jeudi 28 février 2013

Humour : atelier fabula : l'humour est-il rhétorique ? Prise de notes (2)

La suite de la prise de notes :



ATELIER DE THÉORIE LITTÉRAIRE : HUMOUR EST-IL RHÉTORIQUE ?

Bernard Gendrel, Patrick Moran



b. Litote et hyperbole

Genette voit dans litote et hyperbole les deux figures privilégiées de l’humour.

La litote
Définition de Fontanier : « au lieu d'affirmer positivement une chose, nie absolument la chose contraire, ou la diminue plus ou moins, dans la vue même de donner plus d'énergie et de poids à l'affirmation positive qu'elle déguise. »

Proposition vite avancée, vite retirée de définir la litote comme un faux euphémisme (c’est-à-dire recours à la forme euphémistique (diminution) mais pour frapper davantage)

De nouveau, exemple tiré de Bierce pour mener l’analyse :

« Early one June morning in 1872 I murdered my father - an act which made a deep impression on me at the time »

Recours à une formule euphémistique pour qualifier un acte actroce

Ici l’usage d’une formule euphémistique comme qualification de l’acte ne sert pas à rétablir une vérité cachée mais « révéler l'humour absurde de l'ensemble ».

[Discussion :
1. Y a-t-il ici litote ?
              J’aurais tendance à en douter : dire d’un acte qu’il a fait « une profonde impression » n’est pas une litote.
              La litote est une figure de substitution : un trope. C’est-à-dire qu’il y a autrechose à la place. Ici, je ne suis pas certain qu’il y ait substitution.
2. L’effet d’humour tient davantage à l’usage d’une expression assez usuelle, pour ne pas dire figée « faire une profonde impression sur moi » pour qualifier un acte auquel cette expression ne s’applique pas. Il faudrait bêtement montrer à quoi on peut appliquer cette expression : un film ? la visite d’un monument ? d’une ville ?]
Hyperbole : problème similaire

Définition de Fontanier : « L'Hyperbole augmente ou diminue les choses avec excès, et les présente bien au-dessus ou bien au-dessous de ce qu'elles sont, dans la vue, non de tromper, mais d'amener à la vérité même, et de fixer, par ce qu'elle dit d'incroyable, ce qu'il faut réellement croire. »
[On notera en passant les efforts presque désespérés de Fontanier pour garder l’hyperbole dans la sphère de la vérité, ce qui pourrait être franchement discuter... ]

Exemple tiré de Blondin : un prof qui conte la bataille de Fontenoy ; à la sonnerie de la cloche, les enfants qui sortent « semblaient enjamber avec une déférence renouvelée les douze mille cadavres que j’avais amoncelés entre ma chaire et le tableau noir »

Ici l’hyperbole des « douze mille cadacres » ne crée aucune vérité.

L’auteur du séminaire propose de parler de faux euphémisme ou d’excès dans le cas de l’humour – parce qu’il n’y a pas de rétablissement d’une vérité.

c. Épitrope et astéisme

C’est toujours Genette qui sert de guide :
« L'Épitrope ou Permission, dans la vue même de nous détourner d'un excès, ou de nous en inspirer soit l'horreur, soit le repentir, semble nous inviter à nous y livrer sans réserve, ou à y mettre le comble, et à ne plus garder de mesure. » (Fontanier)

Exemples :
1.      Britanicus, Agrippine à Néron : un usage ironique de l’épitrope
« Poursuis, Néron ; avec de tels ministres, / Par des faits glorieux tu vas te signaler ; / Poursuis, tu n’as pas fait ce pas pour reculer. »

2.      Swift, Instructions aux domestiques : épitrope et humour.
« Quand vous avez cassé toutes vos tasses de faïence (ce qui ordinairement est l'affaire d'une semaine), la casserole de cuivre fera aussi bien l'affaire. On y peut faire bouillir le lait, chauffer le potage, mettre de la petite bière, elle peut en cas de nécessité servir de « Jules » ; appliquez-la donc indifféremment à tous ces usages ; mais ne la lavez, ni ne la récurez jamais, de peur d'enlever l'étamage. Bien qu'on vous ait affecté des couteaux pour vos repas à l'office, vous ferez bien de les ménager et de n'employer que ceux de votre maître. »
Je reprends telle quelle l’analyse proposée dans le séminaire :
Le locuteur encourage ici les domestiques à faire des actions répréhensibles, mais rien n'indique qu'il s'agisse d'une attaque contre ces pratiques et qu'il faille retourner l'éloge en condamnation. L'humour est au delà.

Astéisme : « est un badinage délicat et ingénieux par lequel on loue ou l'on flatte avec l'apparence même du blame et du reproche.»

d. Paradoxisme
« Le Paradoxisme, qui revient à ce qu'on appelle communément Alliance de mots, est un artifice de langage par lequel des idées et des mots, ordinairement opposés et contradictoires entre eux, se trouvent rapprochés et combinés de manière que, tout en semblant se combattre et s'exclure réciproquement, ils frappent l'intelligence par le plus étonnant accord, et produisent le sens le plus vrai, comme le plus profond et le plus énergique. » (Fontanier)
Pour l’auteur, là où la rhétorique use du paradoxe pour faire découvrir une vérité plus profonde, l’humour lui ne recourt qu’à un faux paradoxe.
Opposition entre l’exemple de Boileau (paradoxe au service d’une vérité) et Woody Allen (faux paradoxe)

« Souvent trop d'abondance appauvrit la matière. »
« ce n'est pas que j'aie vraiment peur de mourir, mais je préfère ne pas être là quand ça arrivera »

Opposition entre esprit et humour :
« Pour qu’il y ait esprit il y ait écart comique, mais il faut aussi qu’il y ait maintien du fonctionnement rhétorique » (c’est-à-dire que la vérité reste l’horizon de la parole)
« Corot est l'auteur de 3000 tableaux dont 10000 ont été vendus aux Américains » (Alfred Capus).

e. Syllepse
« Les Tropes mixtes, qu'on appelle Syllepses, consistent à prendre un même mot tout-à-la-fois dans deux sens différents, l'un primitif ou censé tel, mais toujours du moins propre ; et l'autre figuré ou censé tel, s'il ne l'est pas toujours en effet. » (Fontanier)
« Rome n’est plus dans Rome »
« Brûlé par plus de feux que je n'en allumai »

Reprise de la distinction humour/esprit (présence ou non du fonctionnement rhétorique)
« Il n'y a qu'à être en Espagne pour n'avoir plus envie d'y bâtir des châteaux » (Madame de Sévigné)

Bilan

Rapprochement avec DominiqueNoguez qui souligne le caractère anti-rhétorique de l’humoue (mais chez Noguez, la rhétorique est ce qui est visible, repérable, alors qu’ici la rhétorique (à la Fontanier) se définit bien plus comme un arraisonnement du langage à une entreprise de persuasion mise au service de la vérité)

On arrive aux distinctions suivantes :


Fonctionnement comique
Situation d’énonciation
Fonctionnement rhétorique
humour
+
Normale (locuteur = énonciateur)
_
esprit
+

+
ironie
+
Locuteur différent énonciateur
+



[1] La Tournelle était la Chambre Criminelle du Parlement de Paris.

jeudi 21 février 2013

humour : compte rendu par Claude Hagège de l'ouvrage de Salvatore Attardo, Linguistic Theories of Humor

Je reprends ici le compte rendu de Claude Hagège publié dans la revue L'Homme de l'ouvrage de Salvatore Attardo, Linguistic theories of humor, 1994.
Consultable sur le site Persée :


Claude Hagège. S. Attardo, Linguistic Theories of HumorL'Homme, 1997, vol. 37, n° 142, pp. 117-119.


