Distinction usage littéral et usage non-littéral du langage : tradition rhétorique. Traitement des figures de rhétorique, en particulier la métaphore et l'ironie.
La distinction entre usage littéral et usage non-littéral dans la théorie de la pertinence
Position de la tradition linguistique :
- il y a une frontrière stricte entre littérarité et non-littérarité ;
- les énoncés littéraux et non-littéraux ne sont pas interprétés de la même façon ;
- les énoncés littéraux n'ont qu'un seul sens, le sens littéral ; les énoncés non-littéraux ont deux sens, un sens littéral et un sens non-littéral ou figuré ;
- deux grandes catégories de figures :
- les figures de style (métaphore, métonymie,...) qui se repèrent linguistiquement
- les figures de pensée (ironie) qui se repèrent par le contraste entre leur sens littéral et le contexte ou la situation ;
- la littéralité et la non-littéralité sont définies hors contexte en ce qui concerne les figures de style ; ce sont des propriétés des phrases et non des énoncés.
- même processus d'interprétation pour les énoncés littéraux et les non-littéraux ;
- pas de distinction tranchée entre usage littéral et non-littéral ; mais continuum allant de la littéralité complète à la non-littéralité ;
- littéralité et non-littéralité sont relatives à la pensée que le locuteur veut communiquer : selon le degré de ressemblance plus ou moins grand entre cette pensée et l'énoncé.
- le degré de ressemblance est fonction du nombre d'implications contextuelles communes que la forme propositionnelle de l'énoncé et celle de la pensée suscitent confrontées à un même contexte ;
- la littéralité et la non-littéralité ne sont pas des propriétés de la phrase, mais de l'énoncé ;
- la non-littéralité ne se réduit pas aux figures de rhétorique.
Dans la théorie traditionnelle qui distingue de façon stricte énoncés littéraux et non-littéraux et qui postule deux processus d'interprétation distincts, il est nécessaire qu'il y ait un déclencheur linguistique pour rendre possible le passage au sens non-littéral.Possibilité de répertorier les formes linguistiques de la non-littéralité.
Mais faille dans cette théorie : distinction entre figures de style et figures de pensée, ces dernières n'offrant pas de déclencheur linguistique.
S et W :
- tout d'abord constat de l'omniprésence des figures de style (Dumarsais : " je suis persuadé qu’il se fait plus de figures en un seul jour de marché à la halle, qu’il ne s’en fait en plusieurs jours d’assemblées académiques .")
- intérêt particulier pour les métaphores créatrives, qui sont difficiles à paraphraser.
Cette difficulté à être paraphrasé montre que les métaphores ont un poids cognitif propre.
Littéralité, non-littéralité et ressemblance
Tout énoncé correspond à l'expression d'une pensée du locuteur qui peut être :
- une description du monde tel qu'il est ou tel que le locuteur souhaiterait qu'il soit,
- la représentation d'une pensée attribuée à quelqu'un d'autre,
- une pensée que le locuteur juge désirable.
Pensées et énoncés ont une forme propositionnelle, c'est-à-dire une forme à laquelle on peut attribuer une valeur de vérité.
Pensées et énoncés sont des représentations ayant un format commun, qu'ils partagent avec les propositions qui forment le contexte et qui permet de les comparer et de déterminer leur degré de ressemblance.
Ressemblance entre représentations à forme propositionnelle :
nombre d'implications communes qu'elles ont lorsqu'elles sont interprétés par rapport au même contexte.
Selon le degré de ressemblance, l'énoncé E peut être considéré dans un contexte C comme une représentation littérale ou non littérale de la pensée P.
Le degré de littéralité dépend du degré de ressemblance entre les représentations à forme propositionnelle.
Non-littéralité et discours approximatif
La majeure partie de nos énoncés correspondent à des discours approximatifs, dans lesquels nous disons des choses inexactes mais suffisamment proches des choses exactes pour que leur inexactitude ne pose pas de problème.
Exemple. Philippe dit à des amis étrangers "J'habite à Paris" au lieu de dire "J'habite à Neuilly",
Les deux représentations à forme propositionnelle, Philippe habite à Paris et Philippe habite à Neuilly partagent la plupart de leurs implications, mais utiliser Philippe habite à Paris facilite la tâche d'interprétation des interlocuteurs : il permet d'obtenir des effets semblables à un coût moindre.
En disant "J'habite à Paris" le locuteur ne s'engage pas tant sur la vérité de la proposition Philippe habite à Paris que sur la vérité des implications que l'on peut tirer de cette proposition, comme Philippe mène une vie de Parisien.
Non-littéralité et métaphore
L'interlocuteur interprétant un énoncé métaphorique récupère un certain nombre d'implications vraies.
Théories classiques de la métaphore :
- les métaphores sont littéralement fausses
- elles sont non-littéralement vraies
Dans la théorie de S et W, la question de la fausseté de la métaphore disparaît ; ce qui importe, c'est que certaines de ses implications au moins sont vraies, ce qui suffit à la rendre pertinente.
Par ailleurs, la fausseté n'est pas une qualité essentielle de la métaphore.
Certaines métaphores sont vraies : "Nul homme n'est une île" (No man is an island , John Donne).
Ou bien, si on prend un énoncé métaphorique faux ("Aujourd'hui ta chambre est une porcherie") et qu'on lui applique une négation, on obtiendra d'un point de vue logique nécessairement un énoncé vrai. Si l'énoncé est toujours métaphorique, c'est la preuve que la fausseté n'est qu'une caractéristique fréquente et contingente des métaphores et non une propriété essentielle.
