mercredi 25 janvier 2012

Condamner le théâtre : Introduction de L'Eglise et le théâtre d'Urbain et Levesque (1930) (3)


u  Bossuet et Caffaro
Janvier 1694 : Boursault, considéré par certains comme l’héritier de Molière, publie un recueil de comédies, précédée d’une Lettre d’un théologien illustre par sa qualité et par son mérite, consulté par l’auteur pour savoir si la comédie peut être permise ou doit être absolument défendue.
Compte rendu dans le Journal des savants.
Démontrer que la comédie, épurée comme elle l’était, était un divertissement légitime.
5 septembre 1693 : mort de Jean-Baptiste Raisin, acteur ayant contribué au succès de la comédié Esope à la ville de Boursault ; les derniers sacrements et la sépulture chrétienne ne lui sont accordés qu’après signature devant notaires de la promesse de renoncer au théâtre.
La Lettre provoque un scandale important. On soupçonne François Caffaro, théatin et confesseur du maréchal duc d’Humières, d’en être l’auteur.

Multiplication des condamnations :
Fléchier : « J’ai lu la lettre du P.Caffaro. Je ne regarde point le langage, qui est assez bon et meilleur qu’il n’appartient à un étranger. Mais son opinion est bien expliquée et bien soutenue ; il n’oublie rien de ce qui peut servir à sa cause, et, à quelques endroits près, cette dissertation est fort raisonnable ; mais je ne sais s’il était expédient de la faire imprimer. Ces sortes de doctrines, quoique appuyées sur les principes des théologiens, peuvent ôter à des âmes timorées la retenue et les scrupules qu’elles ont, et favoriser le relâchement, le libertinage, ou du moins l’oisiveté des gens du monde. Il faut laisser à décider ces sortes d’affaires dans le confessionnal, et ne pas les abandonner au jugement d’une infinité de personnes qui se prévalent de tout et qui ne sont pas assez sages pour s’arrêter à ce qu’il y a de juste et de permis dans une opinion indulgente, et pour observer toute la modération que l’auteur demande. » (Œuvres de Fléchier, édit. Ducreux, Nîmes, 1782, in-8, t.X, p.62 et 63)

Les adversaires du P. Caffaro s’adressent à la faculté de théologie et obtiennent une décision motivée, qui est un véritable traité (20 mai 1694).
La dissertation est déférée à l’officialité.
Les réfutations – toutes anonymes – de la dissertation se succèdent : six dans la seule année 1694 + celle de Bossuet.
-          Réponse à la lettre du théologien défenseur de la comédie (Henri Lelevel)
-          Réfutation d’un écrit favorisant la comédie ( le P. Charles de La Grange)
-          Lettre d’un docteur de Sorbonne à une personne de qualité sur le sujet de la comédie (Jean Gerbais)
-          Décision faite en Sorbonne touchant la comédie, du 20 mai 1694, avec la Réfutation des sentiments relâchés d’un nouveau théologien (Laurent Pérugier)
-          Discours sur la comédie, où l’on voit la réponse au théologien qui la défend, avec l’histoire du théâtre ( le P. Pierre Le Brun)
-          Sentiments de l’Eglise et des saints Pères pour servir de décision sur la comédie et les comédiens, opposés à ceux de la lettre qui a paru à ce sujet depuis quelques mois (Pierre Coustel)

9 mai 1694 : lettre confidentielle de Bossuet à Caffaro, le sommant de se rétracter. Le 11 mai, réponse de Caffaro, désavouant sa dissertation - le compte rendu dans le Journal des savants ; lettre en français et en latin à l’archevêque de Paris.
Caffaro est interdit du confessional et de chaire et est remplacé comme professeur dans son couvent.

Bossuet : laisse circuler les copies de la lettre adressée à Caffaro
Août 1694 : Maximes et réflexions sur la Comédie.