Consulté le 22 février 2013
Salvatore Attardo, Linguistic Theories of Humor. Berlin-New York, Mouton de Gruyter, 1994, xix + 426 p., bibl., append., index, fig., tabl. (« Humor Research » 1).

Cet ouvrage, qui inaugure la collection « Humor Research » lancée par les éditions Mouton de Gruyter, est consacré, comme l'indique son titre, à un examen des principales théories linguistiques qui, spécifiquement ou à l'occasion d'autres thématiques, traitent de l'humour en tant que manifestation culturelle susceptible d'intéresser tant les linguistes que ceux qui l'abordent par des biais différents. Il est clair que Salvatore Attardo (aujourd'hui professeur à Purdue University, Indiana), auquel on doit de nombreux travaux sur diverses formes d'humour (dont la barzelletta, genre de plaisanterie appartenant à la tradition ita­lienne), traite ici un sujet qu'il connaît bien et sur lequel il a beaucoup travaillé : sa biblio­graphie n'occupe pas moins de cinquante-deux pages, et son ouvrage cite un nombre consi­dérable d'auteurs dont il présente les idées sans toujours prendre assez de distance critique : pour ne donner qu'un seul exemple, il reprend à P. Guiraud le traitement de l'humour comme « défonctionalisation » du langage et à M. Apter l'idée de le définir comme une « activité paratélique » s'opposant aux activités orientées vers un but, alors que l'on pourrait tout aussi bien considérer comme inhérent au langage, en parlant de fonction ludique(1), le goût du jeu avec les mots, dont S. Freud montrait en 1905, dans son ouvrage sur le Witz, qu'il est commun aux adultes et aux enfants.
L'énumération consciencieuse et l'étude détaillée des nombreuses théories sur l'humour que l'on trouve dans la littérature spécialisée confèrent parfois à l'ouvrage une allure de catalogue et induisent une présentation qui, faute d'être assez nerveuse, n'évite pas toujours les pièges du bavardage et de la prolixité. Le livre abonde en longs débats dont l'auteur reconnaît parfois lui-même qu'on ne peut presque rien en conclure (« largely inconclusive », écrit-il à propos de l'un d'eux). Aux passages en revue et exposés modérément critiques de théories dont il ne se dégage guère de point décisif, aux déclarations en faveur de modèles interprétatifs dont S. Attardo n'établit pas de manière convaincante en quoi ils sont « clearly to be preferred », s'ajoutent les rappels de modèles de base, comme la théorie saussurienne des associations (dites plus tard paradigmatiques), dont deux raisons au moins rendaient peu nécessaire ici le traitement : d'une part le fait qu'ils sont fort connus, d'autre part l'absence de relation directe avec la problématique de l'humour. En outre, la prolixité enfante le truisme, et l'auteur n'échappe pas à cette filiation lorsqu'il déclare, par exemple, que l'humour du locuteur aux dépens de l'auditeur produit des effets négatifs, par opposition à l'humour de complicité.
On pourrait considérer le plan de l'ouvrage comme responsable, pour une part, de cette absence de vigueur. Une autre organisation de sa matière était, en tout cas, possible. L'auteur présente, pour l'essentiel, trois théories qu'il appelle respectivement « le modèle de la disjonction d'isotopie », « la théorie de la bisociation » et « la théorie de l'humour selon scénario sémantique ». Or, au lieu que ces théories soient présentées sous un même grand titre initial qui les regrouperait en développements successifs, elles apparaissent, après un premier chapitre historique où sont rappelés les apports des Grecs, des Latins, de la Renaissance et du début du xxe siècle, la première au chapitre 2, la deuxième dans la première section du chapitre 5, et la troisième au chapitre 6. Le reste du volume est consacré d'une part aux calembours (chap. 3 et 4), d'autre part à la relation entre l'humour et le style (chap. 7), entre l'humour et le destinataire (chap. 9), enfin à l'humour dans un long texte (chap. 8 et 10), le dernier chapitre ne comprenant que trois pages où sont indiquées des directions de recherche. De cet examen il ressort que l'ordre logique des chapitres aurait dû être le suivant :l-2-5-6-3-4-9-8-10-ll.
Une autre raison du flou dont ce livre produit parfois l'impression est tout simplement que les notions clés sur lesquelles il s'organise ne sont pas définies ; et que, corollairement, des distinctions importantes ne sont pas faites. Si paradoxal qu'il paraisse, la définition de l'humour lui-même n'est nulle part donnée clairement ; dans l'introduction (« chapitre 0 », selon l'habitude disgracieuse aujourd'hui répandue), il est dit que cette définition est impos­sible (B. Croce étant cité à témoin), et aucun discriminant n'est fourni pour distinguer entre elles les composantes de ce que l'auteur appelle le « champ sémantique de l'humour » : satire, comique, ironie, plaisanterie, dérision, sarcasme, bon mot, calembour, etc. On ne voit pas, en particulier, où se situe la différence entre plaisanterie et calembour, ainsi qu'entre ces notions et celles qui en sont voisines ; c'est dans une petite parenthèse (p. 193) que l'au­teur caractérise la plaisanterie comme « un texte court », et dans une note (p. 293) où, ayant consenti à préciser que la plaisanterie relève, par ses dimensions, de la linguistique du texte, il se contente d'écrire que la comparaison entre elle et d'autres types narratifs humoristiques est « extrêmement complexe » et renvoie à divers auteurs pour la distinction que l'on peut tracer, par exemple, entre plaisanterie et anecdote amusante. On ne sait donc auquel de ces deux genres il convient d'assigner le dialogue suivant, emprunté à A. Greimas : « Belle soirée, hein ? Repas magnifique... et puis jolies toilettes, hein ? — Ça, dit l'autre, je n'en sais rien. — Comment ça ? — Non, je n'y suis pas allé !» ; le calembour, tout comme la plaisanterie au sens où l'entend S. Attarde, joue sur une ambiguïté (bien que certains exemples qu'en donne l'auteur exploitent des domaines hétérogènes : delirium tremensl très mince est une attraction morphologique, alors que souffrante pour désigner une allu­mette est un jeu sur l'homonymie des radicaux du verbe souffrir et du nom soufre) ; ce serait donc le cadre textuel, large dans un cas, réduit à une unité dans l'autre, qui distinguerait calembour et plaisanterie ; mais il n'y a pas de théorisation explicite de ce point dans l'ouvrage, pourtant foisonnant d'exposés sur les théories. On ne trouve pas non plus de théo­risation de la possibilité de traduire, et l'auteur ne traite à part ni les expressions idioma­tiques, ni les bons mots qui sont liés aux formes spécifiques d'une langue donnée : si « genius is 1 % inspiration and 99 % perspiration » est compréhensible aux francophones moyennant le changement de per- en trans-, en revanche, « do you believe in clubs for young people ? — Only when kindness fails » suppose qu'ils sachent que club peut signifier aussi bien « bâton » que « club » ; ils doivent connaître assez d'anglais également si l'on veut qu'ils apprécient la contrepèterie yesterday the dear old queen gave an audience to the queer old dean ; inversement, seule une bonne compétence en français permet à des étran­gers d'apprécier (s'il y a lieu...) marché coma, vaticancan, mieux vaut Tartuffe que jamais ou bulletin d'informacons.
Les trois théories que l'auteur privilégie ici se ramènent en réalité à deux, puisque, analysant le modèle de la bisociation, il écrit qu'elle n'est qu'une variante notationnelle de la disjonction d'isotopie et du scénario sémantique. Il n'empêche que la théorie de la bisocia­tion a exercé une grande influence, comme le rappelle S. Attardo, sur des auteurs aussi variés qu'Eco, Fonagy, Manetti et d'autres. La bisociation est, selon la définition d'A. Koestler, qui a proposé cette théorie dans L'acte de création (1964) (il s'agit bien du grand humaniste et romancier anglo-hongrois auteur de Zéro et l'infini !), « la perception d'une situation ou d'une idée dans deux cadres de référence cohérents mais habituellement incompatibles ». D'une manière en effet parallèle, le modèle de la disjonction d'isotopie postule que les plai­santeries sont constituées d'une contradiction entre deux mondes sémantiques, ou isotopies, qui sont présentés ensemble alors qu'ils sont disjoints. Le modèle du scénario sémantique, quant à lui, emprunte initialement à la psychologie (Bartlett, Bateson, Goffman) la notion de scénario, ou texte écrit, qui désigne un ensemble organique d'informations sur un sujet donné, cet ensemble étant une structure cognitive intériorisée par le locuteur ; ce dernier possède, selon V. Raski — auteur de la théorie (familier de S. Attarde, tous deux enseignant dans la même université) qui a adapté à l'interprétation de l'humour les idées chomskyennes — une compétence innée qui lui permet de décider qu'un texte est humoristique s'il est compatible avec deux scénarios opposés. À titre d'exemple, S. Attardo cite après Raskin le bon mot suivant : « Le docteur est-il chez lui ? », chuchote le malade d'une voix basse et toussotante. « Non », lui répond en chuchotant la jeune et jolie femme du docteur, « entrez tout de suite », ou encore celui-ci : « Combien de Polonais faut-il pour visser une ampoule ? — Cinq : un pour tenir l'ampoule et quatre pour tourner la table sur laquelle il est debout. » Selon l'auteur, ce dernier exemple oppose les scénarios réel et irréel et active le scénario idiot. Un autre exemple encore joue sur les fausses analogies : « Madonna n'en a pas, le pape en a un mais ne s'en sert pas, Bush en a un court, et Gorbatchev en a un long. Qu'est-ce que c'est ? — Réponse : un deuxième nom ». Un dernier exemple exploite l'iné­puisable veine des ambiguïtés suscitées par les formulations qui évoquent à la fois le scénario des geste de l'amour et celui des autres gestes : la mère de trois sœurs mariées le même jour écoute aux portes la nuit venue, et demandant, le lendemain, pourquoi l'une a crié « hihihi », l'autre « hahaha », tandis que la dernière n'a rien dit, s'entend répondre, respectivement : « ça chatouillait », « ça faisait mal » et « tu m'as appris qu'il était toujours impoli de parler la bouche pleine ». On voit que le répertoire de bons mots dressé par l'auteur inclut hardiment des registres et des goûts assez variés...
L'ouvrage est essentiellement fondé sur les conceptions et les illustrations occidentales de l'humour. Au sein de ces dernières, l'humour juif, dont la richesse n'est pas sans liens avec l'absurdité des situations juives, n'est qu'à peine mis à contribution, sauf dans un exemple qui exploite non pas la confrontation comique entre ces dernières et les situations non juives, mais le jeu, typiquement linguistique, sur l'adéquation illusoire entre le réfèrent et le signifiant : à la question « pourquoi le kugel (gâteau traditionnel du sabbat fait de pâtes et de pommes de terre) s'appelle-t-il kugel ?», le légendaire humoriste Motke Chabad répond : « Quelle est cette sotte question ? N'est-il pas doux comme le kugel ? N'est-il pas épais comme le kugel ? Et n'a-t-il pas le même goût que le kugel ? Alors, pourquoi ne devrait-il pas s'appeler kugel ? ». S. Attarde n'insiste pas assez sur cet humour de la circula­rité sémiotique. Non seulement il ne fait pas à l'humour juif, malgré la mention de ce bon mot, la place qu'il mérite, mais encore il n'utilise aucune des contributions que pourraient apporter aux théories de l'humour les cultures slave, arabe, indienne, chinoise, japonaise, austronésienne, africaine, amérindienne, etc. Corollairement, il manque ici, bien que l'auteur en fasse le vœu pieux dans le dernier chapitre, une perspective typologique.
Comme S. Attardo le reconnaît lui-même au début du premier chapitre, une partie de ce livre n'est pas directement pertinente pour la linguistique, et certains passages tiennent de la « tétracapillotomie » épistémologique. En outre, le style, lors même que sont exposées les théories de l'humour, n'est pas toujours d'une humoristique légèreté. Néanmoins, résultat de l'important travail d'un auteur très bien informé, l'ouvrage éclaire d'une vive lumière un sujet qui intéresse non seulement les linguistes, mais aussi les ethnologues et les spécialistes de littérature.

