mardi 28 juin 2011

Hugo Friedrich, Structure de la poésie moderne, chapitre I - Premier regard sur la poésie des temps présents (III)

Préludes théoriques : Rousseau et Diderot


2e moitié du XVIIIe : apparition de signes prémonitoires de l'avénément de la poésie moderne.


Rousseau : intéressant ici en raison de la tension qui traverse son être entre une certaine acuité intellectuelle et certains mouvements affectifs, entre une pensée méthodique et logique et la soumission aux "utopies" du sentiment.

Chez Rousseau, volonté de rester seul face à lui-même et à la nature. Se placer au point zéro de l'histoire, dévalorisée par sa vision de la société (circonstances historiques : falsification).
Isolement et singularité de Rousseau :
"Le "moi" absolu qui se manifeste chez lui avec l'éloquence de la grandeur incomprise ouvre une fissure entre la personne et la société."
"Voir dans sa propre anomalie le garant de sa vocation."
Mise en place du "schéma d'une auto-analyse que l'on retrouvera facilement chez les poètes du siècle suivant".



Les Rêveries du promeneur solitaire : "expriment dans un domaine prérationnel une certitude existentielle" ; "crépuscule onirique, qui échappe au temps réel pour entrer dans le temps intérieur," qui ne distingue plus entre passé et présent, entre réalité et imagination.
On retrouvera dans la poésie du XIXe ce refus du temps objectif, "symbole haï d'une civilisation technicienne". (cf. Baudelaire, L'Horloge"; A.Machado)
Tentative de suppression de la différence entre l'imaginaire et le réel. Seule l'imagination donne le bonheur.
La Nouvelle Héloïse : "Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d'être habité ; et tel est le néant des choses humaines qu'hors de l'Être existant par lui-même, il n'y a rien de beau que ce qui n'est pas."
Par ailleurs, l'imagination créatrice se situe par sa capacité à créer ce qui n'existe au dessus de ce qui existe.


Elever l'imagination "au rang d'une puissance qui connaît son caractère fallacieux, mais qui le revendique en même temps." Seule l'imagination peut satisfaire le besoin de l'intériorité de pouvoir se déployer.


En même temps, "disparaît l'obligation d'appliquer aux produits de l'imaginaire les critères de la réalité concrète et de la logique".


Diderot


Chez lui aussi, l'imagination est dotée "d'une place autonome qui lui permet de ne se mesurer qu'à elle-même."
Mais raisonnement différent de Rousseau.
Développement du concept d'imagination en rapport avec celui de génie
- Neveu de Rameau : dissociation du génie de la moralité
Diderot supprime le "rapport d'équivalence traditionnel entre la connaissance, le Beau et le Bon.
- Article Génie dans l'Encyclopédie, Au-delà d'un conception ancienne qui voit dans le génie "une force visionnaire mais naturelle et qui, à ce titre, a le droit d'ignorer les règles", Diderot affirme que "le génie a le droit de se mettre en marge de toutes les normes" et "de commettre des fautes".
"Ce sont précisément ces fautes étonnantes, déconcertantes, qui enflamment l'esprit. (...) Emporté par son vol souverain, (le génie) édifie des demeures qu'aucun être raisonnable n'habitera jamais. Ses créations sont des compositions parfaitement libres qu'il aime comme il aime un poème. Son pouvoir est beaucoup plus celui d'une création que d'une découverte, d'où la conclusion : "Le vrai et le faux ne sont plus les caractères distinctifs du génie."
Imagination : "puissance qui gouverne le génie", douée d'une "faculté d'être le mouvement autonome de forces intellectuelles dont la qualité se mesure à la grandeur des images produites, à la puissance d'action des concepts, à la puissance d'action des concepts, à un dynamisme absolu qui n'est plus lié à un contenu et qui laisse derrière lui toute distinction entre le bien et le mal, entre la vérité et l'erreur.
Prémisse de la dictature de l'imaginaire qui règnera au siècle suivant.

- Dans les Salons, Diderot "expose des idées tout à fait neuves sur les lois de la couleur et de la lumière, indépendamment du sujet traité par le peintre."
Mise en rapport très moderne - en rupture avec le ut pictora poesis - des analyses sur la peinture et sur la poésie : "Diderot comprend que le "ton" a pour le vers la même valeur que la couleur pour le tableau", ce qu'il appelle "magie du ryhtme" touchant l'oeil et l'oreille "plus profondément que (...) l'exactitude objective" ("la clarté est nuisible")
"Poète, sois obscur !"
"La poésie n'est déjà plus pour Diderot par principe l'expression d'un contenu objectif. Elle est un mouvement de l'émotion créé par une libre invention métaphorique qui peut "se jeter dans tous les extrêmes" et par un ensemble de "tons" tout aussi opposés les uns aux autres."
Annonce de la "supériorité décisive de la magie de la langue sur le contenu qu'elle exprime, de la pure dynamique de l'image sur sa propre signification."
Annonce de Baudelaire et de la poésie moderne "que l'on pourra dire abstraite".


Théorie de la compréhension de l'oeuvre. "Le contact établi entre l'oeuvre et le lecteur ne relève pas de l'entendement mais de la suggestion magique."
Elargissement du concept de beau : le désordre et le chaos deviennent "esthétiquement représentables" et l'étonnement devient "un effet esthétique licite".









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