lundi 20 juin 2011

En vrac - Jakobson sur la poésie

D'après le petit livre de Daniel Delas, Roman Jakobson (1993).


"La visée du message en tant que tel, l'accent mis sur le message pour son propre compte, est ce qui caractérise la fonction poétique du langage. (...) La fonction poétique n'est la seule fonction de l'art du langage, elle en est seulement la fonction dominante, déterminante, cependant que dans les autres activités verbales, elle ne joue qu'un rôle subsidiaire, accessoire. Cette fonction, qui met en évidence le côté palpable des signes, approfondit par là même la dichotomie fondamentale des signes et des objets.
Elements de linguistique générale, p.218

Comme le note Delas, "toute la structure de renvoi référentiel se trouve obscurcie, affaiblie, au profit d'un processus de renvoi circulaire."

Impossibilité de savoir si les mots ont leur fonction référentielle "ou ne se justifient que du co-texte" :
ambiguïté constitutive de la poésie. Le poème est ouvert et fermé (Daniel Bougnoux).

Notion de plaisir : analyse dans la conférence Linguistique et poétique (1958) de la formule politique I like Ike.
Les deux colons de la formule I like / Ike riment entre eux, et le second des deux mots à la rime est complètement inclus dans le premier (rime en écho), /layk/ - /ayk/, image paronomastique d'un sentiment qui enveloppe totalement son objet. Les deux colons forment une allitération vocalique, et le premier des deux mots en allitération est inclus dans le second : /ay/ - /ayk/, image paronomastique du sujet aimant enveloppé par l'objet aimé.
ELG, p.219

"Centripète et suffisant, constellation solaire, le poème voudrait être une parole absolue et tout dire." (D.Bougnoux), ce qui explique sa "récupération" par la rhétorique, la parole efficace.

Equivalence

Selon quel critère linguistique reconnaît-on empiriquement la fonction poétique ? En particulier, quel est l'élément dont la présence est indispensable dans toute oeuvre poétique ? Pour répondre à cette question, il nous faut rappeler les deux modes fondamentaux d'arrangement utilisés dans le comportement verbal : la sélection et la combinaison. Soit "enfant" le thème d'un message : le locuteur fait un choix parmi une série de noms existants plus ou moins semblables, tels que enfant, gosse, mioche, gamin, tous plus ou moins équivalents d'un certain point de vue ; ensuite, pour commenter ce thème, il fait choix d'un des verbes sémantiquement apparentés - dort, sommeille, repose, somnole. Les deux mots choisis se combinent dans la chaîne parlée. La sélection est produite sur la base de l'équivalence, de la similarité et de la dissimilarité, de la synonymie et de l'antonymie, tandis que la combinaison, la construction de la séquence, repose sur la contiguïté. La fonction poétique projette le principe d'équivalence de l'axe de la sélection sur l'axe de la combinaison. L'équivalence est promue au rang de procédé constitutif de la séquence. En poésie, chaque syllabe est mise en rapport d'équivalence avec toutes les autres syllabes de la même séquence ; tout accent de mot est censé être égal à tout autre accent de mot ; et de même, inaccentué égale inaccentué ; long (prosodiquement) égale long, bref égale bref ; frontière de mot égale frontière de mot, absence de frontière égale absence de frontière ; pause syntaxique égale pause syntaxique, absence de pause égale absence de pause. Les syllabes sont converties en unité de mesure.
ELG, p.220

Mise en rapport avec à la fois Mallarmé ("disparition élocutoire du poète", "initiative laissée aux mots") et l'automatisme surréaliste.

Examen des objections par Delas :
deuxième type d'objection : refus d'une "sacralisation du texte" sacrifiant l'intention du sujet-origine et la réception du texte par des sujets historiques concrets.


On continuera ensuite sur l'opposition métonymie / métaphore, sous-tendant celle prose / poésie.

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