Claude Hagège Collège de France, Paris

1. Cf. C. hagège, L'homme de paroles, Paris, Fayard, 1985 : 262-263.
L'Homme 142, avril-juin 1997, pp. 115-171.



Humour : atelier fabula : l'humour est-il rhétorique ? Prise de notes (1)

Je commence ici la mise en ligne des notes prises à la lecture du séminaire publié sur Fabula de Gendrel et Moran : "L'humour est-il rhétorique ?"

Je continuerai ultérieurement cette mise en ligne.




ATELIER DE THÉORIE LITTÉRAIRE : HUMOUR EST-IL RHÉTORIQUE ?

Bernard Gendrel, Patrick Moran

Projet : chercher si l’humour privilégie certaines figures tout comme l’antiphrase semble être la figure favorite de l’ironie.

Il s’agira en fait de suivre les traces du travail de Genette dans Figures V où ce dernier examine en quoi les figures de rhétorique telles qu’elles sont définies par Fontanier peuvent rendre compte de l’humour.

Définition des figures par Fontanier :
« Les figures du discours sont les traits, les formes ou les tours plus ou moins remarquables et d'un effet plus ou moins heureux, par lesquels le discours, dans l'expression des idées, des pensées ou des sentimens, s'éloigne plus ou moins de ce qui en eût été l'expression simple et commune. »[i]
(définition de la figure par l’écart avec « l’expression simple et commune ».

1.        les figures de pensées (prosopopée, concession, éthopée, portrait, topographie etc.) et
2.        les figures de mots.

