mercredi 26 janvier 2011

Condamner le théâtre (prise de notes du livre de Génetiot) 2

Plaidoyer pour le plaisir esthétique

Début du XVIIe : plaisir comme fin de l'art. Position dominante des "irréguliers"

Honoré d'Urfé, avis Au lecteur de sa tragi-comédie La Silvanire (1627) :
opposition entre l'antiquité où la poésie était considérée comme le langage des dieux chargé d'instruire le peuple et l'époque moderne où la poésie est déchargée de cette tâche par la présence des prédicateurs : "maintenant notre poésie a pour but essentiel de plaire, et par accident de profiter."

François Ogier, préface de Tyr et Sidon (1628) de Lingendes

"La poésie, et particulièrrement celle qui est composée pour le théâtre, n'est faite que pour le plaisir et le divertissement."

Décennie 1630 : victoire de Chapelain et des doctes.
1637 : querelle du Cid, victoire des partisans des règles, de la vraisemblance, des bienséances et de l'utilité morale.
(en passant, je note le rapport qui s'établit de façon naturelle entre tout ça : règle - bienséance -vraisemblance - utilité morale ; aller remettre son nez dans le bel article de Genette sur la vraisemblance dans Figures)

1637 La Mesnardière Poétique : "son principal dessein est d'honorer la vertu, et de corriger le vice ; et (...) ces détours agréables et ces biais artificieux qu'elle prend selon les rencontres dans la tessiture de ses fables, conduisent tous à cette fin comme à leur centre intentionnel" (ch. "Continuation des moeurs")

Georges de Scudéry, fervent partisan de la thèse de l'utilité morale du théâtre, pierre de touche de son Apologie du théâtre (1639)
Observation sur le Cid (1637) : "il faut savoir que le poème de théâtre fut inventé pour instruire en divertissant"
Apologie du théâtre : la comédie "est l'objet de la vénération de tous les siècles vertueux ; le divertissement des empereurs et des rois ; l'occupation des grands esprits ; le tableau des passions ; l'image de la vie humaine ; l'histoire parlante ; la philosophie visible ; le fléau du vice, et le trône de la vertu."

Corneille : réticence à se ranger à la thèse de l'utilité / stricte orthodoxie aristotélicienne. Dissociation rigoureuse de l'instruction morale et de la fonction esthétique.

épître dédicatoire de La Suite du Menteur (1645) : " Pour moi, j'estime extrêmement ceux qui mêlent l'utile au délectable, et d'autant plus qu'ils n'y sont pas obligés par les règles de la poésie, je suis bien aise de dire d'eux avec notre Docteur : Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci. Mais je dénie qu'ils faillent contre ces règles, lorsqu'ils ne l'y mêlent pas (...) : pourvu qu'ils aient trouvé le moyen de plaire, ils sont quittes envers leur art, et s'ils pèchent, ce n'est pas contre lui, c'est contre les bonnes moeurs, et contre leur auditoire. (...) Quant à Aristote, je ne crois pas que ceux du parti contraire aient d'assez bons yeux pour trouver le mot d'utilité dans tout son Art poétique : quand il recherche la cause de la poésie, il ne l'attribue qu'au plaisir que les hommes reçoivent de l'imitation."
Même position dans le Discours de l'utilité et des parties du poème dramatique (1660) : "il n'est pas moins vrai qu'Horace nous apprend que nous ne saurions plaire à tout le monde, si nous n'y mêlons l'utile, et que les gens graves et sérieux, les vieillards, les amateurs de la vertu, s'y ennuieront, s'ils n'y trouvent rien à profiter."

(à mettre en parallèle avec V.Hugo, Préface de Ruy Blas, la théorie des trois publics : les buts du théâtre se définissent en fonction de la catégorie de public à qui il s'adresse - les penseurs, les femmes, la foule, attirés respectivement par la comédie, la tragédie et le mélodrame
un article sur cette question de Florence Naugrette sur le site de Fabula)

Même scepticisme de Corneille pour la question de la catharsis.

Années 50, après la Fronde : renaissance de la vie mondaine des salons (Salon de Madeleine de Scudéry, puis cour de Fouquet)- la littérature conçue comme divertissement - héritage du salon de Rambouillet florissant dans la première moitié du siècle.
Pellison : publication des OEuvres de Sarasin, précédées d'un Discours : apologie du divertissement
" je ne puis croire qu'on travaille inutilement quand on travaille agréablement pour la plus grande partie du monde et que, sans corrompre les esprits, on vient à bout de les divertir et de leur plaire. (...) Au contraire, ces autres écrits, qu'on traite communément de bagatelles, quand ils ne serviraient pas à régler les moeurs ou à éclairer l'esprit, comme ils le peuvent, comme ils le doivent, comme ils le font d'ordinaire directement ou indirectement, pour le moins, sans avoir besoin que d'eux-mêmes, ils plaisent, ils divertissent, ils sèment et ils répandent partout la joie, qui est, après la vertu, le plus grand de tous les biens."

Tradition de l'"eutrapélie" aristotélicienne, christianisée par François de Sales (1567-1622) :
les récréations honnêtes pratiquées sans excès et sans attachement (conversation, musique, chasse) considérées comme une bienfaisante propédeutique à la dévotion.
"Il est force de relâcher quelquefois notre esprit, et notre corps encore, s'entretenir de devis joyeux et aimables, sonner du luth ou autre instrument, chanter en musique, aller à la chasse, ce sont recréations si honnêtes que pour bien en user il n'est besoin que de la commune prudence, qui donne à toutes choses le rang, le temps, le lieu et la mesure."
Justification du divertissement et d'une sociabilité aimable et enjouée pour combattre la mélancolie, conçue comme péché capital.

"Doctrine Fouquet" :
- illustrée par la fête de Vaux offerte au roi (août 1661)
- : Les Fâcheux (première comédie-ballet de Molière), épître dédicatoire Au roi
" Ceux qui sont nés en un rang élevé peuvent se proposer l'honneur de servir Votre Majesté dans les grands emplois, mais, pour moi, toute la gloire où je puis aspirer, c'est de la réjouir. Je borne là l'ambition de mes souhaits ; et je crois qu'en quelque façon ce n'est pas être inutile à la France que de contribuer quelque chose au divertissement de son roi."

Molière : affirmation du droit au plaisir, à l'abandon sensuel et physique au rire et à l'émotion.
Critique de l'Ecole des femmes : "Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n'est pas de plaire, et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n'a pas suivi un bon chemin. (...) Moquons-nous donc de cette chicane où ils veulent assujettir le goût du public, et ne consultons dans une comédie que l'effet qu'elle fait sur nous. Laissons-nous aller de bonne foi aux choses qui nous prennent par les entrailles, et ne cherchons point de raisonnements pour nous empêcher d'avoir du plaisir. "

La Fontaine :
Dans l'Avertissement des Nouvelles en vers tirées de l'Arioste et de Boccace (1664), La Fontaine se réclame de Térence :
" Ce poète n'écrivait pas pour se satisfaire seulement, ou pour satisfaire un petit nombre de gens choisis ; il avait pour but : Populo ut placerent quas fecisset fabulas (que les pièces qu'il avait faites plussent au peuple) "
Préface à Psyché : " Mon principal but est toujours de plaire : pour en venir là je considère le goût du siècle : or après plusieurs expériences il m'a semblé que ce goût se porte au galant et à la plaisanterie."
Mais évolution du régime vers le rigourisme religieux : interdiction de police pour obscénité des Nouveau Contes (1674) ; en 1693, il est contraint de renier devant l'Académie ses Contes.

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