mercredi 28 décembre 2011

Cecilia Gallotti, Le voile d'honnêteté et la contagion des passions, Sur la moralité du théâtre au xviie siècle

Je cite ici l'excellente "note bibliographique" publiée à la fin de l'article de Cecilia Galloti, "Le voile de l'honnêteté et la contagion des passions" paru en 1994 dans la revue Terrain. On y trouvera une chronologie précise de la querelle de la moralité du théâtre dans le cadre français.



Note bibliographique
Presentons quelques jalons bibliographiques du developpement de la querelle sur la moralite du theatre. Les annees qui la precedent sont caracterisees par une quasi-absence de polemique sur la question. La declaration du 1641 (1821-1833. « Declaration royale du 1641 », in Isambert F. A., Recueil general des anciennes lois francaises, t. XVI, Paris, p. 536) definit la politique royale de protection des compagnies theatrales. La publication de Aubignac F. H. (d') (1657. La pratique du theatre, Paris, A. de Sommaville) avait ete commandee des 1642 par Richelieu, et conjugue le discours sur les regles poetiques de composition dramatique a celui sur les implications morales. Sa visee etait de propagande, et ses propositions d'instaurer un organisme etatique de censure du theatre devaient soulever beaucoup de vagues. Dans la meme edition, d'Aubignac publie le Projet pour le retablissement du theatre francais, contenant lescauses de sa decadence et les remedes qu'on pourroit y apporter, ou il met au point l'argumentation sur la legitimite theologique du theatre, qui sera par la suite une des cibles de tous les accusateurs.
Parmi les precedents indirects de la querelle, signalons : le texte de Senault J. F. (1661. Le monarque ou les devoirs du Souverain, livre IV, septieme discours, Paris, Pierre le Petit) ; et les traductions rectifiees du traite de San Carlo Borromeo (1662 et 1664. Traite contre les danses et lescomedies). Les precedents directs – c’est-a-dire repris concretement a l'interieur des textes de la querelle – sont les ecrits de d'Aubignac et de Corneille P. (1660. Trois discours sur le poeme dramatique, ed. cit. 1982, Paris, SEDES).
Le corpus de textes qui composent la querelle proprement dite, comme ensemble de discours qui se citent et se critiquent les uns les autres, est a mon avis periodisable en deux phases


La premiere court entre les annees 1665-1671 ; la seconde tourne autour de l'"affaire Caffaro" en 1694 ; entre les deux, une longue phase intermediaire englobe les evenements de la mort de Moliere (1673) et du retrait de Racine (1677 environ), et regroupe des textes divers, peu lies entre eux par une dynamique dialogique. Un signe avant-coureur de la querelle peut etre identifie dans une polemique precedente : cf. 1646. Proces des danses et theatres debattu entre Philippe Vincent, ministre de Saint Evangile en l'Eglise reformee de la Rochelle d'une part, et d'aucuns des sieurs jesuites de la meme ville, La Rochelle ; cf. aussi : Vincent P., 1647. Traite des theatres, La Rochelle. 


La querelle sur l'’ « hérésie janseniste » peut etre consideree comme le point de depart. La premiere attaque contre les jansenistes de Port-Royal est celle de Desmarets de Saint Sorlin J. (1666. Response a l'insolente apologie des religieuses dePort-Royal, Paris, J. Couterot). Nicole P. lui repond (1667. Les Imaginaires etles Visionnaires, Liege, A. Beyers ; ed. cit. 1683, Cologne, Pierre Marteau), rejette l'accusation d'heresie et fustige, au-dela de Desmarets, tous les auteurs de theatre. Racine J. (1666a. « Lettre a l'auteur des"Imaginaires" », ed. cit. 1807, in OEuvres Completes, Paris, Agasse) oppose une reaction vehemente. Desmarets repond a Nicole (Desmarets de Saint Sorlin J., 1666. Seconde partie de la reponse a l'insolente apologie des religieuses de Port-Royal, Paris, Muguet). A la reaction de Racine font front deux lettres de Du Bois G. et Aucour Barbier (d'), ecrites en 1666 mais rendues publiques dans la nouvelle edition des Imaginaires du 1667 (ed. cit. : Racine J., 1807, op. cit.). Racine s'apprete a riposter sur le champ mais est dissuade par « quelques amis » de publier deux ecrits, qui n'apparaitront qu'a titre posthume (Racine J., 1666b. Lettre pour la defense des poetes et des auteurs dramatiques contre l'auteur des "Imaginaires" et des "Visionnaires", ed. cit. 1807, op. cit.). Le traite de Nicole P. (1667. De la comedie, Liege, A. Beyers ; ed. augm. : 1675. Essais de Morale, vol. III, Paris, G. Desprez ; ed. cit. 1961, Paris, Les Belles Lettres) est probablement oriente contre les interventions tant de Racine que de d'Aubignac (1657). A ce dernier, le prince de Conti, eveque d'Alet, avait deja repondu dans son traite contre le theatre (Conti A. B. (de), 1666. Traite de la comedie et des spectacles selon la tradition de l'Eglise, Paris, L. Billaine), apres son retour a la « vraie devotion ». D'Aubignac reprend la plume a son tour (Aubignac F. H. (d'), 1666. Dissertation sur la condamnation des theatres, Paris, N. Pepingue). Corneille, mis en cause par Nicole, intervient a son tour (Corneille P., 1667. « Au lecteur », en tete de Attila). Apres l'intermede de l'abbe de Pure (1668. Idees des spectacles anciens et nouveaux, Paris, M. Brunet) la querelle reprend avec l'ouvrage de Voisin J. (1671. Defense du traite de Mgr prince de Conti, Paris, J. B. Cognard), somme complete de tous les arguments des accusateurs, qui a pour premier interlocuteur d'Aubignac, et qui clot cette premiere phase.

