Kierkegaard
– Post-scriptum, IIe
partie, 2e section, A) Le pathétique, §2
L’ironie
paraît quand on rapporte sans cesse les particularités du monde fini à l’exigence
éthique infinie et qu’on laisse éclater la contradiction. Celui qui le peut
avec habileté sans se laisser prendre à quelque relativité capable d’effaroucher
sa virtuosité, doit avoir exécuté un mouvement de l’infini, dans l’éventualité
où il serait un éthicien. [...] L’observateur ne pourra donc même pas le
surprendre à son incapacité de se voir lui-même sous un jour comique, car son
interlocuteur est aussi capable de parler de soi comme d’un tiers, de se rattacher
comme infime détail à l’exigence absolue ; de se rattacher, dis-je, et qu’il
est étrange de voir ce terme désignant la dernière difficulté de la vie, celle
de mettre en liaison des choses absolument différentes (comme l’idée de Dieu et
celle d’une promenade à Dyrehaven), s’appliquer aussi dans le langage à l’art
de taquiner ! Mais s’il est établi que notre homme est ironiste, il ne l’est
pas qu’il soit éthicien. Il ne l’est que s’il se rapporte en son for intérieur
à l’exigence absolue. Un pareil éthicien fait de l’ironie son incognito. C’est
en ce sens que Socrate était éthicien mais qui, je le souligne, tendait à la
limite du religieux ; aussi bien avons-nous montré précédemment (Sect. II,
chap. II) l’analogie que son existence présentait avec la foi. Qu’est-ce donc
que l’ironie, si l’on appelle Socrate un ironiste et si l’on ne se contente pas
d’en mettre en relief un seul aspect comme l’a fait à dessein ou non le Mag.
Kierkegaard dans sa thèse sur Le concept
d’ironie ? L’ironie est la synthèse de la passion éthique qui accentue
infiniment dans l’intériorité le je individuel rapporté à l’exigence éthique,
et de la culture qui, dans le monde extérieur, fait infiniment abstraction de
ce je individuel, comme d’une chose finie parmi toutes les autres choses finies
et particulières. Cette abstraction a pour effet, et c’est l’art de l’ironiste,
que personne ne remarque le premier aspect du je dont la véritable
infinitisation se trouve ainsi conditionnée[1]. Une foule de gens vivent
de la façon inverse ; ils s’empressent d’être quelque chose quand on les
regarde et de se donner si possible de l’importance à leurs propres yeux dès qu’ils
se voient observés ; mais tout au fond d’eux-mêmes, sous le regard de l’exigence
absolue, ils n’ont aucune envie d’accentuer leur moi propre.
L’ironie
est une détermination, une catégorie existentielle ; aussi rien n’est-il
plus ridicule que d’y voir une façon de parler, ou que de voir un écrivain tout
heureux d’avoir de temps à autre le ton ironique. Celui qui possède
essentiellement l’ironie, la possède tout le long du jour sans qu’elle soit
liée à aucune forme, parce qu’elle est en lui l’infinité.
L’ironie
est la culture de l’esprit ; elle succède à l’immédiateté ; puis
vient l’éthicien, puis l’humoriste, et enfin, l’esprit religieux. [...] Les
hommes portent toujours sur un pareil individu ce jugement : pour lui, il
n’y a rien qui compte. Et pourquoi ? Parce que pour lui, l’éthique a une
importance absolue ; c’est en cela, en effet, qu’il diffère des hommes en
général pour qui tant de choses sont importantes ; presque toutes le sont,
mais aucune absolument. – Mais, je l’ai dit, un observateur risque d’être dupe
s’il prend un ironiste pour un éthicien, car l’ironie n’est que la possibilité
de le devenir.
[1] La tentative désespérée
et manquée de l’éthique hégélienne, de faire de l’Etat la dernière instance de
l’éthique, est au plus haut point contraire à l’éthique en voulant donner les
individus au fini ; contre toute éthique, on y déserte la catégorie d’individualité
pour passer à celle de génération, d’espèce. [...]
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