samedi 29 janvier 2011

Condamner le théâtre (prise de notes du livre de Génetiot) 6

La querelle de la moralité du théâtre

Mise en place d'une théorie antithéâtrale extrémiste :
- refus de tout théâtre pour des raisons théologiques.

Nicole, Lettres sur l'hérésie imaginaire (défense du jansénisme) : les huits dernières s'intitulent les Visionnaires, référence à la comédie de Desmarets de Saint-Sorlin

Première visionnaire (31 décembre 1665) : condamnation de toute fiction.
"Un faiseur de romans et un poète de théâtre est un empoisonneur public, non des corps, mais des âmes des fidèles, qui se doit croire coupable d'une infinité d'homicides spirituels, ou qu'il a causés en effet, ou qu'il a pu causer par ses écrits pernicieux. Plus il a eu soin de couvrir d'un voile d'honnêteté les passions criminelles qu'il y décrit, plus il les a rendues dangeureuses, et capables de surprendre et de corrompre les âmes simples et innocentes. Ces sortes de péchés sont d'autant plus effroyables, qu'ils sont toujours persistants, parce que ces livres ne périssent pas, et qu'ils répandent toujours un venin, qui s'accroît et s'augmente par les méchants effets qu'ils continuent de produire dans ceux qui les lisent."

Racine, défense de la littérature : Lettre à l'auteur des Hérésies imaginaires et des deux Visionnaires (janvier 1666)
puis Lettre aux deux apologistes de l'auteur des hérésies imaginaires (10 mai 1666).
Reprise des arguments de l'Introduction à la vie dévote : la littérature comme délassement de l'esprit :
" Je vous demanderai si la chasse, la musique, le plaisir de faire des sabots, et quelques autres plaisirs que vous ne refusez pas à vous-mêmes, sont fort propres à faire mourir le vieil homme ; s'il faut renoncer à tout ce qui divertit, s'il faut pleurer à toute heure ?"
Défense des romans : ils ne sont "bons que pour désennuyer l'esprit, pour l'accoutumer à la lecture, et pour le faire passer ensuite à des choses plus solides."

Publication de pamphlets antithéâtraux :
- Traité de la comédie, Prince de Conti (posthume, 1666)
- Traité de la comédie, Nicole (1667)

Rupture de la religion avec la littérature, "vain divertissement qui éloigne de la recherche du salut."

Conti : " Quels effets peuvent produire ces expressions accompagnées d'une représentation réelle, que de corrompre l'imagination, de remplir la mémoire, et se répandre après dans l'entendement, dans la volonté, et ensuite dans les moeurs."

Nicole :
- théâtre / roman : produit une image séduisante des passions
- induit le spectateur en tentation en l'accoutumant insensiblement au vice.
- lui enseigne à exprimer adroitement des passions coupables.

Condamnation du théâtre et du roman comme recherche du divertissement pour lui-même, symptôme d'oisiveté, d'ennui et de vanité.
Détourne le chrétien de la recherche de Dieu.

Un tel contexte contraint la littérature à prendre une attitude fondamentalement défensive où elle cherche d'abord à se justifier :

1677 Racine, Préface de Phèdre : soutient la thèse que la tragédie peut enseigner la vertu.

" Ce que je puis assurer, c'est que je n'en ai point fait où la vertu soit plus mise en jour que dans celle-ci. Les moindres fautes y sont sévèrement punies. La seule pensée du crime y est regardée avec autant d'horreur que le crime même. Les faiblesses de l'amour y passent pour de vraies faiblesses. Les passions n'y sont présentées aux yeux que pour montrer tout le désordre dont elles sont cause. Et le vice y est peint partout avec des couleurs qui en font connaître et haïr la difformité."

Thèse de la finalité morale du théâtre antique :
" Leur théâtre était une école où la vertu n'était pas moins enseignée que dans les écoles des philosophes. "

Appel au public dévot et aux auteurs :

" Il serait à souhaiter que nos ouvrages fussent aussi solides et aussi pleins d'utiles instructions que ceux de ces poètes. Ce serait peut-être un moyen de réconcilier la tragédie avec quantité de personnes célèbres par leur piété et par leur doctrine qui l'ont condamnée dans ces derniers temps, et qui en jugeraient sans doute plus favorablement, si les auteurs songeaient autant à instruire leurs spectateurs qu'à les divertir, et s'ils suivaient en cela la véritable intention de la tragédie."

1678, Bernard Lamy (oratorien) : Nouvelles Réflexions sur l'art poétique

- conception malebranchiste du plaisir
- théorie augustinienne des trois concupiscences (libido sentiendi, libido sciendi, libido dominandi)
- conception pascalienne de l'imagination "maîtresse d'erreur et de fausseté"

Le théâtre :
- détourne l'homme de Dieu
- en l'attachant aux images des créatures et
- en flattant ses inclinations vicieuses.

Plus la fiction est vraisemblable, plus elle est dangereuse, car l'intérêt du spectateur est davantage piqué - rupture avec la défense de la comédie sous Richelieu.

" On désire ensuite de savoir leurs aventures, on s'intéresse dans tout ce qui les regarde, et l'on se trouve si étroitement lié avec eux, qu'on entre dans toutes leurs passions."

Chapitres X et XI de la seconde partie :
- " Les comédies et les tragédies corrompent les moeurs, bien loin de les réformer."
- " La représentation qu'on fait des comédies et des tragédies sur les théâtres publics, en augmente le danger."

Appel à la fermeture des théâtres (cf. l'exemple puritain sous la révolution de Cromwell)

1688 Mme de Maintenon demande à Racine de
" lui faire dans ses moments de loisir quelque espèce de poème moral ou historique dont l'amour fût entièrement banni, et dans lequel il ne crût pas que sa réputation fût intéressée, puisqu'il demeurerait enseveli dans Saint-Cyr. "
" divertir les demoiselles de Saint-Cyr en les instruisant."
1689 : Esther, succès mais le curé de Versailles s'en alarme.
1691 : Athalie en reste au stade des répétitions privées, sans décors, ni costumes, ni orchestre (5 janvier, 8 février, 22 février, en présence du roi et de la reine d'Angleterre).
Reprise à Versailles en 1702, avec les choeurs.
Première représentation publique : sous la Régence, 1716, avec 22 reprises entre 1716 et 1718.

1694 : Bossuet, Maximes et réflexions sur la comédie, reprises des thèses augustiniennes développées par Nicole.
Conclusion : " pour les instructions du théâtre, la touche en est trop légère, et il n'y a rien de moins sérieux, puisque l'homme y fait à la fois un jeu de ses vices et un amusement de la vertu."










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