mercredi 6 février 2013

Humour : généalogie de la notion (2)

Je reviens à l'atelier de Fabula sur l'humour et aux développements que consacrent Bernard Gendrel et Patrick Moran à la généalogie de la notion. Je reprends ici les éléments concernant l'approche philosophique de la notion en reprenant les présentations qu'ils font des concepts d'humour chez 

  • Hegel
  • Jean-Paul Richter
  • Schopenhauer
  • Kierkegaard

Chez Hegel et Jean-Paul, l'humour est encore une catégorie esthétique :

Hegel (Esthétique, II, III, 3, b et c) : 

humour : forme romantique par excellence, c'est-à-dire toute entière déterminée par la subjectivité
distinction entre humour subjectif et humour objectif

  • humour subjectif où l'humoriste est tournée vers son intériorité
  • humour objectif où l'humoriste sort de lui-même pour aller vers l'objet extérieur en créant une communauté d'esprit entre les deux pôles dans un mouvement de sympathie.
Jean-Paul (Cours préparatoire d'esthétique, I, VII et VIII) 

définit l'humour comme du sublime inversé
le sublime : contemplation du très haut à part d'une situation terrestre ;
l'humour : prise d'une position surplombante pour examiner les choses d'ici-bas
"L'humour mélange le haut et le bas, le grand et le petit, montrant que toutes choses sont égales au sein de la totalité humoristique."
Ainsi il n'est pas orienté contre tel ou tel aspect du réel ou contre tel ou tel individu mais "dépasse les divisions et rassemble toute chose à la lumière de son idée anéantissante."
Les auteurs notent la proximité de cette idée avec celle de Bergson, reprise par Genette, pour qui l'humour prend le réel pour l'idéal.
Jean-Marc Moura dans son ouvrage Le sens littéraire de l'humour (PUF, 2010) donne quelques citations de Jean-Paul Richter dans la traduction de Marie Lang et Jean-Luc Nancy qui permettent de préciser ses conceptions :
"la totalité humoristique" : "L'humour anéantit non pas l'individuel, mais le fini, par le contraste avec l'idée. Il n'existe pas pour lui de déraison individuelle ni d'individus déraisonnables, mais seulement la déraison et un monde insensé."

"l'idée anéantissante" : "Lorsque l'homme contemple le terrestre du haut du supraterrestre, à la manière de l'ancienne théologie, il le voit s'éloigner, minuscule et vain ; lorsqu'à l'aune de ce monde petit on rapporte et mesure le monde infini, à la manière de l'humour, naît ce rire qui recèle encore une douleur et une grandeur."

"subjectivité de l'humour" : "Aussi le moi tient-il, chez tout humoriste, le premier rôle ; dès qu'il le peut, il monte même sur son théâtre comique son propre cas, bien qu'à la seule fin de l'anéantir poétiquement." "Le Je s'avance dans l'humour sur le mode parodique".

 "La sensibilité de l'humour": l'humour "individualise jusqu'aux plus petites choses, et derechef les parties de ces choses individualisées."

(Moura s'intéresse ensuite à l'héritage de Jean-Paul tant au XIXe qu'au XXe)

Schopenhauer

consacre une annexe à cette notion dans le Monde comme volonté et comme représentation.
La notion d'humour dérive chez lui de celle de comique : 
le comique naît lorsque l'observateur constate une disparité entre la connaissance rationnelle et la connaissance intuitive, ou lorsque l'homme d'esprit fait surgir cette disparité par un bon mot.
Le sérieux : se définit par l'adéquation des deux modes de connaissances ou par la recherche de cette adéquation.

L'humour naît de la rencontre de l'esprit de sérieux et de l'esprit comique. L'humoriste est celui qui pointe la contradiction et appelle à la résolution.

Kierkegaard (Post-scriptum définitif et non-scientifique aux miettes philosophiques) : 

trois sphères d'existence ; ironie et humour sont ce qui permet le passage de l'une à l'autre
  1. Sphère esthétique (domaine des sens, du rapport immédiat aux choses, de la jouissance pure)
                        ironie
  1. Sphère éthique (domaine de la loi et de la règle, du sens et de la valeur)
                        humour
  1. Sphère religieuse (relation directe à Dieu qui est un anéantissement du monde extérieur)
Observant le monde esthétique, l'homme éthique ne peut manquer de faire preuve d'ironie, "c'est-à-dire d'adopter une attitude de recul et de jugement sur les comportements qu'il observe".

Face à l'ironie de l'homme éthique, on trouve la fausse ironie de l'homme esthétique, fausse car "il est incapable de se référer à une loi supérieure".

L'humour se situe au passage de la sphère éthique à la sphère religieuse.
Forcé de vivre dans la société, l'homme religieux "observe le monde autour de lui et constate la contradiction entre le fini et l'infini ; mais en même temps il ne condamne pas, puisqu'il sait que toutes les choses s'anéantissent en Dieu."

Double définition de l'humour et de l'ironie :
attitude à la fois de celui qui s'élève d'une sphère à une autre et aussi celle de celui qui depuis la sphère à laquelle il appartient contemple ceux qui sont dans une sphère inférieure.


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