lundi 7 février 2011

Jack Goody, La peur des représentations,chap.4

Théâtre, rites et représentations de l'autre

- après le chap. sur les icônes et reliques, passage aux arts de représentation/interprétation (performance).
- Point de départ, le classement effectué par les études culturelles (R.Schechner, Public Domain, 1969 ; Performance Theory, 1988 ) qui regroupe le rituel (sacré ou profane) et le théâtre dans la catégorie générale de l'interprétation (performance).
- Goody : contestation de cette assimilation, en se fondant sur la perception qu'ont les participants eux-mêmes : les rites relèvent du domaine "sérieux" alors que le théâtre appartient au domaine du jeu (play).

- Problématique : présence ou absence, apparition / disparition à divers moments et dans diverses cultures, liées à l'ambivalence cognitive.

- Exemple de l'Europe : rapport rite/ théâtre. Liens posés entre naissance du théâtre et cérémonies funèbres (voir sur ce point ce que dit Jean-Marie Schaeffer au début de Pourquoi la fiction ? opposant à la thèse de l'origine religieuse du théâtre celle d'Aristote qui rapproche le théâtre du jeu des enfants ) ; disparition du théâtre à la suite du déclin de Rome qui prend fin avec les représentations dramatiques d'inspiration biblique et les tropes musicaux (Xe).

- Mais les distinctions sont toujours maintenues clairement entre liturgie et interludes dramatiques : les représentations dramatiques firent constamment l'objet d'attaques.
Exemple choisi par Goody : un sermon du XIVe siècle : "A treatise of miraclis pleyinge", probablement inspiré des lollards, variation autour du mot "play".

Plan du développement du chap. :
- examen de la nature du mouvement anti-théâtral en Europe
- recherche d'un même argumentaire dans les autres cultures de l'écriture.
- et enfin dans les cultures orales.

Enjeu : déconstruire le concept de "performance" pour faire apparaître des tensions cognitives qui se cachent derrière les représentations théâtrales et qui entraînent le mouvement de balancier entre acceptation et rejet.

"Bien que la discussion de ce sujet (...) s'inscrive souvent dans un contexte chrétien et européen, j'entends montrer qu'elle caractérise aussi d'autres grandes sociétés avec des traditions littéraires et qu'elle appelle donc un autre type d'explication, une explication qui fait écho à celle de Platon, plus inclusive et en rapport avec le problème de la mimèsis. "

- Platon, livre X de la République : forme la plus systématique de la dénonciation de la représentation et de l'art à l'intérieur de la tradition occidentale.
Le peintre et le poète sont éloignés de la réalité à un troisième niveau ; ils n'atteignent pas la vérité, car ils s'occupent de l'apparence plus que de la réalité. Donc, exclusion de toute poésie de la Cité, à l'exception des "hymnes aux dieux et des chants d'hommage aux hommes de bien." : distinction entre le rituel / le frivole.

- Rome : opposition entre la grande popularité du théâtre et le bas statut social des acteurs.
Tatien (vers 160 après J-C) : condamnation de l'acteur qui "contrefait extérieurement ce qu'il n'est pas." De même chez Tertullien, condamnation de la mimèsis comme "usurpation d'identité" (impersonation).

- Interrogation sur la décomposition du théâtre en Europe à l'aube du Moyen-Âge : causes multiples (hostilité chrétienne, déclin économique, refus de la représentation de type platonicien).
Au niveau économique, modèle que propose Goody : transfert des ressources urbaines (affectées aux bains, au théâtre, aux fontaines, gymnases...) vers l'Eglise.

- Exemple britannique : jusqu'à la fin du IVe siècle, six villes ont un théâtre auxquelles s'ajoutent douze villes avec un amphithéâtre.
Tous disparaissent et aucun bâtiment théâtral n'est construit avant 1576.
Le théâtre de Verulanium (Saint-Albans) construit en 155 après J-C continue ses activités jusqu'en 395.
- Transfert des fonctions culturelles et intellectuelles de la cité vers l'église et le monastère, avec au passage la disparition de toute une série d'éléments (théâtre en particulier).
Saint-Albans : abbatiale saxonne (VIIIe), puis du XIe, construite par les Normands : présence dans la bibliothèque de pièces de théâtre latine, par ex. un manuscrit de Térence du XIIe siècle avec des acteurs masqués (Bodl.ms.Auct.F.2.13). (pour l'ensemble de manuscrit)
"Pour un observateur extérieur, la messe devint, en un sens, l'équivalent fonctionnel du drame, avec le clergé à la place des acteurs."
- Délocalisation des centres de savoir : de l'espace urbain vers le désert. (mont Cassin, Sainte-Catherine dans le Sinaï)
- Persistance des spectacles populaires hors de l'Eglise, mais victimes de censure.
679, le Concile de Rome ordonne aux évêques et aux clercs anglais de ne pas encourager les jocos vel ludos.
826, Concile de Rome : condamnation des spectacles populaires
XIVe : réitération des mêmes condamnations : répétition des condamnations tout au long du M-A (argumentaire asse large : on reproche aux ludi populaires de singer les courtisans, le clergé ; on reproche aux clercs protégeant les mimes, les acteurs et les bouffons de laisser mourir les miséreux).
Tropes ecclésiastiques (ou drame liturgique) en Angleterre : vers 970, Quem quaeritis de Winchester, Visitatio Sepulchri : refus délibéré de la représentation/de la mimèsis.
A partir de la seconde moitié du XIIe, les objections au drame liturgique sont moins fréquentes, qu'à l'égard des variétés laïques.
Critique des pièces ecclésiastiques par Gerhoh de Reichersberg.
Reproches que le cistercien Aelred de Rievaulx adresse aux prêtres anglais aux "gestes d'histrions" et aux "pauses affectées", aux "grimaces et aux chants expressifs".

Réflexions de Goody sur la tendance à vouloir lire le théâtre profane du M-A comme une survivance de rites païens, de "cérémonies primitives". Ce qu'on peut assurément constater, c'est que "les sommets étaient occupés par la culture écrite des "élites", qui laissaient au peuple (folk) le soin de combler les vides."

"L'hostilité aux pièces et, en fait, toute idée que l'art figuratif n'était qu'une dangereuse illusion perdirent peu à peu de leur importance aux XII-XIIIe siècles tandis que commençait à renaître une tradition théâtrale."

XIIIe : des pièces religieuses se jouent en province.
1299 : pièces séculières (spel) jouées au mariage d'Edouard Ier avec Marguerite de France.
Première pièce profane en Angleterre : Interludium de Clerico et Puella
(sur le drame anglais médiéval, les pages du site luminarium).
La place du marché et les rues servent de cadre aux spectacles, désormais sous le contrôle des autorités municipales et des guildes.

Elargissement européen avec Jean Bodel - Arras, 1165-1210 - dont le Jeu de saint Nicolas sera repris deux siècles plus tard par des clercs de Notre-Dame de Saint-Omer le jour de la Saint Nicolas 1417.

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