Je commence par un compte rendu global que je viens de rédiger du livre de Jean-Louis Calvet sur le français en Afrique. Ouvrage intéressant par les pistes qu'il ouvre, souvent frustrant parce qu'il promet plus souvent qu'il ne réalise des promesses - en particulier dans l'étude trop rapide à mon goût de l'acclimatation et de l'appropriation du français en Afrique.
Sans doute serait-il nécessaire d'aller compléter chez d'autres auteurs :
Aller voir les travaux de Wald, Manessy, Renaud, Dumont
par exemple, Paul Wald,
L'appropriation du français en Afrique noire : une dynamique discursive
A l’heure où le dernier Rapport sur la francophonie de l’OIF (2010) souligne la place centrale et croissante qu’occupe l’Afrique dans le monde francophone, il était important de pouvoir revenir sur l’histoire du français à travers ce continent et dresser pour le présent un état des lieux – les précédents travaux envisageant de façon globale la question du français en Afrique subsaharienne remontent déjà à une quinzaine d’années[1]. Par le rôle qu’il a joué dans le développement de la sociolinguistique en France et par sa connaissance directe du domaine africain – ses premiers travaux portaient sur le bambara et on ne peut oublier le rôle pionnier de son ouvrage Linguistique et colonialisme (1974) – il est naturel que ce soit à Louis-Jean Calvet que nous devions ce travail de synthèse, publié sous l’auspice de l’Organisation Internationale de la Francophonie. Visant un large public, cette Histoire du français en Afrique – qui a pour objet l’Afrique subsaharienne et n’aborde pas la question du français en Afrique du Nord – parcourt en quelque deux cents pages une période longue de deux siècles en s’appuyant sur un vaste ensemble d’études spécialisées et en multipliant les angles d’approche – à la fois histoire événementielle qui laisse la place à des figures marquantes, comme Jean Dard, instituteur français présent à Dakar au début du 19e siècle et initiateur de l’enseignement du français en Afrique ; examen de textes administratifs ou institutionnels ; analyse linguistique ; approche sociologique ou encore écolinguistique...
Un fait s’impose à la lecture de cet ouvrage ; c’est combien le destin d’une langue est déterminé par des facteurs extralinguistiques de nature historique, politique et sociale : loin d’être indépendante du plan politique, la langue est au contraire à la fois un enjeu et un outil essentiel dans les luttes de pouvoir qui modèlent notre monde. La place de langue française sur le continent africain, aujourd’hui encore, ne peut ainsi être pensée sans un examen précis de son rôle complexe et fondamentalement contradictoire dans l’entreprise coloniale – outil d’assimilation de la population locale, moyen de former une main-d’œuvre indigène indispensable à l’administration coloniale. De la même façon, Louis-Jean Calvet montre combien aujourd’hui, la transformation des sociétés africaines, en l’occurence l’urbanisation accélérée initiée avec l’époque des indépendances, est déterminante pour les langues parlées en Afrique, que ce soit les langues locales ou le français : la ville, lieu d’échange confrontant des individus venant d’horizons linguistiques divers, promouvant l’émergence ou l’affirmation de langues véhiculaires que d’ailleurs elle transforme en profondeur et œuvrant à une homogénéisation linguistique – avec le cas du Gabon où à Libreville, en l’absence d’autre langue véhiculaire locale, le français joue pleinement ce rôle.
Un des soucis majeurs de Louis-Jean Calvet dans son livre tient à sa volonté d’intégrer son histoire du français en Afrique à l’histoire de ses rapports avec les langues africaines. C’est sur cette question par exemple que la différence entre les politiques coloniales d’enseignement française et belge s’affirme avec le plus d’évidence : là où la Belgique, déléguant pour l’essentiel l’entreprise éducative à l’initiative missionnaire, recourt le plus souvent, au Congo belge (aujourd’hui, République démocratique du Congo), à l’enseignement dans la langue maternelle ou la langue véhiculaire de la population locale, l’administration française coloniale qui met en place au début du 20e siècle le réseau des écoles privilégie à la fois l’enseignement en français pour des raisons idéologiques – poids du modèle centralisateur jacobin, aussi à l’œuvre en métropole – et pratiques – volonté de former dans la population locale un corps intermédiaire apte à faciliter la politique coloniale. De la même façon, la question du français aujourd’hui en Afrique francophone où il a souvent le statut de langue officielle est fondamentalement liée à celle de ses rapports avec les langues africaines ; ici encore les politiques linguistiques des différents Etats africains que l’auteur examine dans le dernier chapitre se trouvent confronter au problème du choix de la langue d’enseignement – les solutions élaborées tiennent bien sûr en bonne partie aux situations locales, le monolinguisme du Rwanda avec le kynarwanda ou du Burundi avec le kirundi s’opposant à l’extrême variété linguistique du Cameroun, mais aussi à une volonté politique plus ou moins affirmée de promouvoir les langues locales, le Mali étant ici un exemple de volontarisme dans la mise en place d’un enseignement effectué au niveau du primaire en langue africaine avec une introduction progressive du français.
Ce rapport du français aux langues africaines apparaît encore dans le chapitre consacré à l’ « acclimatation et appropriation du français en Afrique » (chap.5) qui explore rapidement les différentes métamorphoses que connaît le français sur le continent africain. Par-delà les variations lexicales ou les contaminations syntaxiques, c’est à une pénétration réciproque des langues que l’on assiste avec l’émergence de formes entièrement nouvelles comme le nouchi, parlé à l’origine dans les années 1980 par les jeunes déscolarisés à Abidjan.
Si certains chapitres laissent parfois le lecteur sur sa faim – on pense en particulier au chapitre 5 que nous venons d’évoquer –, par la diversité des approches qu’il met en jeu et celle de questions qu’il pose, l’ouvrage de Calvet ne peut être lu que comme une invitation au lecteur curieux à se tourner vers des études plus spécialisées afin de mieux explorer ce pan encore mal connu de la francophonie.
N’oublions pas enfin qu’en conclusion l’auteur, refusant de se cantonner au rôle de simple historien observateur des faits et revenant sur la signification du sous-titre de son livre « une langue en copropriété ? », insiste sur les devoirs qui sont ceux des « francophones du Nord » : ils ont à « se sentir tout aussi concernés par la défense du français que par celle des langues africaines. » Cette urgence d’une défense des langues africaines est d’ailleurs appuyée sur les constats du chapitre 7 qui examine le « poids » des langues africaines à l’aune des critères mis en place par l’auteur dans son baromètre des langues du monde. Cet appel final nous rappelle de façon concrète que la francophonie ne saurait avoir d’avenir et de dignité que dans le cadre d’une réelle politique de défense de la diversité linguistique.
[1] Makouta-Mboukou Jean-Pierre (1973), Le Français en Afrique noire, Paris :Bordas ; Dumont Pierre (1990), Le Français, langue africaine, Paris : L’Harmattan ; Manessy Gabriel (1994), Le Français en Afrique noire. Mythe, stratégies, pratiques, Paris : L’Harmattan.
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