aller au-devant. La "part maudite" est celle du jeu, de l'aléa, du danger. C'est celle encore de la souveraineté, mais la souveraineté s'expie. Le monde de Wuthering Heights est le monde d'une souveraineté hirsute et hostile. C'est aussi le monde de l'expiation. L'expiation donnée, le sourire auquel essentiellement la vie demeure égale y transparait.
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