Nous avons insiste dans cet article uniquement sur celle-ci, mais rappelons qu'entre la premiere et la deuxieme phase, outre les evenements de la « querelle du Tartuffe », la « querelle de L'Ecole des femmes » et les polemiques sur le Don Juan, des textes riches en suggestions apparaissent. En defense du theatre est publiee l'apologie de Chappuzeau S. (1674. Le theatre francois, Lyon, M. Mayer). Villiers P. (de) (1675. Entretien sur les tragedies de ce temps, Paris, E. Michallet) produit au contraire un texte critique sur la representation de l'amour au theatre. Suivi par Thiers J. B. (1686. Traite des jeux et des divertissements, Paris, A. Dezaillier). D'autres ecrits afferents a la querelle sont ceux de Lamy B. (1678. Nouvelles reflexions sur l'art poetique, Paris, Andre Pralard), Frain Du Tremblay (1685. Conversations morales sur les jeux et les divertissements, Paris, A. Pralard), Fenelon F. (de Salignac de La Mothe-) (1681 publ. en 1687. Traite de l'education des filles, Paris, P. Aubouin). 


L'« affaire Caffaro » eclate en 1694. La lettre en defense du theatre (Caffaro F., 1694. « Lettre d'un theologien », in Pieces de theatre de M. Boursault, Paris, J. Guignard) d'un des prelats les plus en vue de l'epoque (superieur des Theatins et confesseur du marechal duc d'Humieres) dechaine une serie de condamnations tres violentes, des ecrits et des sermons. C'est tout d'abord la correspondance entre Caffaro, Bossuet et l'archeveque de Paris (dans Bossuet J. B., 1881. Lettres sur les spectacles, Paris, E.Belin), a la suite de laquelle Caffaro se retracte. Ce sont ensuite la decision de la faculte de Theologie et d'autres reactions : Lelevel H., 1694. Reponse a la lettre d'un theologien defenseur de la comedie, Paris, T. Girard. La Grange C. (de), 1694. Refutation d'un ecrit favorisant la comedie, Paris, E. Couterot. Gerbais J., 1694. Lettre d'un docteur de Sorbonne a une personne de qualite sur le sujet de la comedie, Paris, C. Mazuel. Pegurier L., 1694. Decision faite en Sorbonne touchant la comedie, avec une refutation des sentiments relaches touchant la comedie, Paris, J. B. Coignard. Le Brun P., 1694. Discours de la comedie, Paris, L. Guerin et J. Boudot. Coustel P., 1694. Sentiments de l'Eglise et des Saints Peres pour servir de decision sur la comedie et les comediens, Paris, Vve de C. Coignard. Bardou P., 1694. Epistre sur la condamnation du theatre, a Monsieur Racine, Paris, Vve J. B. Coignard. Bossuet J. B., 1694. Maximes et reflexionssur la comedie, Paris, J. Anisson. 
Deux interventions inclassables pour finir. Leibniz, en 1694, s'exprime en faveur du theatre (dans Leibniz, 1874. Correspondance avec l'electrice Sophie de Brunsewick-Lunenbourg, t. I, Hanovre, ed. O. Klapp, p. 307) ; Gacon F. (1696. Le Poete sans fard ou Discours satyriques, Paris, G. Cologne) adresse une epitre satyrique a Bossuet, dans laquelle il impute aux prelats une vie plus dissolue que celle des acteurs. 
En fin de siecle, Lalouette A. (1697. Histoire de la comedie et de l'opera, ou l'on prouve qu'on ne peut y aller sans pecher, Paris) proposera un resume historique de la querelle.


Cecilia Gallotti, « Le voile d'honnêteté et la contagion des passions », Terrain, numero-22 - Les émotions(mars 1994), [En ligne], mis en ligne le 15 juin 2007. URL : http://terrain.revues.org/3085. Consulté le 28 décembre 2011.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire