Traduction en ligne
De la septième Lettre à Lucilius de
Sénèque au De Spectaculis de Tertullien, échos et influences,
Par
Stéphanie Binder
Tertullien,
Les spectacles (De spectaculis),
introduction, textique critique, traduction et commentaire de Marie Turcan,
Paris, Editions du Cerf, 1986, 19 cm, 368 p. (« Sources chrétiennes », 332),
207 F. —
Tertullien a écrit ce traité pour
détourner les chrétiens des nombreux spectacles qui étaient offerts au public
de son temps. Il ne s'en prend pas seulement aux représentations théâtrales et
aux combats de gladiateurs, qui avaient déjà provoqué la réprobation de
plusieurs consciences païennes par leur obscénité ou cruauté, mais il étend son
indignation aux concours sportifs du stade et aux courses hippiques de
l'amphithéâtre : toutes ces manifestations ont à ses yeux partie liée avec
l'idolâtrie et l'immoralité. Tels sont les principaux griefs qu'il leur adresse
en donnant beaucoup d'exemples et en nous apportant par là de précieux
renseignements sur les usages de son temps.
Dans l'Introduction, Mme Turcan présente
la tradition manuscrite et imprimée du texte, dégage la structure de l'ouvrage,
puis discute sa date, qu'elle place en 197, juste après VApologeticum.
Concernant les sources, elle réagit à bon droit contre la thèse outrancière de
C. Azéza, qui voit partout la marque du judaïsme. Beaucoup plus vraisemblable,
et effectivement très visible, est l'influence des moralistes païens et de la
tradition chrétienne. Mme Turcan évoque en particulier un passage du Discours aux Grecs de Tatien où se
trouvaient déjà réunis plusieurs des thèmes développés par Tertullien. Il faut
aussi compter avec les ouvrages disparus. Tertullien n'est pas, même en
théologie, « une sorte d'aérolithe d'une originalité étonnante »,
comme l'a écrit Danielou, imprudemment cité p. 53, et qui, toujours pressé, a
dans ce cas comme dans beaucoup d'autres parlé avant d'avoir bien regardé, l’Adv. Valentinianos n'est pas le seul
traité où Tertullien pille un prédécesseur. Plus on avance dans la
fréquentation de son œuvre en étant familier des écrivains grecs du IIe et du IIIe
siècle, plus on est frappé des emprunts qu'il leur fait, ou, quand il ne dépend
pas directement de ceux dont les ouvrages sont conservés, il est facile de voir
par de bons indices qu'ils ont une source commune, qui se laisse même souvent
identifier. L'exemple de l’Adv.
Hermogenem est connu, et l'on peut affirmer, preuves en main, qu'il en va
de même pour le livre III de l’Adv.
Marcionem et très probablement pour les autres livres du même ouvrage, pour
l’Adv. Iudaeos (même une fois
débarrassé de ses interpolations), l’Adv.Praxean,
le De carne Christi, le De pudicitia, le De baptismo et au moins une bonne partie du De anima (en dehors de ses emprunts au médecin Soranos décelés par
Waszink). Tertullien a pour lui son style et son brio, mais sa théologie et le
plus souvent aussi sa documentation sont de seconde main.
Le texte du De spectaciilis est transmis par un seul manuscrit complet, l’Agobardinus de Lyon. Un bon nombre de
ses fautes avait été déjà corrigé par les éditeurs précédents, notamment par E.
Castorina (1961), qui a bénéficié du témoignage de quelques autres feuillets découverts
dans l'intervalle au Vatican et à Leyde. Venant elle-même après la publication
du précieux Index de Glaesson et possédant aussi un sens affiné du latin, Mme
Turcan fait faire un nouveau progrès par son édition. La traduction est
remarquable de précision et d'aisance. Le commentaire détaillé qui l'accompagne
justifie le texte adopté, quand c'est utile, et s'emploie surtout à l'éclairer
par une connaissance approfondie de la vie quotidienne de cette époque d'après
les témoignages littéraires et les realia archéologiques. Par sa richesse et
son intérêt, il prend place parmi les meilleurs commentaires qui aient été
écrits sur un ouvrage de Tertullien.
Pierre
Nautin.