Comparaison entre énoncés approximatifs et métaphores :
ce qui les distingue, c'est la possibilité ou non d'une paraphrase littérale : celle-ci est difficile, voire impossible pour les métaphores.
La pensée exprimée dans une métaphore est souvent une pensée que le locuteur ne pouvait exprimer à cause de sa trop grande complexité.
Dans le cas d'un énoncé approximatif, il y a toujours le choix d'utiliser un énoncé littéral. Ce qui n'est pas le cas pour les énoncés métaphoriques.
Différence avec Searle pour qui toute pensée peut être représentée par un énoncé littéral (principe d'exprimabilité).
Question de l'engagement du locuteur : dans l'usage approximatif, le locuteur ne s'engage pas sur la vérité de la proposition exprimée par son énoncé. Mais, on a chez l'interlocuteur une attente de pertinence (communication ostensive-inférentielle).
L'engagement du locuteur et la description des actes de langage dans la théorie de la pertinence
Question de la place des actes de langage dans le cadre d'une théorie pragmatique : S et W remettent en cause la place centrale qui leur est accordée. Pour eux, les actes de langage à proprement parler relèvent davantage de la sociologie ou du droit que de la pragmatique ou de la linguistique.
Nécessité de distinguer les actes de langage où l'identification précise de la force illocutionnaire a un rôle crucial (baptême, déclaration de guerre, les annonces au bridge...)
et ceux où elle ne paraît pas importante.
Pour S et W, les premiers relèvent de la sociologie.
Pour la théorie de la pertinence, division tripartite des actes de langage :
- dire que (assertion, déclaration)
- dire de (ordre, requête)
- demander si (question)
Question de l'engagement : dire que P (P : proposition exprimée par l'énoncé), c'est communiquer que la pensée représentée par P est entretenue comme la description d'un état de choses réel.
L'engagement ne porte pas sur P, mais sur la pensée représentée par P, ce qui permet de sortir de la question du mensonge (des métaphores ou des énoncés approximatifs).
Fiction et littéralité
A la suite de Searle, distinction traditionnelle entre d'une part discours sérieux (non-fictif) et discours non-sérieux (fictif) et d'autre part discours littéral et non-littéral.
- littéral et sérieux : "Shakespeare est l'auteur de Hamlet."
- littéral et non sérieux : "Hamlet est prince du Danemark."
- non-littéral et sérieux : "Nul homme est une île."
- non-littéral et non-sérieux : "Juliette est le soleil."
Comme la métaphore, la fiction nous permet de déduire des conclusions vraies à partir des énoncés du discours et des propositions des contextes successifs par rapport auxquels ces énoncés sont interprétés.
Fiction, vérité et interprétation
Quel est l'intérêt de la fiction (ou des métaphores) dans le cadre d'une théorie cognitiviste ?
C'est parce qu'elle est non-littérale que, malgré la fausseté de la majeure partie des énoncés qui la composent, la fiction contribue à la construction ou à l'amélioration de la représentation du monde ?
Pb lié au fait que la fiction n'est pas reconnue comme telle.
Autre difficulté : la forme logique des énoncés de fiction (s'ils sont faux) peut se trouver en contradiction avec une proposition dans le contexte.
Ex. : l'énoncé "Sherlock Holmes habitait Baker Street" s'ajoute à un contexte comportant la proposition Sherlock Holmes n'existe pas.
Problème identique pour l'ensemble des métaphores qui sont fausses.
Solution : introduire la forme logique de l'énoncé à interpréter dans le contexte et à écarter provisoirement les propositions déjà dans le contexte et qui seraient contradictoires. On peut alors tirer les implications de l'énoncé par rapport au contexte, ce qui permet d'interpréter les métaphores et la fiction, sans être confrontés au problème d'une contradiction interne au contexte. Les propositions obtenues sont évaluées en terme de plus ou moins grande chance d'être vraies ; celles qui sont directement relatives à la fiction sont conservées et on leur adjoint une "préface" qui indique de quelle oeuvre de fiction elles sont tirées.
Ex. Lorsqu'on veut interpréter l'énoncé "Sherlock Holmes habitait à Baker Street", on ajoute sa forme logique au contexte dont on écarte la proposition Sherlock Holmes n'existe pas. On peut déduire de l'énoncé et du contexte un certain nombre de propositions qui comportent toutes la préface "Dans Les Aventures de Sherlock Holmes".
C'est le même processus qu'on observe dans les phrases contrefactuelles qu'on trouve par ex. dans le système conditionnel irréel dont l'antécédent indique sa propre fausseté.
Par définition, l'antécédent d'une contrefactuelle entre en contradiction avec une proposition du contexte.
Ex. "Si j'aurais su, j'aurais pas venu."
Le locuteur et l'interlocuteur d'une contrefactuelle supposent que la proposition exprimée dans l'antécédent qu'ils savent fausse est vraie et ils écartent du contexte les propositions contradictoires ; dès lors le conséquent (la deuxième partie de la phrase contrefactuelle) est une des implications possibles de l'antécédent dans le contexte.
Métaphore, fiction et contrefactuelles partagent un mécanisme commun : la supposition qui consiste à écarter les propositions du contexte qui entrent en contradiction avec la forme logique de l'énoncé à interpréter.
(mais dans le cas des contrefactuelles, le processus est codique, i-e linguistique)
Usage approximatif, vague ou flou des concepts
Rendre compte du flou de certains concepts par la notion d'usage approximatif.
Ex. l'usage de termes comme "chauve", "tas"... ou l'usage de termes absolus ("mort") avec un modificateur ("tout à fait") :
les concepts ou les modificateurs sont ici utilisés de façon approximative, c'est-à-dire non-littérale.
Le flou ne serait pas une caractéristique du concept mais de son usage.
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