À l'intérieur des figures de mots il distingue

1)      les « figures de mots dans le sens propre », qui ne changent pas la signification habituelle des mots - figures de construction (inversion, énallage, ellipse, zeugme, anacoluthe...), figures d'élocution (répétition, gradation, adjonction, allitération, assonance, dérivation...), figures de style (périphrase, exclamation, apostrophe, antithèse, hypotypose),

2)      les tropes, qui prennent les mots dans un sens détourné. À l'intérieur des tropes il distingue les tropes en un seul mot (métonymie, synecdoque, métaphore, syllepse) et les tropes en plusieurs mots (personnification, allégorie, hyperbole, métalepse, litote, paradoxisme, prétérition, ironie, épitrope, astéisme...). Dans chaque catégorie j'ai souligné les termes sur lesquels nous reviendrons plus précisément.
La suite du séminaire propose un examen des différentes figures susceptibles d’éclairer l’humour.

[Remarque : si dans la définition de Fontanier rappelée ici c’est l’écart qui permet de définir les figures, on notera que dans la suite de l’argumentation de l’auteur de ce texte la rhétorique est essentiellement définie par son rapport à la vérité (c’est-à-dire que la figure est maintenant définie en fonction de sa finalité, faire apparaître une vérité qui n’était pas évidente au départ). Un tel arrimage de la rhétorique à la vérité mériterait d’être interrogé et il est sans doute plus caractéristique du projet de Fontanier que de la rhétorique elle-même. Si on pense aux conditions de naissance de la rhétorique en Grèce, à ses étroites relations de parenté avec la sophistique, à la condamnation platonicienne, postuler un lien consubstantiel entre rhétorique et vérité est loin d’apparaître comme une évidence.]

2. Figures privilégiées
a. Le problème de l'antiphrase

Fontanier redéfinit l’antiphrase comme ironie, en opposant ironie et catachrèse :
-          ironie et catachrèse se définissent toutes deux par « l’emploi d’un mot ou d’une façon de parler dans un sens contraire à celui qui lui est ou lui semble naturel »
-          dans le cas de l’ironie,
cet emploi se fait librement et par choix
-          dans le cas de la catachrèse,
cet emploi est forcé par l’usage

Définition de l’ironie : « L'Ironie consiste à dire par une raillerie, ou plaisante, ou sérieuse, le contraire de ce qu'on pense, ou de ce qu'on veut faire penser. »[iii]

Tentatives des théoriciens de l’humour de définir l’humour dans son rapport à l’antiphrase :
                            Genette, Bergson, Henri Morier
Genette : opposition entre antiphrase de fait (ironie) et antiphrase axiologique (reposant sur un jugement de valeur) – opposition réfutée de façon à mon sens pertinente par les auteurs de ce séminaire ; cf. séminaire d’ouverture.
Reformulation de la question : « savoir s'il arrive que l'humour prenne la forme de l'antiphrase. »

Analyse et jeu autour d’un extrait du Dictionnaire philosophique portatif de Voltaire, articule « torture ».
L’extrait choisi est donné comme un cas exemplaire d’ironie :

Voltaire, à propos de la question qu'un conseiller de la Tournelle inflige à un accusé, cite un vers des Plaideurs : « Cela fait toujours passer une heure ou deux ».

Les Romains n'infligèrent jamais la torture qu’aux esclaves, mais les esclaves n’étaient pas comptés pour des hommes. Il n’y a pas d'apparence non plus qu'un conseiller de la Tournelle[1] regarde comme un de ses semblables un homme qu’on lui amène hâve, pâle, défait, les yeux mornes, la barbe longue et sale, couvert de la vermine dont il a été rongé dans un cachot. Il se donne le plaisir de l’appliquer à la grande et à la petite torture, en présence d'un chirurgien qui lui tâte le pouls, jusqu'à ce qu’il soit en danger de mort, après quoi on recommence ; et comme dit très bien la comédie des Plaideurs : « Cela fait toujours passer une heure ou deux ».

Les auteurs proposent de décontextualiser la phrase et de l’inclure dans le cadre d’une nouvelle à la Ambrose Bierce :

« Hier j'ai tué toute ma famille. Cela fait toujours passer une heure ou deux. »

Dans le premier cas, son sens véritable de la phrase pourrait être rétabli en prenant l’énoncé contraire :

« La torture ne fait pas passer une heure ou deux, elle n'est pas un divertissement, puisqu'un être humain souffre. »

Reformulation impossible dans le deuxième cas.
Cette impossibilité de faire apparaître un sens véritable serait ainsi l’indice que nous sommes en présence d’humour (noir) et non d’ironie.

Je cite le séminaire : « On ne parlera pas non plus d'antiphrase puisqu'il n'y a finalement aucune proposition juste à rétablir. On se dit qu'Ambrose Bierce ne pense pas réellement ce qu'il dit mais cela ne signifie pas qu'il veuille faire dire l'inverse de ce qu'il pense. »




[1] La Tournelle était la Chambre Criminelle du Parlement de Paris.



mardi 19 février 2013

Humour : Kierkegaard, Post-scriptum aux miettes philosophiques : l'ironie

J'enchaîne avec le texte sur l'ironie, comme passage du stade esthétique au stade éthique.



Kierkegaard – Post-scriptum, IIe partie, 2e section, A) Le pathétique, §2

L’ironie paraît quand on rapporte sans cesse les particularités du monde fini à l’exigence éthique infinie et qu’on laisse éclater la contradiction. Celui qui le peut avec habileté sans se laisser prendre à quelque relativité capable d’effaroucher sa virtuosité, doit avoir exécuté un mouvement de l’infini, dans l’éventualité où il serait un éthicien. [...] L’observateur ne pourra donc même pas le surprendre à son incapacité de se voir lui-même sous un jour comique, car son interlocuteur est aussi capable de parler de soi comme d’un tiers, de se rattacher comme infime détail à l’exigence absolue ; de se rattacher, dis-je, et qu’il est étrange de voir ce terme désignant la dernière difficulté de la vie, celle de mettre en liaison des choses absolument différentes (comme l’idée de Dieu et celle d’une promenade à Dyrehaven), s’appliquer aussi dans le langage à l’art de taquiner ! Mais s’il est établi que notre homme est ironiste, il ne l’est pas qu’il soit éthicien. Il ne l’est que s’il se rapporte en son for intérieur à l’exigence absolue. Un pareil éthicien fait de l’ironie son incognito. C’est en ce sens que Socrate était éthicien mais qui, je le souligne, tendait à la limite du religieux ; aussi bien avons-nous montré précédemment (Sect. II, chap. II) l’analogie que son existence présentait avec la foi. Qu’est-ce donc que l’ironie, si l’on appelle Socrate un ironiste et si l’on ne se contente pas d’en mettre en relief un seul aspect comme l’a fait à dessein ou non le Mag. Kierkegaard dans sa thèse sur Le concept d’ironie ? L’ironie est la synthèse de la passion éthique qui accentue infiniment dans l’intériorité le je individuel rapporté à l’exigence éthique, et de la culture qui, dans le monde extérieur, fait infiniment abstraction de ce je individuel, comme d’une chose finie parmi toutes les autres choses finies et particulières. Cette abstraction a pour effet, et c’est l’art de l’ironiste, que personne ne remarque le premier aspect du je dont la véritable infinitisation se trouve ainsi conditionnée[1]. Une foule de gens vivent de la façon inverse ; ils s’empressent d’être quelque chose quand on les regarde et de se donner si possible de l’importance à leurs propres yeux dès qu’ils se voient observés ; mais tout au fond d’eux-mêmes, sous le regard de l’exigence absolue, ils n’ont aucune envie d’accentuer leur moi propre.
L’ironie est une détermination, une catégorie existentielle ; aussi rien n’est-il plus ridicule que d’y voir une façon de parler, ou que de voir un écrivain tout heureux d’avoir de temps à autre le ton ironique. Celui qui possède essentiellement l’ironie, la possède tout le long du jour sans qu’elle soit liée à aucune forme, parce qu’elle est en lui l’infinité.
L’ironie est la culture de l’esprit ; elle succède à l’immédiateté ; puis vient l’éthicien, puis l’humoriste, et enfin, l’esprit religieux. [...] Les hommes portent toujours sur un pareil individu ce jugement : pour lui, il n’y a rien qui compte. Et pourquoi ? Parce que pour lui, l’éthique a une importance absolue ; c’est en cela, en effet, qu’il diffère des hommes en général pour qui tant de choses sont importantes ; presque toutes le sont, mais aucune absolument. – Mais, je l’ai dit, un observateur risque d’être dupe s’il prend un ironiste pour un éthicien, car l’ironie n’est que la possibilité de le devenir.