Bossuet et le théâtre :
-          jusqu’à son sous-diaconat fréquente le théâtre.
-          1698 : assiste chez le duc et la duchesse du Maine à une représentation de Tartuffe
-          Au Carnaval de 1702 : se fait lire lors d’un grand dîner Pénélope de l’abbé Genest :
« Un prélat qui est une des plus grandes lumières de l’Eglise, et qui avait lui-même écrit contre le théâtre, m’a dit, après avoir entendu plusieurs fois lire Pénélope, qu’il ne craindrait pas de lui donner son approbation, la regardant comme un ouvrage utile aux mœurs. »
-          1703 : présent à deux représentations chez la duchesse du Maine, dont Tartuffe.
La publication ne fait pas sensation : le Journal des savants se contente de l’annoncer sans publier d’analyse.

François Gacon, prieur de Baillon (Oise) adresse une épître à Bossuet : déplacer l’objet du scandale : nécessité de réformer les mœurs des prélats avant de condamner les comédiens et la fréquentation des théâtres.

Vous qui prêchez sans cesse un enfer aux chrétiens,
Et goûtez cependant les douceurs de la vie,
Etant si bons comédiens
Laissez en paix la comédie.

Leibniz : « Il me semble que la comédie fournit un excellent moyen d’instruire les hommes. C’est pourquoi je crois qu’il faut plutôt songer à la rectifier qu’à la rejeter. » (Correspondanceavec l’électrice Sophie de Brunswick Lunebourg, édit. Onno Klopp, Hanovre, s.d. (1874), t.I, p.307, septembre 1694)

Dans la foulée de Bossuet, Noailles, archevêque de Paris, Guy de Sève, évêque d’Arras, prononcent des mandements contre le théâtre.

u  Cependant, peu d’effets de cette campagne anti-théâtrale,
Succès public.
Durant le XVIIIe, s’étend l’usage de donner des représentations dans les collèges, à l’exemple des Jésuites, dans les séminaires et dans les couvents.
Cf. Les Nouvelles ecclésiastiques, au mot Comédie, la liste des pièces données.

Défense du théâtre : Caractères tirés de l’Ecriture sainte et appliqués aux mœurs de ce siècle, Paris, 1698, in-12, p.148 et 149.
Les comédiens considérés comme de précieux auxiliaires des prédicateurs pour combattre le vice.
« Jeux et luxe, bassette et lansquenet, mouches et fard, coiffures fantasques et nudités de gorge, bal, comédie et opéra, sujet ordinaire de la morale de nos prédicateurs, je vous abandonne à leur zèle, trop muet, hélas ! sur tant d’horreurs qui me font dire que notre siècle serait en quelque sorte heureux, si l’honnêteté des mœurs en était quitte pour ces autres déréglements. Mais, si les ministres de l’Evangile se taisent et se plaignent, peut-être qu’ils n’ont pas la liberté prophétique de tout dire, la Providence a permis que la liberté comédienne et satirique y ait suppléé, et que le siècle ne passât point sans se voir reprocher publiquement sa corruption toute entière. »

Boileau : contreverse avec le P.Massillon et l’avocat de Losme de Monchesnay

« Croyez-moi, Monsieur, attaquez nos tragédies et nos comédies, puisqu’elles sont ordinairement fort vicieuses, mais n’attaquez point la tragédie et la comédie en général, puisqu’elles sont d’elles-mêmes indifférentes, comme le sonnet et les odes, et qu’elles ont quelquefois rectifié l’homme plus que les meilleures prédications [...] Il n’est pas concevable de combien de mauvaises choses la comédie a guéri les hommes capables d’être guéris, car j’avoue qu’il y en a que tout rend malades. Enfin, Monsieur, je vous soutiens, quoi qu’en dise le P. Massillon, que le poème dramatique est une poésie indifférente de soi-même et qui n’est mauvaise que par le mauvais usage qu’on en fait. Je soutiens que l’amour, exprimé chastement dans cette poésie, non seulement n’excite point l’amour, mais peut beaucoup contribuer à guérir de l’amour les esprits bien faits, pourvu qu’on n’y répande point d’images, ni de sentiments voluptueux. Que s’il y a quelqu’un qui ne laisse pas, malgré cette précaution, de s’y corrompre, la faute vient de lui, et non pas de la comédie [...]. » (Lettres à Monchesnay, sept. 1707, d’après le P. Desmolets, Mémoires, t.VII, 2e partie, p.271)

Voltaire : Dictionnaire philosophique, article Politique des spectacles.

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