jeudi 21 février 2013

Humour : atelier fabula : l'humour est-il rhétorique ? Prise de notes (1)

Je commence ici la mise en ligne des notes prises à la lecture du séminaire publié sur Fabula de Gendrel et Moran : "L'humour est-il rhétorique ?"

Je continuerai ultérieurement cette mise en ligne.




ATELIER DE THÉORIE LITTÉRAIRE : HUMOUR EST-IL RHÉTORIQUE ?

Bernard Gendrel, Patrick Moran

Projet : chercher si l’humour privilégie certaines figures tout comme l’antiphrase semble être la figure favorite de l’ironie.

Il s’agira en fait de suivre les traces du travail de Genette dans Figures V où ce dernier examine en quoi les figures de rhétorique telles qu’elles sont définies par Fontanier peuvent rendre compte de l’humour.

Définition des figures par Fontanier :
« Les figures du discours sont les traits, les formes ou les tours plus ou moins remarquables et d'un effet plus ou moins heureux, par lesquels le discours, dans l'expression des idées, des pensées ou des sentimens, s'éloigne plus ou moins de ce qui en eût été l'expression simple et commune. »[i]
(définition de la figure par l’écart avec « l’expression simple et commune ».

1.        les figures de pensées (prosopopée, concession, éthopée, portrait, topographie etc.) et
2.        les figures de mots.

À l'intérieur des figures de mots il distingue

1)      les « figures de mots dans le sens propre », qui ne changent pas la signification habituelle des mots - figures de construction (inversion, énallage, ellipse, zeugme, anacoluthe...), figures d'élocution (répétition, gradation, adjonction, allitération, assonance, dérivation...), figures de style (périphrase, exclamation, apostrophe, antithèse, hypotypose),

2)      les tropes, qui prennent les mots dans un sens détourné. À l'intérieur des tropes il distingue les tropes en un seul mot (métonymie, synecdoque, métaphore, syllepse) et les tropes en plusieurs mots (personnification, allégorie, hyperbole, métalepse, litote, paradoxisme, prétérition, ironie, épitrope, astéisme...). Dans chaque catégorie j'ai souligné les termes sur lesquels nous reviendrons plus précisément.
La suite du séminaire propose un examen des différentes figures susceptibles d’éclairer l’humour.

[Remarque : si dans la définition de Fontanier rappelée ici c’est l’écart qui permet de définir les figures, on notera que dans la suite de l’argumentation de l’auteur de ce texte la rhétorique est essentiellement définie par son rapport à la vérité (c’est-à-dire que la figure est maintenant définie en fonction de sa finalité, faire apparaître une vérité qui n’était pas évidente au départ). Un tel arrimage de la rhétorique à la vérité mériterait d’être interrogé et il est sans doute plus caractéristique du projet de Fontanier que de la rhétorique elle-même. Si on pense aux conditions de naissance de la rhétorique en Grèce, à ses étroites relations de parenté avec la sophistique, à la condamnation platonicienne, postuler un lien consubstantiel entre rhétorique et vérité est loin d’apparaître comme une évidence.]

2. Figures privilégiées
a. Le problème de l'antiphrase

Fontanier redéfinit l’antiphrase comme ironie, en opposant ironie et catachrèse :
-          ironie et catachrèse se définissent toutes deux par « l’emploi d’un mot ou d’une façon de parler dans un sens contraire à celui qui lui est ou lui semble naturel »
-          dans le cas de l’ironie,
cet emploi se fait librement et par choix
-          dans le cas de la catachrèse,
cet emploi est forcé par l’usage

Définition de l’ironie : « L'Ironie consiste à dire par une raillerie, ou plaisante, ou sérieuse, le contraire de ce qu'on pense, ou de ce qu'on veut faire penser. »[iii]

Tentatives des théoriciens de l’humour de définir l’humour dans son rapport à l’antiphrase :
                            Genette, Bergson, Henri Morier
Genette : opposition entre antiphrase de fait (ironie) et antiphrase axiologique (reposant sur un jugement de valeur) – opposition réfutée de façon à mon sens pertinente par les auteurs de ce séminaire ; cf. séminaire d’ouverture.
Reformulation de la question : « savoir s'il arrive que l'humour prenne la forme de l'antiphrase. »

Analyse et jeu autour d’un extrait du Dictionnaire philosophique portatif de Voltaire, articule « torture ».
L’extrait choisi est donné comme un cas exemplaire d’ironie :

Voltaire, à propos de la question qu'un conseiller de la Tournelle inflige à un accusé, cite un vers des Plaideurs : « Cela fait toujours passer une heure ou deux ».

Les Romains n'infligèrent jamais la torture qu’aux esclaves, mais les esclaves n’étaient pas comptés pour des hommes. Il n’y a pas d'apparence non plus qu'un conseiller de la Tournelle[1] regarde comme un de ses semblables un homme qu’on lui amène hâve, pâle, défait, les yeux mornes, la barbe longue et sale, couvert de la vermine dont il a été rongé dans un cachot. Il se donne le plaisir de l’appliquer à la grande et à la petite torture, en présence d'un chirurgien qui lui tâte le pouls, jusqu'à ce qu’il soit en danger de mort, après quoi on recommence ; et comme dit très bien la comédie des Plaideurs : « Cela fait toujours passer une heure ou deux ».

Les auteurs proposent de décontextualiser la phrase et de l’inclure dans le cadre d’une nouvelle à la Ambrose Bierce :

« Hier j'ai tué toute ma famille. Cela fait toujours passer une heure ou deux. »

Dans le premier cas, son sens véritable de la phrase pourrait être rétabli en prenant l’énoncé contraire :

« La torture ne fait pas passer une heure ou deux, elle n'est pas un divertissement, puisqu'un être humain souffre. »

Reformulation impossible dans le deuxième cas.
Cette impossibilité de faire apparaître un sens véritable serait ainsi l’indice que nous sommes en présence d’humour (noir) et non d’ironie.

Je cite le séminaire : « On ne parlera pas non plus d'antiphrase puisqu'il n'y a finalement aucune proposition juste à rétablir. On se dit qu'Ambrose Bierce ne pense pas réellement ce qu'il dit mais cela ne signifie pas qu'il veuille faire dire l'inverse de ce qu'il pense. »




[1] La Tournelle était la Chambre Criminelle du Parlement de Paris.



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