[1] La tentative désespérée et manquée de l’éthique hégélienne, de faire de l’Etat la dernière instance de l’éthique, est au plus haut point contraire à l’éthique en voulant donner les individus au fini ; contre toute éthique, on y déserte la catégorie d’individualité pour passer à celle de génération, d’espèce. [...]


Humour : Kierkegaard, le Post-scriptume aux miette philosophiques

J'enchaîne avec deux extraits de Kierkegaard sur l'humour pour commencer. Je recopie ces textes du petit ouvrage fort utile publié aux PUF en 1967 : Kierkegaard, l'existence, présentant des textes choisis par Jean Brun et traduits par P.H. Tisseau.


Kierkegaard – Post-scriptum, IIe partie, 2e section, A) Le pathétique, § 3.

L’humour, comme limite de la religiosité de l’intériorité cachée, comporte la conscience de la faute totale. Aussi l’humoriste parle-t-il rarement de telle ou telle faute ; il saisit en effet tout l’ensemble, ou, si d’aventure il accentue quelque faute particulière, il le fait parce que la totalité s’y trouve indirectement exprimée. L’effe humoristique se produit quand il laisse la conscience enfantine de la faute se refléter dans la conscience totale. De l’union de la culture intellectuelle où l’on se rapporte à l’absolu, et de l’immédiateté enfantine, naît l’humour. Il n’est pas rare de rencontrer de grands gaillards, confirmés et bons garçons qui, bien que depuis longtemps des adultes, agissent en toute occasion comme des enfants dont ils semblent avoir gardé l’âge, même s’il était normal de vivre deux cent cinquante ans. Mais la puérilité et la gaminerie sont bien différentes de l’humour. L’humoriste a l’esprit enfantin sans y être assujetti ; il l’empêche toujours de s’exprimer directement et se borne à le laisser percer à travers une culture absolue. Aussi, quand un homme dont la culture est ainsi marquée au coin de l’absolu et un enfant sont ensemble, ils découvrent toujours en commun l’humoristique : l’enfant l’exprime et n’en sait rien, et l’humoriste sait que la drôlerie a été formulée. Par contre, un homme de culture relative avec ce même enfant ne découvre rien, parce qu’il dédaigne l’enfant et sa niaiserie.
Je me rappelle une répartie donnée dans une situation très précise que je vais rapporter. C’était dans un de ces petits groupes qui se forment pour un moment dans une nombreuse société ; on parlait d’une fâcheuse histoire ; une jeune femme formula, non sans grâce, sa triste opinion de la vie qui tient si peu ce qu’elle promet. « Quel bonheur », dit-elle, « que celui de l’enfance, ou plutôt de l’enfant ! » Elle se tut, se pencha vers un chérubin pendu à sa robe et lui caressa la joue. L’un des assistants, dont l’émotion montrait sa sympathie pour la jeune femme, poursuivit : « Oui, et surtout, quel bonheur dans l’enfance de recevoir des coups »[1] ; là-dessus, il se tourna pour parler à la maîtresse de céans qui passait.
Justement parce que la plaisanterie de l’humour consiste à révoquer un commencement d’approfondissement spirituel, l’humour recourt tout naturellement et souvent à l’enfance. Si un coryphée de la science, comme Kant, disait à propos des preuves de l’existence de Dieu : « Je n’en sais pas plus que ceci, que j’ai appris de mon père », le mot serait humoristique, et il en dirait réellement plus que tout un livre sur ces preuves, si ce livre oubliait cet humour. Mais justement parce que l’humour recèle toujours une douleur cachée, il comporte aussi une sympathie dont l’ironie est dépourvue, car elle cherche à se faire valoir ; aussi sa sympathie n’est-elle sympathie que très indirectement ; elle ne s’applique à personne, mais à l’idée de se faire valoir soi-même comme virtuelle en chacun. Aussi, chez la femme, trouve-t-on souvent l’humour, mais jamais l’ironie. S’y essaie-t-elle, cela ne lui sied pas et une nature vraiment féminine verra toujours dans l’ironie une sorte de cruauté.
L’humour reflète la conscience de la faute totale ; il est par suite plus vrai que toute mesure de comparaison. Mais la profondeur qu’il comporte se trouve révoquée, annulée dans la plaisanterie, tout à fait comme précédemment dans ce que nous avons dit de la souffrance. L’humour saisit le total, mais juste au moment de passer à l’explication, il s’impatiente et révoque tout : « Ce serait trop long et m’entraînerait trop loin, je révoque tout et rends l’argent. » - Nous sommes tous débiteurs », dirait un humoriste ; « nous tombons maintes fois et de maintes façons, nous tous qui appartenons à cette espèce animale qui s’appelle l’humanité et que Buffon décrit ainsi... ». Suivait une vraie définition d’histoire naturelle. L’opposition est ici au point culminant ; elle est celle d’un individu qui, dans le ressouvenir éternel, a la conscience de la faute totale, et d’un exemplaire d’une espèce animale. [...] La dérobade où l’humoriste passe de l’individu à l’espèce, est d’ailleurs un retour aux catégories esthétiques, et ce n’est nullement en cela que réside la profondeur de l’humour. La conscience de la faute totale en l’individu particulier devant Dieu et la félicité éternelle, voilà le religieux. L’humour porte la réflexion sur ce point, mais il révoque aussitôt. Car pour le religieux, la catégorie d’espèce est inférieure à celle d’individu, et les manœuvres où l’on cherche à se ranger sous la catégorie d’esprit sont des faux-fuyants...


