Le texte était publié en préface de la "traduction" publiée par Houdar de La Motte de L'Iliade et il prend place dans la querelle d'Homère qui opposa Houdar à Madame Dacier, brillante hellénistique et traductrice d'Homère (1713-1714). Dans les présentations qu'on trouve de cette querelle, Houdar a le mauvais rôle, à la fois fat et médiocre - par exemple, son Iliade abrégée en vers est définie de "plate et prétentieuse adaptation" par M.-M. Fontaine, dans le Dictionnaire des Littératures de langue française. La lecture de ces extraits ne nous fera peut-être pas changer d'avis.
Enfin, j'ajoute que je n'ai pas lu le livre de P.Bayard, Comment améliorer les oeuvres ratées ? Mais semble-t-il Houdar de La Motte se donnait un projet identique.
Houdar de La Motte – Discours sur Homère
Discours sur Homère, publié en préface de L’Iliade,
poème (Amsterdam, Aux dépens de la Compagnie, 1714)
De la traduction
Entend-on seulement que pour peu qu’on change l’original on le défigure ?
C’est ce que Madame Dacier paraît penser à l’égard d’Homère et si le principe
qu’elle pose est vrai, elle a raison d’en tirer cette conséquence : « Ce
qu’Homère a pensé et dit (ce sont ses termes), quoique rendu plus simplement et
moins poétiquement qu’il ne l’a dit, vaut certainement mieux que tout ce qu’on
est forcé de lui prêter en le traduisant en vers. » Voilà la traduction d’Homère
formellement interdite aux poètes. Mais j’appelle de ce principe, et j’en pose
un tout opposé. Homère est quelquefois si défectueux en ce qu’il a pensé et dit
que le traducteur prosaïque et le plus déterminé à être fidèle est souvent contraint
de le corriger en beaucoup d’endroits.
Houdar évoque ensuite les trois règles qu’il s’est
imposées : la précision, la clarté et l’agrément. Sur ce dernier point, il
déclare :
Quant à l’agrément, la différence du siècle d’Homère et du nôtre m’a obligé
à beaucoup de ménagement, pour ne point trop altérer mon original et ne point
choquer aussi des lecteurs imbus de mœurs toutes différentes et disposés à
trouver mauvais tout ce qui ne leur ressemble pas. J’ai voulu que ma traduction
fût agréable et, dès là, il a fallu substituer des idées qui plaisent aujourd’hui
à d’autres idées qui plaisaient du temps d’Homère : il a fallu, par
exemple, anoblir par rapport à nous les injures d’Achille et d’Agamemnon,
éloigner des querelles de Jupiter et de Junon toute idée de coup et de
violence, adoucir la préférence solennelle qu’Agamemnon fait de son esclave à
son épouse, et exprimer enfin diverses circonstances de manière qu’en disant au
fond la même chose qu’Homère, on la présentât cependant sous une idée conforme
au goût du siècle.
Des changements considérables
Dans cette partie, Houdar commence par noter que la
faiblesse des poèmes épiques français du XVIIe (La
Pucelle de Chapelain, Clovis de Desmarets de Saint-Sorlin, Saint
Louis du Père Le Moyne) tient à leur longueur excessive, calquée sur l’antique,
source d’ennui.
C’est par ces raisons que j’ai réduit les vingt-quatre livres de l’Iliade
en douze, qui sont même de beaucoup plus courts que ceux d’Homère. On croirait
d’abord que ce ne peut être qu’aux dépens de choses importantes que j’ai fait
cette réduction. Mais si l’on considère que les répétitions, à bien compter,
emportent plus de la sixième partie de l’Iliade, que le détail anatomique des
blessures et les longues harangues des combattants en emportent encore bien
davantage, on jugera bien qu’il m’a été facile d’abréger sans qu’il en coûtât rien
à l’action principale.
(...) en un mot, je n’ai été plus court qu’afin de dire plus nettement ce
qu’on prétends qu’Homère a voulu dire.
La seconde condition que j’ai jugée nécessaire au poème, c’est d’être
intéressant. Je l’ai trouvée suffisamment dans la fable de l’Iliade. (...)
Je n’aurais rien eu à corriger là-dessus dans l’Iliade, si ce qu’il y a de
touchant n’était affaibli par des préparations détaillées qui, en ôtant des
événements toute la surprise, en diminuent d’autant l’impression ; ou s’il
n’était interrompu par de longs épisodes qui roulent sur les personnages
indifférents, tandis qu’on perd de vue ceux qu’on voulait suivre. J’ai cru
devoir remédier à ces deux défauts en supprimant les préparations inutiles et
en retranchant les épisodes sans intérêt.
(...)
Voici un exemple des libertés que j’ai prises dans la vue de soutenir et d’augmenter
l’intérêt. Patrocle, dans Homère, ayant pris les armes d’Achille, fait un
carnage horrible de Troyens ; on le prend quelque temps pour le héros dont
il porte les armes ; mais enfin on se détrompe. Il combat et tue Sarpédon
pour qui Jupiter fait de grands prodiges. Le combat roule ensuite sur les
subalternes ; après quoi Apollon lui désarme Patrocle ; Euphorbe le
blesse par derrière, et Hector, qui était demeuré dans l’inaction, profite de l’état
où il voit Patrocle ; il le tue et l’insulte mal à propos, ce que son
ennemi mourant lui reproche avec raison.
Pour moi, je fais durer l’erreur des Troyens qui prennent Patrocle pour
Achille. C’est dans cette idée que Sarpédon l’attaque et il en devient plus
intéressant, par le péril où il croit s’exposer, comme Patrocle en est plus
grand par l’erreur que cause toujours son courage. A peine Sarpédon est-il mort
qu’Hector entreprend aussitôt de le venger ; ainsi l’on passe sans
interruption d’un intérêt à un autre encore plus considérable. Hector et
Patrocle, toujours pris pour Achille, se disputent le corps de Sarpédon, ce qui
fait une image terrible et touchante tout à la fois. C’est dans cette occasion
que Jupiter fait gronder la foudre et pleuvoir le sang : prodiges qui
découragent les deux armées, tandis qu’ils redoublent encore la valeur des deux
héros. Hector triomphe de Patrocle et il l’insulte plus à propos que dans
Homère, puisqu’il le prend pour Achille et qu’il l’a vaincu sans secours. Patrocle
mourant détrompe Hector, surprise intéressante ; et enfin la tristesse où
tombe Hector détrompé, ferme, ce me semble, cet incident d’une manière grande
et pathétique.
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