jeudi 28 février 2013

Humour : atelier fabula : l'humour est-il rhétorique ? Prise de notes (2)

La suite de la prise de notes :



ATELIER DE THÉORIE LITTÉRAIRE : HUMOUR EST-IL RHÉTORIQUE ?

Bernard Gendrel, Patrick Moran



b. Litote et hyperbole

Genette voit dans litote et hyperbole les deux figures privilégiées de l’humour.

La litote
Définition de Fontanier : « au lieu d'affirmer positivement une chose, nie absolument la chose contraire, ou la diminue plus ou moins, dans la vue même de donner plus d'énergie et de poids à l'affirmation positive qu'elle déguise. »

Proposition vite avancée, vite retirée de définir la litote comme un faux euphémisme (c’est-à-dire recours à la forme euphémistique (diminution) mais pour frapper davantage)

De nouveau, exemple tiré de Bierce pour mener l’analyse :

« Early one June morning in 1872 I murdered my father - an act which made a deep impression on me at the time »

Recours à une formule euphémistique pour qualifier un acte actroce

Ici l’usage d’une formule euphémistique comme qualification de l’acte ne sert pas à rétablir une vérité cachée mais « révéler l'humour absurde de l'ensemble ».

[Discussion :
1. Y a-t-il ici litote ?
              J’aurais tendance à en douter : dire d’un acte qu’il a fait « une profonde impression » n’est pas une litote.
              La litote est une figure de substitution : un trope. C’est-à-dire qu’il y a autrechose à la place. Ici, je ne suis pas certain qu’il y ait substitution.
2. L’effet d’humour tient davantage à l’usage d’une expression assez usuelle, pour ne pas dire figée « faire une profonde impression sur moi » pour qualifier un acte auquel cette expression ne s’applique pas. Il faudrait bêtement montrer à quoi on peut appliquer cette expression : un film ? la visite d’un monument ? d’une ville ?]
Hyperbole : problème similaire

Définition de Fontanier : « L'Hyperbole augmente ou diminue les choses avec excès, et les présente bien au-dessus ou bien au-dessous de ce qu'elles sont, dans la vue, non de tromper, mais d'amener à la vérité même, et de fixer, par ce qu'elle dit d'incroyable, ce qu'il faut réellement croire. »
[On notera en passant les efforts presque désespérés de Fontanier pour garder l’hyperbole dans la sphère de la vérité, ce qui pourrait être franchement discuter... ]

Exemple tiré de Blondin : un prof qui conte la bataille de Fontenoy ; à la sonnerie de la cloche, les enfants qui sortent « semblaient enjamber avec une déférence renouvelée les douze mille cadavres que j’avais amoncelés entre ma chaire et le tableau noir »

Ici l’hyperbole des « douze mille cadacres » ne crée aucune vérité.

L’auteur du séminaire propose de parler de faux euphémisme ou d’excès dans le cas de l’humour – parce qu’il n’y a pas de rétablissement d’une vérité.

c. Épitrope et astéisme

C’est toujours Genette qui sert de guide :
« L'Épitrope ou Permission, dans la vue même de nous détourner d'un excès, ou de nous en inspirer soit l'horreur, soit le repentir, semble nous inviter à nous y livrer sans réserve, ou à y mettre le comble, et à ne plus garder de mesure. » (Fontanier)

Exemples :
1.      Britanicus, Agrippine à Néron : un usage ironique de l’épitrope
« Poursuis, Néron ; avec de tels ministres, / Par des faits glorieux tu vas te signaler ; / Poursuis, tu n’as pas fait ce pas pour reculer. »

2.      Swift, Instructions aux domestiques : épitrope et humour.
« Quand vous avez cassé toutes vos tasses de faïence (ce qui ordinairement est l'affaire d'une semaine), la casserole de cuivre fera aussi bien l'affaire. On y peut faire bouillir le lait, chauffer le potage, mettre de la petite bière, elle peut en cas de nécessité servir de « Jules » ; appliquez-la donc indifféremment à tous ces usages ; mais ne la lavez, ni ne la récurez jamais, de peur d'enlever l'étamage. Bien qu'on vous ait affecté des couteaux pour vos repas à l'office, vous ferez bien de les ménager et de n'employer que ceux de votre maître. »
Je reprends telle quelle l’analyse proposée dans le séminaire :
Le locuteur encourage ici les domestiques à faire des actions répréhensibles, mais rien n'indique qu'il s'agisse d'une attaque contre ces pratiques et qu'il faille retourner l'éloge en condamnation. L'humour est au delà.

Astéisme : « est un badinage délicat et ingénieux par lequel on loue ou l'on flatte avec l'apparence même du blame et du reproche.»

d. Paradoxisme
« Le Paradoxisme, qui revient à ce qu'on appelle communément Alliance de mots, est un artifice de langage par lequel des idées et des mots, ordinairement opposés et contradictoires entre eux, se trouvent rapprochés et combinés de manière que, tout en semblant se combattre et s'exclure réciproquement, ils frappent l'intelligence par le plus étonnant accord, et produisent le sens le plus vrai, comme le plus profond et le plus énergique. » (Fontanier)
Pour l’auteur, là où la rhétorique use du paradoxe pour faire découvrir une vérité plus profonde, l’humour lui ne recourt qu’à un faux paradoxe.
Opposition entre l’exemple de Boileau (paradoxe au service d’une vérité) et Woody Allen (faux paradoxe)

« Souvent trop d'abondance appauvrit la matière. »
« ce n'est pas que j'aie vraiment peur de mourir, mais je préfère ne pas être là quand ça arrivera »

Opposition entre esprit et humour :
« Pour qu’il y ait esprit il y ait écart comique, mais il faut aussi qu’il y ait maintien du fonctionnement rhétorique » (c’est-à-dire que la vérité reste l’horizon de la parole)
« Corot est l'auteur de 3000 tableaux dont 10000 ont été vendus aux Américains » (Alfred Capus).

e. Syllepse
« Les Tropes mixtes, qu'on appelle Syllepses, consistent à prendre un même mot tout-à-la-fois dans deux sens différents, l'un primitif ou censé tel, mais toujours du moins propre ; et l'autre figuré ou censé tel, s'il ne l'est pas toujours en effet. » (Fontanier)
« Rome n’est plus dans Rome »
« Brûlé par plus de feux que je n'en allumai »

Reprise de la distinction humour/esprit (présence ou non du fonctionnement rhétorique)
« Il n'y a qu'à être en Espagne pour n'avoir plus envie d'y bâtir des châteaux » (Madame de Sévigné)

Bilan

Rapprochement avec DominiqueNoguez qui souligne le caractère anti-rhétorique de l’humoue (mais chez Noguez, la rhétorique est ce qui est visible, repérable, alors qu’ici la rhétorique (à la Fontanier) se définit bien plus comme un arraisonnement du langage à une entreprise de persuasion mise au service de la vérité)

On arrive aux distinctions suivantes :


Fonctionnement comique
Situation d’énonciation
Fonctionnement rhétorique
humour
+
Normale (locuteur = énonciateur)
_
esprit
+

+
ironie
+
Locuteur différent énonciateur
+



[1] La Tournelle était la Chambre Criminelle du Parlement de Paris.

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