[1] Le mot fit rire et l’on s’y méprit totalement. On y vit de l’ironie quand il n’en était rien. Si ce mot avait été comique, l’interlocuteur aurait été un piètre ironiste ; car la réplique avait un accent de tristesse absolument incompatible avec l’ironie. Le mot était humoristique et rendait ironique la situation du fait de la méprise. Et c’est tout naturel, car une réplique ironique ne peut rendre ironique une situation ; elle peut tout au plus faire comprendre que la situation l’est ; par contre une réplique humoristique peut rendre ironique une situation. L’ironiste cherche à se faire valoir et empêche la situation de se former, mais la douleur secrète de l’humoriste comporte une sympathie grâce à laquelle il contribue à créer la situation qui peut devenir ironique. Mais on confond assez souvent ce que l’on dit ironiquement avec ce qui, lorsqu’on le dit, peut produire un effet ironique de situation. Dans le cas en question la situation est ironique parce qu’on rit en prenant la réplique pour une taquinerie sans voir qu’elle témoigne beaucoup plus de mélancolie sur le bonheur de l’enfance que le mot de la jeune femme. La conception mélancolique de l’enfance mesure son importance à celle de l’opposition d’où l’on éprouve et formule ses nostalgiques regrets. Or, la plus grande opposition est celle du ressouvenir éternel de la faute, et la plus mélancolique nostalgie est fort justement exprimée par le nostalgique désir de recevoir des coups. Quand la jeune femme parlait, on avait un brin d’émotion ; mais on fut presque choqué de la réplique de l’humoriste dont on rit néanmoins ; et pourtant, il parla avec beaucoup plus de profondeur. Quand, de tout le galimatias de la vie, de ses fatigues et de son abêtissement, du morose souci de la vie matérielle et même de la douleur quotidienne d’un mariage malheureux, on a la nostalgie du bonheur de l’enfance, on n’est pas aussi mélancolique, à beaucoup près, que lorsqu’on soupire après ce bonheur en partant du ressouvenir de l’éternel faute auquel songeait tristement notre humoriste ; car c’est une niaiserie, quand on part de la conscience de la faute totale que le procédé soit fréquemment employé, et avec émotion, par des gens superficiels. La réplique en question n’était pas une taquinerie désobligeante ; elle était dictée par la sympathie. Un homme, dit-on, vint faire part à Socrate de son indignation d’entendre les gens le calomnier en son absence : « Y a-t-il lieu d’en faire état », répondit Socrate, « ce que les gens disent de moi en mon absence m’importe si peu que, si cela leur faisait plaisir, ils peuvent même me battre en mon absence ». Cette réplique est d’une ironie correcte ; elle est dénuée de la sympathie qui permettrait à Socrate de créer avec l’autre une situation commune (et la loi de l’ironie taquine porte tout simplement que la ruse de l’ironiste empêche constamment la conversation d’être telle, bien qu’elle semble à tous égards être un entretien, et même cordial) ; elle est d’une ironie taquine, même si elle l’est au regard de l’éthique, et elle vise à inciter l’interlocuteur à la maîtrise de soi. Aussi Socrate dit-il avec justesse moins que lui, car la calomnie est bien quelque chose, tandis que battre quelqu’un en son absence, c’est une absurdité. Par contre, une réplique humoristique doit toujours avoir quelque chose de profond bien que caché sous la plaisanterie ; aussi doit-elle exprimer davantage. Quand par exemple un homme s’adresse à un ironiste pour lui confier un secret sous la promesse du silence et que celui-ci répond : « Compte sur moi ; on peut me confier un secret sans crainte, car je l’oublie aussitôt entendu », la confiance est ici fort justement réduite à néant par le jeu de la dialectique abstraite. Si l’autre lui confie réellement son secret, les deux hommes s’entretiennent assurément, mais l’on se méprend si l’on y voit une confidence. Par contre, si cet homme obsédé par la calomnie avait dit par exemple à une jeune fille ce qu’il dit à Socrate ; s’il s’était plaint de tel ou tel qui parlait mal de lui en son absence, et si la jeune fille avait répondu : « Alors, je dois m’estimer heureuse, puisqu’il m’a complètement oubliée », cette réplique aurait un accent d’humour, sans être pourtant humoristique pour autant qu’elle ne reflète aucune détermination de totalité, dont l’opposition spécifique constitue l’humour.

A propos de l'humour chez Jean-Paul Richter : extrait d'un article de Dominique Peyrache-Leborgne

Je cite ci-dessous un extrait d'un article de Dominique Peyrache-Leborgne, "Le sublime chez Jean-Paul et Hugo" consultable sur le site Groupugo de l'Université de Jussieu.

On y trouve une assez bonne présentation de la notion d'humour dans ses rapports avec la notion de sublime :


Comment s’énonce cette théorie du comique sublime ? Le VIe programme, « Sur le comique », établit d’abord un rapport de symétrie entre sublime et comique, pour aboutir ensuite à un rapport possible d’équivalence. Comique et sublime sont des symétriques inverses puisque l’un occupe traditionnellement la sphère du bas tandis que l’autre habite les hauteurs. Mais ces symétriques inverses peuvent aussi fusionner, notamment dans cette forme particulière de comique qu’est l’humour. L’humour, que Jean Paul nomme « comique romantique » parce que fruit de la subjectivité, est cet état d’esprit qui fait éclater le contraste entre l’ordre de la finitude humaine et l’intuition de l’infini. Comme tel, il participe de ce que Jean Paul nomme un « sublime inversé » (« umgekehrte Erhabene ») : « En tant que sublime inversé, l’humour anéantit non pas l’individuel, mais le fini, par le contraste avec l’idée ».[1] L’humoriste touche ainsi à l’universel, en se préoccupant non du ridicule individuel, comme le simple comique de situation, mais bien de la « folie humaine ». L’humour exprime ce que JP nomme « l’idée anéantissante ou infinie » par laquelle le réel prosaïque perd sa valeur et est finalement anéanti par la subjectivité : « Lorsque l’homme contemple le terrestre du haut du supra-terrestre, à la manière de l’ancienne théologie, il le voit s’éloigner, minuscule et vain ; lorsqu’à l’aune de ce monde petit on rapporte et mesure le monde infini, à la manière de l’humour, naît ce rire qui recèle encore une douleur et une grandeur. »[2]
Ainsi, certes lié au « nihilisme »[3] du romantisme allemand, issu d’une exigence d’absolu face aux petitesses du monde et exacerbé par le sens des perpétuelles antithèses qui gouvernent la vie[4], le comique romantique suppose néanmoins une dialectique positive et idéalisante, ayant pour horizon la plénitude du monde des Idées et une pensée de l'absolu. Car « l’humoriste, qui réchauffe l’âme », se distingue du « persifleur, qui la glace » écrit Jean Paul[5]; et « l’idée anéantissante », sorte de « mascarade intérieure de l’esprit »[6], tout en conduisant au mépris de la vie, contient aussi une haute sagesse, un mouvement d’élévation fait de douleur et de joie mêlées. Le sens de l’infini est donc bien le dénominateur commun de l’humour, du sublime et de la poésie romantique, et l’on comprend alors le lien qui les unit dans la dynamique romanesque : comme l’écrit Stéphane Moses à propos du Titan, grâce à l’humour, « quelques lueurs de l’idéal viennent filtrer à travers les fissures et les failles du monde. [...] La poésie poétique, cette lumière d’un autre monde, ne parviendrait pas à traverser l’opacité de la matière si l’humour n’avait su, au préalable, en la désintégrant, y ménager des ouvertures, y créer des percées »[7]. « L’humour désire un esprit poétique » écrit aussi Jean Paul, « capable d’apporter une plus haute vision du monde »[8] Sur ce point, Jean Paul n’est pas resté étranger aux fameux Fragments de Friedrich Schlegel évoquant le principe de sublimation contenu dans la pratique de l’humour : le « souffle divin de l’ironie », « bouffonnerie véritablement transcendantale ». On voit aussi combien la conception jean-paulienne du comique comme sublime inversé anticipe la théorie de freudienne de l’humour comme sublimation, comme défi aux contraintes du réel, et répond aussi au fonctionnement de l’humour poétique comme défi à la souffrance tel qu’il apparaît souvent dans L’Homme qui rit : notamment dans les paroles bougonnes dont Ursus accompagne ses actes de charité.
Qu’en est-il maintenant au niveau de la forme romanesque de l’humoriste grotesque ? Tel qu’il s’illustre à travers les romans de Jean Paul et L’Homme qui rit, le bouffon romantique semble se constituer progressivement à partir de la conjugaison de plusieurs réminiscences culturelles : celle de l’ancienne figure populaire du fou carnavalesque, celle du bouffon shakespearien et sternien, et celle de cette première grande figure d’artistes saltimbanques que constitue le couple formé par Mignon et le harpiste dans le Wilhelm Meister. L’humoriste grotesque, qu’il se nomme Siebenkäs, Leibgeber ou Schoppe chez Jean Paul, Ursus chez Hugo, est en effet toujours un « morosophe », un sage-fou héritier de la tradition érasmienne et rabelaisienne, mais aussi un artiste et un figure évangélique, un gardien de l’esprit d’amour, participant, comme tel, à l’orientation du récit vers le sublime.


