dimanche 30 octobre 2011

Victor Hugo, William Shakespeare (1864), Livre II, Les Génies, II


L’art suprême est la région des Égaux.
Le chef-d’œuvre est adéquat au chef-d’œuvre.
Comme l’eau qui, chauffée à cent degrés, n’est plus capable d’augmentation calorique et ne peut s’élever plus haut, la pensée humaine atteint dans certains hommes sa complète intensité. Eschyle, Job, Phidias, Isaïe, saint Paul, Juvénal, Dante, Michel-Ange, Rabelais, Cervantes, Shakespeare, Rembrandt, Beethoven, quelques autres encore, marquent les cent degrés du génie.
L’esprit humain a une cime.
Cette cime est l’idéal.
Dieu y descend, l’homme y monte.
Dans chaque siècle, trois ou quatre génies entreprennent cette ascension. D’en bas, on les suit des yeux. Ces hommes gravissent la montagne, entrent dans la nuée, disparaissent, reparaissent. On les épie, on les observe. Ils côtoient les précipices ; un faux pas ne déplairait point à certains spectateurs. Les aventuriers poursuivent leur chemin. Les voilà haut, les voilà loin ; ce ne sont plus que des points noirs. Comme ils sont petits ! dit la foule. Ce sont des géants. Ils vont. La route est âpre. L’escarpement se défend. A chaque pas un mur, à chaque pas un piège. A mesure qu’on s’élève, le froid augmente. Il faut se faire son escalier, couper la glace et marcher dessus, se tailler des degrés dans la haine. Toutes les tempêtes font rage. Cependant ces insensés cheminent. L’air n’est plus respirable. Le gouffre se multiplie autour d’eux. Quelques-uns tombent. C’est bien fait. D’autres s’arrêtent et redescendent ; il y a de sombres lassitudes. Les intrépides continuent ; les prédestinés persistent. La pente redoutable croule sous eux et tâche de les entraîner ; la gloire est traître. Ils sont regardés par les aigles, ils sont tâtés par les éclairs ; l’ouragan est furieux. N’importe, ils s’obstinent. Ils montent. Celui qui arrive au sommet est ton égal, Homère.
Ces noms que nous venons de dire, et ceux que nous aurions pu ajouter, redites-les. Choisir entre ces hommes, impossible. Nul moyen de faire pencher la balance entre Rembrandt et Michel-Ange.
Et, pour nous enfermer seulement dans les écrivains et les poètes, examinez-les l’un après l’autre. Lequel est le plus grand ? Tous.

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