samedi 28 janvier 2012

Condamner la littérature : Préface au Recueil des Poésies chrétiennes et diverses (1671)


Dans l'anthologie Ecrire au XVIIe siècle parue aux Presses-Pocket et éditée par Emmanuelle Mortgat et Eric Méchoulan en 1992, on trouve un texte attribué sans certitude à Pierre Nicole servant de préface Recueil de poésieschrétiennes et diverses (1671) qui commence par une justification de la poésie s'opposant à la position platonicienne.

Je cite un extrait du texte d'introduction de l'extrait :
« Le Recueil de poésies chrétiennes et diverses est une oeuvre collective. A la fois pour trouver quelques ressources supplémentaires et pour faire circuler un message chrétien jusque dans la poésie, les Messieurs de Port-Royal décident d'éditer une compilation de poèmes qu'ils jugent recevables au nom de l'art autant qu'à celui de la religion. »

Je cite les premières lignes de ce recueil justifiant l'usage de la poésie :

Bien que l'autorité de Platon soit grande, peu de personnes déféreraient aujourd'hui à son sentiment sur ce qui regarde les poètes. Il les a tous bannis de sa république ; nous ne le voulons bannir de la nôtre que les mauvais, et ceux qui emploient la poésie à des ouvrages non seulement profanes mais criminels. Ce parti est sans doute le meilleur : car ce serait trop entreprendre que de vouloir persuader aux hommes d’abandonner absolument un art pour lequel ils ont une inclination si puissante. Je n’examine pas si elle est fondée dans la raison ; et je sais bien que, philosophiquement parlant, il est assez difficile de justifier ce soin et cette gêne que l’on se donne à exprimer ses pensées avec une certaine cadence, et à les renfermer dans un certain nombre de syllabes ; puisque la parole n’étant uniquement destinée qu’à faire passer nos pensées de notre esprit dans celui des autres, il semble contre la raison de se rendre l’usage de ce moyen plus difficile et plus incommode.
Mais que cette inclination paraisse déraisonnable tant que l’on voudra, il est certain qu’elle est : et l’on peut dire même qu’il n’y en a guère qui soient plus universelles. Car il est remarquable qu’il n’y a point de peuple qui n’ait pris plaisir à ces arrangements de mots et à ces expressions mesurées. Ces nations mêmes en qui une vie toute brutale a presque effacé tous les traits de la nature et qui ignorent les arts les plus faciles, les plus commodes, et les plus nécessaires, n’ont pas laissé de retenir cette inclination pour la cadence et la mesure des mots. On a trouvé que les Caribes et les Cannibales avaient leurs chansons et leurs poésies, et qu’ils y prenaient à peu près le même plaisir que nous y prenons.
Si la poésie est donc une chose dont on ne se peut défaire, il faut seulement tâcher de la rendre la moins désagréable et la moins nuisible qu’il se pourra. Or, comme elle est désagréable par les vers communs qui n’ont ni force ni grâce, et qu’elle nuit par les dangereux sujets qu’elle traite, le moyen de remédier à ces deux inconvénients serait de dégoûter le monde des mauvais vers, et de lui faire voir qu’il n’est pas impossible d’en faire de bons sur des sujets utiles ou innoncents.

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