[1] VIIe programme « Sur la Poésie humoristique », ibid., p. 129.
[2]§ 33: « L’idée anéantissante ou infinie de l’humour », ibid., p. 132.
[3] Voir l'introduction de Jean-Luc Nancy et Anne-Marie Lang au Cours Préparatoire d'esthétique, p. 8.
[4] Cours préparatoire, p. 130.
[5] Ibid., p. 132.
[6] Ibid., p. 134.
[7] Une Affinité littéraire: le Titan de Jean Paul et Docteur Faustus de Thomas Mann, Paris, Klincksieck, 1972, p. 118.
[8] Cours préparatoire, p. 147.

lundi 18 février 2013

Humour : Jean-Paul Richter, Cours préparatoire d'esthétique, de l'humour (4)

La fin :


§ 35. — Perception de l'humour.

Comme sans les sens il ne peut y avoir de comique, les attributs perceptibles, en tant qu'expression du fini appliqué, ne peuvent jamais, dans l'objet humoriste, devenir trop colorés. Il faut que les images et les contrastes de l'esprit et de l'imagination, c'est-à-dire les groupes et les couleurs, abondent dans l'objet, pour remplir l'âme de ce caractère sensible ; il faut qu'ils l'enflamment par ce dithyrambe[1], qui relève contre l'idée et met en opposition avec elle le monde sensible, devenu anguleux et allongé comme dans un miroir concave. Comme un pareil jour final précipite le monde sensible dans un second chaos, mais seulement pour amener un jugement divin, et commode son côté l'entendement ne peut habiter que dans un univers plein d'ordre, tandis que la raison, semblable à la divinité, ne peut même être contenue dans le plus grand des temples, on pourrait admettre une affinité apparente de l'humour avec la démence, qui perd naturellement, comme le philosophe le perd artificiellement, l'usage de ses sens et de son entendement, en conservant cependant, comme celui-ci, sa raison ; l'humour est, comme les anciens appelaient Diogène, un Socrate en démence.
Nous allons étudier en détail le style de l'humour qui a la double propriété de métamorphoser son objet et de parler aux sens. D'abord il individualise jusqu'aux plus petites choses, et même jusqu'aux parties de ce qu'il a subdivisé. Shakespeare n'est jamais plus individuel, c'est-à-dire ne s'adresse jamais plus aux sens, que lorsqu'il est comique. Aristophane, pour les mêmes raisons, offre, plus qu'aucun autre poète de l'antiquité, les mêmes caractères.
Le sérieux, comme on l'a vu plus haut, met partout en avant le général, et nous spiritualise tellement le cœur, qu'il nous fait voir de la poésie dans l'anatomie, plutôt nue de l'anatomie dans la poésie. Le comique, au contraire, nous attache étroitement à ce qui est déterminé par les sens ; il ne tombe pas à genoux, mais il se met sur ses rotules, et peut même se servir du jarret. Quand il a par exemple à exprimer celle pensée : « L'homme de notre temps n'est pas bête, mais pense avec lumière ; seulement il aime mal ; » il doit d'abord introduire cet homme dans la vie sensible, en faire par conséquent un Européen, et plus précisément encore un Européen du dix-neuvième siècle ; il doit le placer dans tel pays et dans telle ville, à Paris ou à Berlin ; il faut encore qu'il cherche une rue pour y loger son homme. Quant à la seconde proposition, il doit la réaliser organiquement de la même manière, ce qui se ferait le plus rapidement par une allégorie, jusqu'à ce qu'il puisse arriver à parler d'un habitant du quartier de Frédérichstadt à Berlin, écrivant près d'une lumière dans une cloche à plongeur, sans camarade de chambre ou de cloche, au sein de la mer froide, n'étant en communication avec le monde de son vaisseau que par le tuyau qui est la prolongation de sa trachée. « Et ainsi, dira en concluant l'auteur comique, cet habitant de Frédérichstadt n'éclaire que lui-même et son papier, et méprise entièrement tous les monstres et les poissons qui l'entourent. » Et voilà précisément l'expression comique de la pensée que nous avons proposée tout à l'heure.
On pourrait poursuivre cette individualisation comique jusque dans les moindres choses. Ainsi les Anglais aiment le bourreau qui pend et le fait d'être pendu ; nous autres aimons le diable, mais seulement comme comparatif du bourreau ; par exemple quand on dit : « Il est au diable ; » cela est plus fort que de dire : « 11 est allé se faire pendre. » Il y a la même différence entre les expressions « gibier de potence » et « proie du diable ». On pourrait peut-être écrire à ses égaux que « le diable emporte un tel » ; mais, devant un supérieur, cette locution devrait être atténuée par le bourreau.
Chez les Français, le diable et le chien occupent un rang plus élevé : « Le chien d'esprit que j'ai » écrit la magistrale Sévigné, entre tous les Français la grand'mère de Sterne, comme Rabelais est son grand-père ; et, comme tous les Français, elle aime beaucoup à employer cette expression. Voici encore d'autres minuties à l'adresse des sens : on choisit partout des verbes actifs dans la présentation propre ou figurée des objets ; on fait, comme Sterne et d'autres, précéder ou suivre chaque action intérieure d'une courte action corporelle ; on indique partout les quantités exactes d'argent, de nombre et de chaque grandeur, là où l'on ne s'attendait qu'à une expression vague ; par exemple : « un chapitre long d'une coudée, » ou : « cela ne vaut pas un liard rogné, » etc.Ce caractère sensible du comique est favorisé en anglais par le monosyllabisme serré de cette langue : quand par exemple Sterne dit (Tristram, vol. XI, ch. x) qu'un postillon français ne monte que pour descendre, parce qu'il manque toujours quelque chose à la voiture, a tag, a rag, a jay, a strap, ce sont là des syllabes et surtout des assonances que l'Allemand rend moins facilement que le ridiculus mus d'Horace. En général, on ne trouve pas seulement chez Sterne (par exemple, ch. xxxi, all the frusts, crusts, and rusts of antiquity) les assonances produites par la verve comique ; mais ces espèces de rimes, comme camarades de chambre, se rencontrent encore dans Rabelais, Fischart et d'autres auteurs.
A cette catégorie des éléments du comique se rattachent encore les noms propres et techniques. Aucun Allemand ne sent avec plus de tristesse que celui qui rit, le manque d'une capitale nationale ; car c'est là un obstacle à l'individualisation. Bedlam, Grubstreet (110), etc., sont parfaitement connus dans toute la Grande-Bretagne et au-delà des mers ; mais nous autres Allemands sommes réduits à dire : « maison d'aliénés, rue des Ecrivassiers » ; et cela à cause du manque de capitale, parce que les noms propres de ces endroits dans les différentes villes sont ou trop peu connus ou trop peu intéressants. Ainsi l'humoriste qui individualise est très-heureux que Leipsick possède son Schwarzes-Bret (lieu où sont apposées les affiches universitaires), sa cour d'Auerbach (111), ses alouettes et ses foires[2], qui sont assez connues à l'étranger pour qu'on puisse les utiliser avantageusement; il serait à désirer qu'il en fût de même pour d'autres objets et pour d'autres villes.
On peut rapporter encore aux caractères sensibles de l'humour la paraphrase, c'est-à-dire la séparation , du sujet et du prédicat, qui souvent peut n'avoir pas de fin, et qu'on peut imiter surtout d'après Sterne, qui lui-même a eu Rabelais pour guide. Quand par exemple Rabelais voulait dire que Gargantua jouait, il commençait (1,22) : « Là jouoit :
au flux,
à la prime,
à la vole,
à la pille,
à la triumphe,
à la Picardie,
au cent,
etc., etc. »
Il nomme deux cent seize jeux. Fischart[3] cite jusqu'à cinq cent quatre-vingt-six jeux d'enfants et de société que j'ai comptés en me pressant et en m'ennuyant beaucoup. Cette paraphrase humoriste. qui se trouve très-fréquemment et très-largement développée dans Fischart, Sterne la continue dans ses allégories, qui, par l'abondance des détails sensibles, se rapprochent des comparaisons homériques et des métaphores orientales. Ses spirituelles métaphores ont même pour encadrement une marge colorée et des digressions pleines de détails étrangers; et cette hardiesse est précisément la qualité que Hippel a particulièrement choisie en lui pour l'imiter et la corriger ; car chacun des imitateurs a choisi dans Sterne un côté particulier : par exemple, Wieland, la paraphrase du sujet et du prédicat ; .d'autres, son incomparable périodologie ; d'autres, ses éternels « dit-il » ; quelques-uns, rien du tout, et personne, la grâce de sa facilité. Supposons par exemple que quelqu'un veuille exprimer la pensée précédente à la manière d'Hippel ; il devra, s'il veut qualifier les imitateurs de traducteurs transcendants, dire : « Ce sont les tétra, hexa et octapla origéniques de Sterne. » Un exemple plus clair encore serait de nommer les animaux une contrefaçon de librairie de Carlsruhe ou de Vienne du genre humain, imprimée sur papier gris. On rafraîchit singulièrement l'esprit, quand on le force à ne contempler que du général dans le particulier et même dans l'individuel (comme ici Vienne, Carlsruhe et papier gris), à ne voir en un mot la lumière que dans la couleur noire.
Le mouvement, et surtout le mouvement rapide, ou le repos à côté de ce dernier, peuvent contribuer à rendre un objet plus comique, comme moyen de rendre l'humour saisissable par les sens. Il en est de même de la foule, qui fournit, en outre, par la prédominance du sensible et des corps, l'apparence comique d'un mécanisme. C'est pourquoi nous autres auteurs paraissons véritablement ridicules, à cause du grand nombre de têtes, dans tous les articles critiques de l’Allemagne savante de Mensel ; et chaque critique plaisante un peu (115).


[1] Plus Sterne avance dans le Tristram, plus il devient humoristiquement lyrique. Ainsi son voyage magistral au 7e volume ; le dithyrambe humoriste dans le 8e volume, ch. 11, 12,etc.
[2] C'est pour cette raison qu'on devrait autant que possible faire connaître beaucoup de particularités locales de toutes les villes allemandes, comme on a déjà fait pour les différentes bières ; cela mettrait avec le temps sous la main du comique tout un dictionnaire et un cadastre d'individualisation comique. Une pareille ligue de Souabe réunirait les villes séparées et en ferait les rues et même la scène d'un théâtre national comique. L'auteur aurait plus de facilité pour peindre, et le lecteur pour
comprendre. Les Tilleuls (112), le Jardin des plantes, la Charité, ta Willelmshoehe (113), le Prater (11/!), la terrasse de Brûhle à Dresde, sont par bonheur des localités fécondes en individualisation pour les poètes comiques. Mais, si l'auteur de ce livre voulait utiliser dans le même but les meilleures places et les rapports les mieux connus des quelques villes qu'il a habitées, c'est-à-dire de Hof, de Leipsick, de Weimar, de Meinungen, de Cobourg, deBaireuth, il serait mal compris à l'étranger et par conséquent peu goûté.
[3] Pour l'abondance des langues, des figures et des traits sensibles, Fischart surpasse Rabelais de beaucoup, et iI est son égal pour l'érudition et la création aristophanesque de mots. Il a plutôt régénéré que traduit ; son Fleure aux paillettes d'or serait digne de l'exploitation des érudits de langues et de moeurs. Voici quelques traits de sa peinture d'une belle fille dans son Geschichtklitterung(1590),p. 142 : « Elle avait des joues de rose, qui, par leur reflet et comme un arc-en-ciel, rendaient l'air environnant plus clair que les vieilles femmes quand elles sortent du
bain; une gorge de la blancheur du cygne à travers laquelle on voyait couler le vin rouge comme dans un verre mauranique, une véritable gorge d'albâtre ; une peau de porphyre, à travers laquelle paraissaient toutes les veines comme de petites pierres blanches et noires dans l'eau limpide d'une fontaine ; un sein de marbre rond comme une pomme, et dur avec douceur, une vraie pomme de paradis, placée juste à la hauteur du coeur, ni trop haut comme en Suisse ou à Cologne, ni trop bas comme dans les Pays-Bas, mais à la française, etc. » Les rimes sont fréquentes dans sa prose et produisent quelquefois, par exemple ch. 26, p. 351, un très-bel effet. Ainsi le cinquième chapitre, sur les époux, est un chef-d'oeuvre de description et d'observation sensuelles, mais chastes et libres comme la Bible et nos ancêtres.